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Intervention de William Martinet

Séance en hémicycle du mardi 28 novembre 2023 à 15h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaWilliam Martinet, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Je pense au non-respect du rythme des bébés, qui n'est pas compatible avec les cadences infernales, avec les soins prodigués à la chaîne et avec l'organisation quasi industrielle du travail dans certains établissements. Je pense aussi au non-respect du besoin de référence, qui renvoie à la construction d'un lien affectif entre l'adulte et l'enfant qu'il accueille. Un tel lien est impossible à mettre en œuvre lorsque les professionnelles concernées sont précaires, interchangeables et soumises à un important turnover.

Ce dont je voudrais vous convaincre, chers collègues, c'est que la maltraitance ne tombe pas du ciel. Elle ne peut pas non plus se résumer à une succession d'erreurs individuelles ou d'actes malveillants : elle trouve son origine dans le modèle économique des crèches.

Rappelons quelles sont les sources de financement d'un établissement d'accueil de jeunes enfants : d'abord, les frais d'inscription payés par les parents, qui sont parfois prohibitifs, surtout lorsqu'il s'agit de microcrèches ; ensuite, le financement de la CAF – caisse d'allocations familiales –, que certains comparent à la tarification à l'acte du milieu hospitalier, car il pousse de la même façon à faire du chiffre au détriment de la qualité ; enfin, le tiers financeur, le plus souvent la commune, pour qui la petite enfance ne relève pas d'une compétence, qui ne dispose pas de financements dédiés et dont les budgets sont déjà exsangues.

Le corollaire de la faiblesse de ces financements, c'est la difficulté à proposer des salaires attractifs pour recruter des professionnelles qualifiées. Le métier est aussi exigeant que les rémunérations sont faibles : la plupart des professionnelles sont au Smic et même les plus diplômées d'entre elles, éducatrices de jeunes enfants (EJE) ou infirmières puéricultrices, commencent leur carrière à peine plus haut que le salaire minimum.

Voilà pourquoi le secteur est confronté à une grave pénurie : selon la CAF, 10 000 places sont fermées faute de professionnelles. Mais au-delà des places fermées, il faut imaginer la souffrance qui se fait jour dans un collectif de travail mis en tension par le sous-effectif, le sentiment de ne pas faire son travail correctement, la culpabilité de prendre des jours de congé ou de se mettre en arrêt maladie, et l'épuisement professionnel se traduisant parfois par un burn-out.

Voilà plus d'une décennie que la réponse politique à la pénurie consiste principalement à baisser les exigences en matière de qualification des professionnelles. Ce mouvement de dérégulation a aggravé le problème qu'il prétendait traiter : moins les professionnelles sont qualifiées et moins elles sont nombreuses, plus les conditions de travail se dégradent. L'attractivité du métier n'a malheureusement jamais été aussi faible.

Résumons : il y a d'un côté des financements insuffisants, de l'autre une pénurie de professionnelles qualifiées. Il paraît donc difficilement contestable que le modèle économique des crèches est à revoir. Il produit une qualité d'accueil des enfants que l'Igas a pudiquement qualifiée d'« hétérogène ». En d'autres termes, il n'est pas possible de garantir que partout, quoi qu'il arrive, les enfants seront bien traités ; en tant que parlementaires, un tel constat devrait suffire pour nous pousser à agir.

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