Près d'un demi-siècle après René Dumont, ce que vous ne voulez toujours pas voir, c'est que le manque d'eau est l'une des urgences écologiques les plus vitales à laquelle la France est confrontée, et cela depuis longtemps : deux tiers des zones humides détruites en quarante ans ; des pans entiers du territoire national reconnus zones de répartition des eaux (ZRE) depuis près de trente ans, c'est-à-dire en état de déséquilibre chronique entre l'eau disponible et la consommation de l'agriculture, précipitée dans ce piège par les primes à l'irrigation de la politique agricole commune (PAC) ; 93 % des rivières contaminées par les pesticides ; des centaines de captages d'eau potable qui ferment chaque année ; trois condamnations par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ; six rapports de la Cour des comptes sur la mauvaise gestion de l'eau.
Le nouveau régime climatique, avec la baisse déjà constatée de 14 % du volume annuel d'eau renouvelable, la litanie des sécheresses – soixante-quinze départements touchés en 2023, quatre-vingt-treize en 2022 – pousse à son paroxysme une situation qui était déjà hautement critique. Et pour cause : dans les Deux-Sèvres par exemple, la taille des parcelles a été multipliée par vingt en cinquante ans ; 80 % du linéaire de haies et 70 % des prairies ont été détruits. C'est toute la capacité de régénération des nappes phréatiques qui a été liquidée.
Or, chers collègues, si nous pouvons débattre de la substitution de telle énergie par telle autre, rien ne remplace l'eau, qui est essentielle à la vie. Au lieu de regarder la réalité en face et de chercher à dénouer les conflits d'usage de l'eau dans l'intérêt de la nation, dans mon département comme ailleurs en France, le Gouvernement a choisi la méthode de la brutalité, au point que les préfets perçoivent désormais une prime au passage en force et sont rémunérés au nombre de bassines construites : prime pour le mépris des habitantes et des habitants, des associations et des 214 élus locaux qui, ayant signé un appel pour l'eau et pour la paix dans les Deux-Sèvres dans lequel ils demandent instamment et solennellement à l'État de prononcer un moratoire sur les travaux et d'ouvrir des assises de l'eau, obtiennent pour toute réponse le démarrage de nouveaux chantiers !
Cette fuite en avant est sans issue. Il est temps de dire stop et d'inscrire dans la loi trois principes d'une politique de l'eau résiliente. Premièrement, l'eau n'est pas inépuisable, elle va être de plus en plus rare ; la décroissance de la consommation d'eau s'impose, pour préserver les usages les plus vitaux. Deuxièmement, l'eau, essentielle à la vie, est un bien commun, dont la gestion ne peut être que transparente, démocratique et partagée. Troisièmement, notre résilience et celle de l'agriculture doivent reposer d'abord sur des solutions d'adaptation au changement climatique fondées sur la nature : cela coûte moins cher et c'est plus efficace.
Pour le groupe Écologiste – NUPES, le moratoire n'est qu'un préalable. Il ne s'agit pas d'arrêter les mégabassines, puis de ne rien faire. Le statu quo n'est pas une option face à l'accélération du changement climatique. Aujourd'hui, la représentation nationale doit choisir une issue démocratique qui est la voie de la sagesse : la sagesse de se fonder sur les avis scientifiques qui dénoncent la maladaptation que constituent les bassines ; de rechercher partout la concorde, plutôt que le conflit et le passage en force ; d'admettre que l'approvisionnement en eau potable, désormais menacé, est une question de sécurité nationale ; de reconnaître la communauté d'intérêt qui existe entre les citoyennes et citoyens et les agricultrices et agriculteurs. Car les causes du manque d'eau et de l'effondrement vertigineux de la biodiversité sont exactement les mêmes que celles du malheur des agriculteurs, de moins en moins nombreux, mal rémunérés, vivant sous le seuil de pauvreté, victimes de maladies professionnelles, de burn-out et de suicides. Elles ont le visage de l'agriculture chimique et industrielle qui détruit le vivant autant qu'elle exploite les humains.
Le groupe Écologiste votera pour un moratoire sur les mégabassines. Nous défendrons des amendements afin que tous les projets en cours soient concernés, que toutes les décisions de justice soient respectées et que de nouvelles règles s'appliquent enfin en matière d'irrigation agricole. La France doit faire le choix d'un tournant historique dans la politique de l'eau. Un moratoire en est la première étape incontournable.