Intervention de Benjamin Haddad

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 21h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenjamin Haddad, rapporteur pour avis :

Je me réjouis que la commission des affaires étrangères se soit saisie pour avis du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Les migrations sont un sujet de politique étrangère, si l'on veut comprendre leurs causes profondes – géopolitiques, économiques, climatiques – et les raisons de leur amplification récente, dans le but de formuler des réponses. Dans beaucoup de nos démocraties, l'immigration est devenue symptomatique d'un sentiment de perte de contrôle et d'impuissance des politiques publiques face aux grandes transformations du monde.

Sur la question migratoire, le repli nationaliste et la fermeture des frontières sont une illusion. Les exemples qui nous entourent, de l'Italie au Royaume-Uni, le montrent amplement. L'immigration est au cœur de l'articulation de nos souverainetés nationales et de la coopération européenne. La révolution du pacte européen sur la migration et l'asile, dans l'élaboration duquel la France a joué un rôle pilote, permettra notamment de mieux contrôler nos frontières extérieures, grâce au renforcement de Frontex – l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes – et au premier examen des demandes d'asile à la frontière, grâce à la solidarité entre États membres pour aider les pays d'arrivée tels que l'Italie et grâce à la coopération avec les pays de départ et de transit, notamment par le biais de la politique d'aide au développement.

Une Europe politique qui s'assume doit être capable d'assurer sa sécurité, de défendre ses intérêts commerciaux et technologiques, de promouvoir ses normes dans le domaine environnemental ou numérique et, aussi, de maîtriser ses frontières. Tel est le sens de l'action de la France depuis dix ans. Le débat que nous aurons au cours des prochaines semaines s'inscrit dans ce contexte.

Le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration est le fruit d'un engagement fort du ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin. Au Sénat, le texte a été modifié et étoffé. Je remercie les sénateurs de leur travail : on nous prédisait des blocages et des postures, nous avons au contraire assisté à un travail constructif. J'espère que, toutes différences et tous désaccords assumés, l'Assemblée nationale s'engagera dans ce débat avec le même esprit.

Le projet de loi repose sur trois grands principes : la simplification des procédures, avec notamment la réduction du nombre de recours administratifs en cas de décision d'expulsion et la réforme du fonctionnement de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la CNDA ; le renforcement de l'intégration par le travail et la langue ; enfin, la fermeté, avec le rétablissement des critères de double peine, ce qui permettra d'expulser 4 000 étrangers délinquants présents sur notre sol.

Notre pays est accueillant pour ceux qui y viennent pour travailler et s'intégrer ; il doit être d'une fermeté absolue avec ceux qui ne respectent pas nos règles et n'ont pas vocation à rester sur notre territoire. Disons-le clairement : les Français ne comprennent pas que nous ne parvenions pas à expulser des délinquants multirécidivistes faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Notre objectif est simple : être aussi efficaces que possible pour maîtriser l'immigration dans le respect de nos valeurs, de nos principes républicains et de notre histoire. La France est fière d'être un pays d'immigration ancienne, riche de ce que cette dernière lui a apporté. Face à l'accélération des flux migratoires en Europe, il est nécessaire de préparer notre pays aux défis qui l'attendent et de lui permettre d'assurer la maîtrise de ses frontières.

Celui qui le dit est le petit-fils d'Isaac, devenu Jacques, et de Nasria, devenue Roselyne, accueillis en France il y a soixante ans, comme tant d'autres, parce qu'ils fuyaient l'antisémitisme. La France leur a tout donné ; ils le lui ont bien rendu en s'assimilant par la langue française et par le travail, et en respectant ses traditions, son histoire et ses lois. Je ne serais pas devant vous aujourd'hui si la France n'avait pas été généreuse et ouverte avec ceux qui avaient besoin d'un refuge et si les générations qui m'ont précédé n'avaient pas travaillé dur pour être à la hauteur de cette générosité. C'est animé de cette double gratitude et de cette double dette que j'aborde les débats.

Les articles dont nous sommes saisis concernent au premier plan notre politique étrangère et notre diplomatie. L'article 1er A introduit par les sénateurs prévoit l'organisation d'un débat au Parlement sur les orientations pluriannuelles de notre politique d'immigration et d'intégration, accompagné d'un rapport. Je ne peux que me réjouir d'une amélioration de l'information de la représentation nationale, que je proposerai de compléter d'une information sur la dimension externe des migrations et leurs causes structurelles.

Le Sénat a également souhaité que le Parlement détermine par quotas le nombre d'étrangers admis à s'installer durablement en France. Sur le principe, ce débat est légitime et intéressant mais il soulève de vraies questions constitutionnelles, notamment d'égalité devant le droit. Je proposerai donc de remplacer ces quotas par la présentation d'objectifs chiffrés pluriannuels par le Gouvernement. Chaque année, le Gouvernement présentera devant la représentation nationale ses résultats et justifiera les écarts avec les objectifs prévus, au bénéfice de la transparence et de la démocratie.

