Merci d'avoir bien voulu m'entendre sur un sujet aussi important et difficile. Il est important pour l'avenir du fret en France. Fret SNCF est bien évidemment un opérateur clé du secteur. Dans un contexte de transition écologique souhaitée et attendue, c'est bien évidemment un enjeu majeur. Il est important pour ses salariés, dont on comprend toutes les difficultés, mais aussi pour toutes les entreprises qui sont ses clientes et qui ont aujourd'hui besoin d'un service dont il s'agit d'assurer la continuité.
C'est un moment qui est difficile parce que la solution de discontinuité qui est en train de se mettre en place constitue un choc. Cette véritable inflexion va imposer beaucoup de transformations et, au-delà, beaucoup d'émotions. Nous sommes de surcroît dans un moment de ralentissement de l'activité économique. Ce n'est donc pas le moment le plus facile pour mener cette opération.
Le trafic de marchandises est plutôt orienté à la baisse. Dans ces moments-là, le secteur ferroviaire est toujours très concurrencé par les services de transport routier, qui ont des coûts fixes moins importants et peuvent être très agressifs en termes de coûts et de services. Les questions d'énergie ont également induit des difficultés ces derniers mois. J'ajoute que les épisodes de grève du début d'année ont affecté le secteur ferroviaire, sans oublier l'éboulement de la Maurienne, qui nous bloque pour aller vers l'Italie. Ce n'est donc pas le contexte le plus aisé pour mener cette transformation.
Pour nous, le fret ferroviaire et le ferroviaire en général sont l'armature des transports du futur. Le Gouvernement l'a clairement affirmé et c'est ce qui est en train d'être mis en place avec conviction et détermination. C'est un objectif majeur de la planification écologique telle que la décline le plan d'avenir pour les transports décidé par la Première ministre. C'est plus que crédible compte tenu du développement du trafic de passagers. Le vrai enjeu est que cela devienne une réalité crédible pour le fret, où il s'agit davantage d'une projection que d'une réalité aujourd'hui.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et jusqu'aux années 1980, le fret ferroviaire représentait 70 % du transport de marchandises. Sa part est ensuite passée à 20 % dans les années 1990. Depuis 2005, il ne représente plus que 10 %. De vraies crises ont affecté ce secteur, qui est très déficitaire depuis le tournant des années 2000. Il stagne depuis 2010 malgré tout un ensemble de plans sur lesquels vous avez dû revenir au cours de vos différentes auditions.
Ces différents plans, qui ont été plus ou moins mis en œuvre, n'ont pas permis le relèvement du secteur. L'ensemble des dispositifs d'aide n'avait pas été mis en place comme aujourd'hui. La restructuration du secteur elle-même n'avait pas été menée. Depuis 2010, un cadre beaucoup plus incitatif a progressivement été mis en place. Par ailleurs, l'entreprise Fret SNCF s'est profondément restructurée. L'outil industriel a été redimensionné. Il correspond beaucoup mieux au trafic actuel, ce qui devrait lui permettre de repartir sur une base plus solide. Au tournant de l'an 2000, les actifs de Fret SNCF étaient deux à trois fois plus importants qu'aujourd'hui.
Il en est de même du nombre d'employés, qui a lui aussi été réduit. La libéralisation intervenue en 2007 n'a pas été le déclencheur des difficultés : ces dernières lui ont préexisté. Au niveau européen, la libéralisation a été conçue comme un outil pour répondre à la chute du fret ferroviaire. Au cours des vingt années précédant la libéralisation, le trafic en camion a été multiplié par deux à l'échelle européenne tandis que le fret ferroviaire a été divisé par deux.
Aujourd'hui, nous en sommes à l'étape de la préparation de la discontinuité. Depuis cinq ans, nous avons posé un cadre de développement du fret ferroviaire qui n'existait pas jusqu'à présent, avec tout un ensemble d'aides et une stratégie qui se veut complète, la stratégie nationale de développement du fret ferroviaire. Son premier atout est d'avoir été co-construite avec tous les acteurs, qui sont par conséquent concernés par l'ensemble des aides. Le fait qu'ils soient solides nous met à l'abri des difficultés qu'on a pu connaître.
Cette stratégie est structurée autour de quatre axes. En ce qui concerne le modèle financier, un ensemble d'aides a été mis en place, tant pour réduire les péages que pour augmenter le transport combiné. Il y a également des aides pour le démarrage de lignes et le wagon isolé. Elles sont extrêmement importantes pour la suite de l'activité de Fret SNCF, qui va en partie se réduire sur ce champ. Pour autant, il restera des trains massifs dits complets.
Le deuxième champ concerne tout ce qui a trait à la qualité de service, avec tout un travail sur les procédures de commandes, les sillons, la digitalisation des services et les relations avec le gestionnaire d'infrastructures. Le troisième champ concerne le développement des infrastructures, qui constitue un axe extrêmement important et sur lequel beaucoup de financements ont été prévus. Dans le cadre du plan de relance, 500 millions d'euros ont déjà été mis en place. Des contrats de plan État-région (CPER) très ambitieux ont été négociés.
Le quatrième axe, qui n'est pas strictement dans la stratégie à proprement parler, n'en est pas moins important. Il s'agit du travail que nous sommes en train de mener sur le lien avec les ports et les axes fluviaux. En fait, c'est une stratégie de développement des transports massifs par axe qui concerne tout un ensemble d'opérations qui dépassent le champ du fret ferroviaire. Un certain nombre d'actions menées y contribuent – je pense notamment au contournement de Lyon et à l'axe Lyon-Turin.
L'action fondamentale est sans doute la régénération du réseau ferroviaire : il n'y aura de fret ferroviaire que si le réseau est en bon état. Si l'on construit l'attribution de capacités de façon solide, un travail technique autour des plateformes dites de services et d'infrastructure doit être mené afin de mieux allouer les sillons et veiller à ce que le fret ferroviaire ait les capacités nécessaires. Nous sommes convaincus que ce plan global va nous permettre de relever le défi du ferroviaire.
Concernant la question de la discontinuité, je n'en ai pas vécu la genèse. À mon arrivée, j'ai repris le fil de ce travail qui remonte à 2017, voire un peu avant. Tout cela a abouti à une décision qui a été prise au mois de mai. C'est certainement la moins mauvaise des décisions qui pouvaient être prises. D'autres scénarios, notamment ceux qui consistaient à attendre de voir ce qui se passe, étaient une forme de roulette russe en allant au-devant d'une catastrophe annoncée. Lorsque la commission ouvre une procédure, c'est que sa conviction est plus que faite quant à son issue. La solution de discontinuité relève d'un choix raisonné, réfléchi et mesuré.
C'est un compromis qui nous semble être le moins mauvais. Il garantit que Fret SNCF ne soit pas privatisé, que le périmètre des flux qui lui sont retirés soit limité, que les salariés soient accompagnés et que la viabilité des deux entreprises qui vont en ressortir soit réelle. Il reste maintenant à accompagner tout cela. C'est ce que nous faisons au quotidien. Il s'agit de préserver une continuité afin qu'il n'y ait pas de perte ou de report vers le transport routier parmi ces vingt-trois flux, et plus généralement de se préparer à cette transformation, qui comporte beaucoup d'étapes, y compris sur le plan social.