Madame la présidente, je vous remercie sincèrement pour l'organisation de cette troisième audition, au lendemain d'une journée qui nous oblige tous à garder comme boussole les droits des enfants tels qu'ils ont été recensés, à l'initiative de la France, dans la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). C'est pour moi l'occasion de vous présenter l'action du Gouvernement et de mettre en perspective ce que nous souhaitons faire à la suite du troisième comité interministériel à l'enfance que nous avons tenu hier. Mais c'est aussi l'occasion de saluer tout le travail fait par votre délégation depuis sa création, il y a un peu plus d'un an. Merci pour la visibilité que vous donnez aux droits des enfants !
Permettez-moi de revenir sur le troisième comité interministériel à l'enfance – beaucoup de mes collègues m'envient d'en tenir autant ! – qui a réuni onze ministres, moi-même et la Première ministre sur les sujets relatifs à l'enfance. Nous y avons redit nos priorités, tout en dressant le bilan de ce qui avait été fait. Il a permis de prendre, pour la première fois, la mesure des chiffres précis sur l'engagement de l'État et des départements en faveur de l'enfance, grâce à un jaune budgétaire dont vous aviez voté le principe il y a un an. Il a aussi été l'occasion de lancer, pour la période 2023-2027, un nouveau plan de lutte contre les violences faites aux enfants, dont la Première ministre s'est saisie personnellement. Elle en a fait un combat. Comme je l'avais souhaité, nous avons présenté nos actions en direction des enfants les plus vulnérables, au premier rang desquels les enfants protégés par l'aide sociale à l'enfance (ASE) mais aussi ceux en situation de handicap.
S'agissant du jaune budgétaire, j'avais demandé, à l'occasion du précédent PLF, que nous puissions obtenir des chiffres précis sur l'ensemble des financements dédiés à l'enfance. Nous savons désormais que les politiques publiques consacrées à l'enfance représentent 158 milliards d'euros, soit 10 % des dépenses publiques – État, sécurité sociale et collectivités territoriales confondus. Sans surprise, l'éducation et les branches solidarité que sont la sécurité sociale, la famille et la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) représentent une très large part de ces dépenses, avec 140 milliards d'euros. La justice des mineurs et le logement des enfants vulnérables représentent 2 milliards, ce qui n'est pas une somme anodine.
J'ai souhaité qu'apparaissent aussi les dépenses dédiées aux enfants les plus vulnérables qui représentent 26 milliards d'euros, dont les quelque 9 milliards que les départements consacrent à l'aide sociale à l'enfance, les 8 milliards de l'éducation nationale pour les plus fragiles, dont l'école inclusive, et les 7 milliards dédiés aux enfants en situation de handicap. Grâce à vous, grâce à nous, l'État est financièrement engagé sur les sujets de l'enfance. Les éléments budgétaires le prouvent, mais l'action au quotidien du Gouvernement aussi, je l'espère.
Concernant la lutte contre les violences faites aux enfants, certains regretteront un nouveau plan. Mais je crains que pour inverser la tendance nous ne soyons obligés d'en faire plusieurs. Celui-ci s'inscrit évidemment dans la continuité de ce que nous faisons depuis 2019 et a toujours le même objectif : protéger les enfants contre toutes les formes de violence, qui sont, comme nous le savons, polymorphes. Nous avons renforcé les moyens.
Nous avons inauguré, avec le ministre de l'intérieur et la Première ministre, l'office dédié aux violences faites sur les mineurs. Composé jusqu'alors de trente-cinq policiers, il en comptera quatre-vingt-cinq dans les jours qui viennent, du fait du regroupement de plusieurs services et de son renforcement. Il conduira les enquêtes les plus complexes, notamment sur les réseaux pédocriminels qui œuvrent en France et dans le monde ; il sera le point de contact en matière de coopération avec les acteurs internationaux, notamment les plateformes luttant contre la pédocriminalité en ligne ; il sera aussi le point de contact des acteurs de l'enfance, qui ont annoncé vouloir travailler davantage avec les associations et les acteurs publics, au premier rang desquels les départements ; il aura un rôle de coordination et d'impulsion voire de soutien dans les enquêtes pour l'ensemble des services de gendarmerie et de police chargées de la lutte contre les violences faites aux enfants, que ce soit les services de premier niveau ou les services spécialisés comme les brigades des mineurs ou les maisons de protection des familles. Son rôle sera très important pour rendre nos enquêtes plus efficaces, les prioriser, définir leur stratégie, ainsi que pour diffuser l'information et la doctrine de la Ciivise (commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), selon le vœu de celle-ci.
Nous avons aussi renforcé les moyens de la justice et de la police, dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, lequel est fortement en tension compte tenu de l'explosion des faits, des révélations et de la sensibilité générale aux violences faites aux enfants. Au titre de la prévention, nous avons décidé de renforcer les moyens mis dans les campagnes de communication. Celle sur l'inceste, conçue avec les associations, a eu un fort impact. Elle a permis une prise de conscience générale des chiffres inacceptables en matière de violences sexuelles. Grâce à vous, j'ai obtenu les crédits qui permettront de la poursuivre en mode sécurité routière. Ainsi, vous verrez encore au cinéma des campagnes permettant de mesurer, hélas, l'ampleur du problème.
