Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du jeudi 30 novembre 2023 à 21h30
Réouverture des accueils physiques dans les services publics — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Nos concitoyens nous alertent de plus en plus sur la disparition des services publics et le recul de l'État, en particulier, dans les territoires ruraux, insulaires et ultramarins. Le risque d'une rupture du lien entre usagers et administration territoriale reste présent, en dépit des annonces du Gouvernement et des moyens déployés. En réaction, cette proposition de loi pose le principe d'un retour à la logique du guichet physique et à l'accompagnement en présentiel du public, objectif auquel souscrit pleinement le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires.

Certes, pour une majorité d'usagers des services publics, la dématérialisation représente une avancée. Néanmoins, cette transformation numérique ne doit pas s'opérer à marche forcée, sans tenir compte des difficultés bien réelles que rencontre une partie de la population. En effet, depuis le début des années 2000, une nouvelle fracture numérique s'ajoute aux fractures sociales et territoriales. Environ 15 % des Français, qui sont en situation d'illectronisme, n'ont pas la capacité d'utiliser les dispositifs numériques ni d'effectuer des démarches en ligne.

En prévoyant un accompagnement, en plus d'un accueil physique, à chaque étape administrative, la proposition de loi vise à apporter une solution concrète aux usagers. Dans son étude annuelle de 2023, intitulée « L'usager, du premier au dernier kilomètre de l'action publique : un enjeu d'efficacité et une exigence démocratique », le Conseil d'État part du constat qu'un fossé s'est creusé entre usagers et action publique ; il rappelle que certaines transformations, si elles sont bénéfiques pour la majorité des usagers, ont des conséquences négatives pour certains publics. La situation lèse à la fois les publics fragiles, en particulier les usagers âgés ou en situation de précarité, et les publics des territoires ruraux, insulaires et ultramarins, qui sont déjà éloignés des administrations.

Je prendrai l'exemple de la Corse, île-montagne, qui cumule de nombreuses difficultés liées notamment – mais pas seulement – à la géographie. Dans ce territoire comme dans d'autres, contrairement aux idées reçues, la fracture numérique ne concerne pas uniquement les personnes âgées, mais aussi de nombreux actifs, ainsi qu'une part non négligeable des jeunes. En effet, il faut composer avec les difficultés inhérentes au relief. Par exemple, dans le cap Corse, situé dans mon département et constitué d'une succession de vallées profondes, la radio, le téléphone ou encore internet ne sont pas diffusés convenablement, malgré les efforts fournis. En conséquence, la numérisation des services signe carrément l'abandon de tels territoires.

Comment ne pas évoquer, en outre, l'éparpillement communal ? La Corse est parsemée de villes côtières et de villages en hauteur, reliés par des routes sinueuses imposant des trajets longs et éprouvants. Toute suppression ou tout regroupement de services publics a donc pour effet d'inciter un peu plus à la désertification. J'appelle une fois de plus au maintien des guichets postaux et des services publics, en Corse comme ailleurs.

Notre groupe reconnaît les efforts et les moyens déployés ces dernières années pour mettre fin à l'éloignement de l'État dans les territoires. Ainsi, la réouverture de certaines sous-préfectures représente un signal positif, et les 2 600 espaces France Services constituent un réseau essentiel bâti selon la logique du guichet unique. Cependant, ces moyens restent souvent insuffisants dans les zones rurales ou ultramarines. En outre, au-delà du périmètre des préfectures, l'ensemble des services publics nationaux de l'État ou de la sécurité sociale ont reculé ou disparu.

Sans nier l'utilité des téléprocédures et des téléservices, notre groupe estime que la numérisation, faute de moyens, se déroule dans des conditions contraires à la tradition du service public, dont je rappelle qu'il se fonde sur trois piliers : la continuité, l'égalité et la mutabilité. Force est de constater qu'une simple téléprocédure, sans dispositif de substitution pour s'adapter aux besoins des usagers et des territoires, ne saurait se montrer à la hauteur de ces principes.

Notre groupe s'inquiète également de la déresponsabilisation de l'administration. L'État territorial a tendance à se décharger sur d'autres acteurs, en particulier sur les collectivités et sur le secteur associatif.

Nous sommes donc pleinement favorables à l'article 1er de la proposition de loi. Sans revenir sur la montée en puissance du téléservice, il obligera l'administration à maintenir un site d'accueil physique afin de recevoir les usagers qui en feront la demande. Cela permettra par la même occasion de maintenir le lien avec l'usager et de garantir qu'il sera accompagné à chaque étape de toute démarche administrative.

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