S'agissant du renforcement de la fermeté envers ceux qui ne se conforment pas aux règles de la République, je me réjouis de l'allongement à cinq ans de la durée d'interdiction de retour dont le préfet peut assortir une OQTF, prévu à l'article 18 introduit par le Sénat.

L'article 18 bis, dont les dispositions figuraient à l'article 18 du texte initial, réécrit par le Sénat, instaure un motif de refus de visa opposable si l'étranger concerné ne peut pas démontrer avoir respecté les modalités d'exécution d'une OQTF prononcée depuis moins de cinq ans. Cette disposition est essentielle. Il ressort à notre souveraineté nationale d'accorder ou non une autorisation de visa et nous devons nous rendre à l'évidence : les étrangers en situation irrégulière sur le territoire national, qui ne respectent pas les obligations de quitter le territoire dont ils ont fait l'objet, ne doivent pas disposer du même droit au visa que les autres.

La fermeté s'exerce aussi envers les passeurs, qui sont des criminels, des entrepreneurs de la mort et du désespoir, dont l'activité finance le trafic de drogue, le terrorisme et la prostitution. Alors qu'ils ne peuvent à l'heure actuelle être poursuivis que pour des délits, le texte permet de renforcer considérablement notre réponse pénale et de l'aligner sur celle de nos voisins européens.

Les articles 19 et 20 visent à simplifier la procédure d'asile. La création des pôles territoriaux « France asile » et la présence d'agents de l'OFPRA en leur sein permettront d'améliorer les délais de procédure sans affecter les garanties offertes aux demandeurs d'asile. L'expérimentation prévue par le Sénat ne me semble pas nécessaire, dans la mesure où nos services sont prêts à entamer cette transformation dès à présent, progressivement, comme l'ont confirmé les responsables de l'OFPRA que j'ai auditionnés la semaine dernière.

La territorialisation de la CNDA et le recours au juge unique amélioreront le fonctionnement de la justice de proximité. Depuis 2018, nous avons réduit de moitié les délais de la CNDA, qui sont passés d'un an à cinq mois. Notre objectif est clair : offrir des réponses de proximité et aller plus vite, à taux de protection inchangé. Il y va de l'effectivité de ce droit fondamental qu'est l'asile, afin que ceux qui doivent en bénéficier y accèdent et s'intègrent rapidement et que ceux qui n'en remplissent pas les conditions quittent le territoire.

L'article 14 A instaure des mesures nécessaires à notre diplomatie. Car, si la délivrance des visas est, certes, un outil de gestion et de restriction des flux, elle est aussi un levier de politique étrangère. Il n'y a aucune raison pour que les États qui ne reprennent pas leurs ressortissants expulsés bénéficient du même traitement que les États coopératifs. Les Français ne comprennent pas qu'il en aille autrement.

Cet outil a déjà été utilisé par l'Exécutif avec les pays d'Afrique du Nord. Cette politique a porté ses fruits l'an dernier, le nombre de laissez-passer consulaires délivrés ayant sensiblement augmenté. Je proposerai de conserver le dispositif en ciblant plus spécifiquement les personnes concernées par cette politique de restriction, notamment en excluant les visas étudiants. Ces derniers sont essentiels pour l'attractivité de nos universités et de notre territoire ; tel est l'objectif du plan « Bienvenue en France » lancé par le président de la République.

Par ailleurs, je crois en la nécessité de viser et de pénaliser les États, les décideurs, et non les populations. Je proposerai donc de renforcer la proposition du Sénat en incluant dans le dispositif les visas sollicités par les titulaires de passeports diplomatiques ou de service.

Le Sénat a ajouté au texte la modulation de l'aide au développement vis-à-vis des États non coopératifs en matière migratoire et la prise en compte de leur degré de coopération dans les dotations de l'Agence française de développement (AFD). La politique de développement est un outil de nos politiques publiques extérieures. Elle doit donc s'inscrire aussi dans la défense de nos intérêts, de notre influence et de nos objectifs diplomatiques. Je ne suis pas opposé à la conditionnalité de l'aide au développement, à condition encore une fois de cibler les États et leurs responsables, et non les populations et la société civile. Je proposerai donc d'amender la disposition adoptée par le Sénat pour ne pas pénaliser des projets de développement multi-annuels bénéficiant directement aux populations.

L'immigration est un sujet passionné, passionnel, intime pour beaucoup. J'espère que nous aurons des débats constructifs, à la hauteur de ceux de la chambre haute. Je crois en notre capacité de travailler ensemble et d'assumer des désaccords mais aussi de trouver des convergences et des compromis.

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