Le ministre de l'éducation nationale a saisi le Conseil supérieur des programmes (CSP) pour toutes les questions d'éducation – à la vie affective pour les plus petits, sexuelle pour les plus grands. La protection des enfants face à toutes les formes de violences doit innerver ce parcours que nous souhaitons faire commencer très petit. Il ne s'agit pas de faire de l'éducation sexuelle dès le premier âge mais de la prévention aux agressions sexuelles, qui démarrent extrêmement tôt.
Nous avons renforcé les dispositifs de prévention et d'écoute : 36 ETP supplémentaires pour renforcer le dispositif Signal-Sports qui est très important, un enfant sur sept étant victime d'agression dans le monde sportif ; douze écoutants supplémentaires pour le 119 d'ici à la fin de 2024 ; quatorze pour le 3018 – des plateformes qui sont maintenant bien identifiées pour recueillir la parole de l'enfant.
Un vaste plan de formation interministériel est en cours dans les ministères les plus concernés – éducation, sport, justice, intérieur, culture. De futurs référents « formation aux violences sur les enfants » sont eux-mêmes formés pour être les interlocuteurs privilégiés dans chaque ministère. Nous souhaitons qu'un socle de formation soit partagé par tous les professionnels, comprenant le bloc Ciivise, mais aussi des informations sur d'autres formes de violences.
La Première ministre a acté l'extension des UAPED (unités d'accueil pédiatrique enfance en danger) dans tous les départements, en complément des salles Mélanie et des maisons des familles des gendarmes, afin d'être au plus près des victimes. Nous voulons renforcer les centres spécialisés dans la prise en charge du psychotraumatisme. On a pu mesurer, grâce aux travaux de la Ciivise, l'effet destructeur des violences subies par les enfants et l'importance de ces centres. Nous souhaitons également conserver la ligne d'écoute dédiée aux victimes adultes qui ont subi des traumas dans leur enfance.
L'autre volet important du CIE, c'est le renforcement de notre action en faveur des enfants vulnérables et protégés, grâce à quatre axes forts. Le premier, c'est la création de Scolarité protégée. Nous savons que, dès le début de la scolarisation des enfants confiés à des établissements ou à des familles d'accueil, nous ne faisons pas ce que nous devrions : il faut renforcer la présence de l'école aux côtés de ces enfants. À cette fin, le ministre de l'éducation nationale et moi-même avons annoncé un budget de 15 millions d'euros que nous prenons symboliquement sur celui du plan d'investissement. Le deuxième axe, c'est la généralisation de Santé protégée, et nous développerons Santé psy protégée, qui nous semble essentielle.
Le troisième axe concerne le champ du handicap, avec le renforcement de la contractualisation entre la protection de l'enfance, État, département et ARS et un doublement de l'enveloppe dédiée aux enfants protégés en situation de handicap, pour 50 millions d'euros. Le quatrième axe, c'est la création du pacte « jeune majeur », avec la constitution d'un pack d'informations pratiques, numériques et sur papier, sur leurs droits, qui leur sera remis dans leur dix-septième année, pour qu'ils sachent concrètement à qui s'adresser et comment construire leur post-majorité.
Au-delà du rappel des démarches à effectuer et du recensement des dispositifs existants, nous avons annoncé un soutien financier « coup de pouce » de 1 500 euros pour les jeunes majeurs sortant de l'ASE afin de faciliter leur accès à l'autonomie. Vous savez que les conditions d'attribution du pécule prévues par la loi de 2016 sont injustes : les enfants qui n'ont pas de famille n'ont pas de pécule, dans la mesure où celui-ci dépend de l'allocation de rentrée scolaire. Orphelins et pupilles de l'État n'en reçoivent pas. Pour d'autres raisons, les enfants des familles qui n'ont pas d'allocation n'ont pas de pécule non plus. Alors que 700 euros étaient versés, en moyenne, à ces enfants, nous passons à 1 500 euros, en veillant à ne priver personne des droits acquis.
Les annonces que nous avons faites au CIE sont des annonces sur lesquelles nous avons travaillé. Nous n'avons pas voulu préempter le temps politique que la Première ministre a annoncé il y a quelques jours devant les départements de France, qui aura lieu avant les vacances de fin d'année. Nous réunirons les ministres les plus engagés – santé, éducation nationale, intérieur et justice – et les départements pour un temps politique fort, de sorte qu'État et départements s'alignent sur les priorités et les moyens à définir pour sortir de la crise de la protection de l'enfance. Ce qui s'est dit hier n'est pas une réponse à la crise que nous traversons, ce sont des points apportés par l'État aux départements. Nous aurons un engagement politique beaucoup plus fort au mois de décembre.