Intervention de Gérard Leseul

Séance en hémicycle du mercredi 29 novembre 2023 à 14h00
Motion de censure — Discussion et vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Leseul :

Ainsi, la participation forfaitaire, c'est-à-dire la fraction du prix payé par le patient qui ne lui sera pas remboursée, passera de 1 euro à 2 euros par consultation, et la franchise médicale, qui procède du même principe, de 0,50 à 1 euro par boîte de médicaments. Cela peut paraître anecdotique à beaucoup d'entre vous, mais l'augmentation pèsera dans certains budgets à la fin de l'année, voire du mois !

Cette mesure est présentée par les néolibéraux comme un moyen de responsabilisation, pour éviter la surconsommation de soins. Or, madame la Première ministre, la réalité des territoires, celle de nos communes rurales ou périurbaines, ce n'est pas une surconsommation, mais bien les difficultés que rencontrent les personnes âgées pour avoir un médecin traitant, celles des gens qui renoncent à se soigner faute de trouver un praticien, qui pour consulter un médecin spécialiste, après avoir attendu quatre, cinq, sept mois, doivent encore parcourir des dizaines de kilomètres. Soyons lucides, soyons sérieux : le système de santé offert par l'État n'est plus le même en tout point du territoire. Ce n'est pas acceptable, et vous devriez en priorité vous attaquer à ce sujet qui a fait l'objet de propositions transpartisanes, comme celle de Guillaume Garot, dont vous n'avez pas voulu vous saisir.

Autre mesure procédant de cette logique de rabotage, l'application d'un malus au remboursement des frais de transport, si le patient refuse que ce transport soit partagé, suscite des interrogations. J'ai rencontré dans ma circonscription des professionnels et des usagers qui ne comprennent pas cette décision, qu'ils perçoivent comme parisienne, inadaptée à la réalité périurbaine ou rurale, alors même que le transport sanitaire partagé est largement pratiqué à l'échelon local, dans le cadre de la gestion des entreprises de transport et en bonne intelligence avec les patients. Un habitant de ma circonscription atteint d'une pathologie particulièrement invalidante doit régulièrement se rendre, en vue de son traitement, au centre hospitalier universitaire (CHU) le plus proche, à 30 kilomètres de son domicile. Il souffre d'une incontinence due à sa pathologie : lorsque le taxi qui le véhicule effectue un transport sanitaire partagé, c'est en tenant compte de telles difficultés et en adaptant en conséquence le trajet, comme le covoiturage. Désormais, nous pouvons craindre une dégradation du service au détriment de la prise en charge du patient. De plus, les centres hospitaliers ou centres de santé des petites villes drainant moins de patients que les CHU, des transporteurs ont déjà fait savoir que des transports partagés plus longs et moins évidents les conduiront à délaisser certaines destinations.

Nous n'acceptons pas de faire des économies de bouts de chandelle au détriment des patients et du système de santé. Plutôt que de raboter notre système social, il serait de bonne politique d'arrêter d'appauvrir la sécurité sociale en diminuant sans cesse les contributions rebaptisées « charges » par votre doxa libérale.

Il n'est pas plus compréhensible qu'un arrêt de travail délivré par télémédecine ne puisse excéder trois jours. Si la télémédecine n'est pas parfaite, elle permet d'accéder plus vite à un médecin. En outre, cette disposition laisse entendre qu'une consultation à distance n'équivaut pas à une consultation physique ; or, si tel est le cas, la question n'est pas celle de la durée de l'arrêt de travail, mais bien celle du recours à cette pratique, notamment pour résoudre le problème des déserts médicaux – vous proposez d'y développer des procédés dont vous-mêmes jugeriez qu'ils ne valent pas la présence physique d'un médecin ! Encore une fois, faisons preuve de cohérence et de sérieux : la télémédecine équivaut-elle à la médecine ? Si la réponse est non, nous devrons en tirer les conclusions.

Enfin, mesure emblématique de votre projet, la ponction opérée aux dépens des régimes de retraite complémentaire de l'Agirc-Arrco afin de réduire le déséquilibre du système par répartition suscite une forte opposition des contributeurs et des organisations syndicales. Il est incompréhensible, là encore, de sanctionner la bonne gestion qui a valu à cette caisse son bilan positif ; or c'est bien en la faisant contribuer que vous envisagez de financer certaines mesures annoncées pendant les débats au sujet de la réforme des retraites. Lors de l'examen du texte, nous avions pourtant proposé des solutions alternatives de financement afin de revaloriser les petites pensions et d'assurer l'équilibre du système, sans report de l'âge légal de départ permettant une retraite à taux plein. Ce prélèvement sur les ressources de l'Agirc-Arrco réduirait les marges de manœuvre des partenaires sociaux pour revaloriser les retraites complémentaires, ce qui, en période d'inflation, serait pour le moins injuste.

À l'issue de la navette parlementaire et à la lecture du PLFSS définitif, il est clair que vous avez méthodiquement détricoté les apports du Sénat pour, sauf quelques modifications sans incidence, revenir à la rédaction adoptée, elle-même par application du 49.3, en première lecture à l'Assemblée nationale.

Concernant la forme, nous regrettons et dénonçons la mise à l'écart de la représentation nationale dans la construction du texte ; concernant le fond, nous déplorons son absence d'ambition et les coups de rabot portés au système. Le rééquilibrage des comptes de la sécurité sociale ne peut recourir uniquement à la réduction des dépenses et doit également s'appuyer sur l'augmentation des recettes, ce qui requiert une fine évaluation de l'efficacité des 73,6 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales supportées par le système. Parce que ce texte a été adopté en tordant le bras de la représentation nationale, parce qu'il n'apporte aucune solution crédible aux difficultés du système de santé et de prise en charge, parce qu'il évite d'aborder les enjeux majeurs de la santé mentale, environnementale, de la perte d'autonomie ou de la santé au travail, parce qu'il s'inscrit dans une perspective d'austérité budgétaire et de réduction des services offerts à nos concitoyens, nous voterons pour cette motion de censure. Elle est notre seul outil constitutionnel pour repousser ce mauvais projet de loi.

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