C'est un cri d'alarme que j'adresse à M. le ministre de la santé de la prévention : la psychiatrie publique manque de tout, de médecins, de soignants, de lits, de moyens en général. Dans ce tableau dramatique, la Haute-Garonne fait partie des départements les moins bien dotés de France car les moyens de la politique sectorielle n'ont pas suivi l'explosion démographique du département.
Au début des années 1970, un secteur de psychiatrie adulte couvrait environ 70 000 habitants. Aujourd'hui, c'est plus de 170 000, voire jusqu'à 200 000 habitants. Vous rendez-vous compte ? Derrière ces chiffres, il y a des situations dramatiques : il faut six mois à plus d'un an d'attente pour un premier rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP). Évidemment, les patients qui n'ont pas pu être pris en charge à temps finissent par atterrir aux urgences un jour de crise. Mais les urgences sont également saturées. Alors certains d'entre eux se retrouvent à dormir plusieurs nuits sur des brancards, dans des pièces sans fenêtre. Ils doivent parfois même être sédatés dans le hall, devant d'autres patients. Les soignants sont désespérés. C'est à des êtres humains en situation de détresse psychique qu'on fait cet accueil catastrophique. Les conséquences de ce manque de moyens chronique, c'est l'inhumanité, tout simplement…
La Haute-Garonne connaît une répartition particulièrement déséquilibrée des moyens entre secteurs public et privé : on compte un lit dans le secteur public pour quatre lits dans le secteur privé. C'est unique en France, et ce n'est pas anodin, parce que le secteur privé, qui obtient l'essentiel des ouvertures de lit ces dernières années, ne prend pas sa part dans la prise en charge des situations les plus complexes – hospitalisation à la demande d'un tiers, personnes en situation de grande précarité, patients cumulant souffrance psychique et addiction. En outre, l'Occitanie est l'une des régions les plus pauvres de France, la précarité se concentrant autour de la métropole toulousaine. Or cette précarité tend à fragiliser les personnes sur le plan psychique et rend plus difficile l'accès aux droits et aux soins.
Face à cette situation, un collectif d'une centaine de médecins psychiatres a interpellé le ministère en 2019 afin de demander le renforcement de la politique de secteur. La création d'un neuvième secteur avait même été envisagée par l'agence régionale de santé (ARS), qui avait mis en place un groupe de travail, interrompu au moment de la crise sanitaire du covid-19.
Tous les personnels de santé que j'ai rencontrés m'ont fait part de la même demande : il faut renforcer les moyens de la politique de secteur dans l'organisation de la psychiatrie publique, ce qui permettrait de répondre à la majorité des besoins. Au lieu de cela, on fait perdre un temps fou aux professionnels en leur demandant de répondre à des appels à projets, dans l'espoir d'obtenir des moyens via des dispositifs innovants, limités dans le temps – la start-up nation à l'assaut de la santé mentale, en somme !
Cet été, le centre hospitalier Gérard-Marchant a fermé temporairement le seul pavillon d'admission pour les jeunes adultes de toute la région Occitanie, faute de personnels, alors qu'un jeune adulte sur cinq présente des troubles dépressifs et que les situations de détresse psychique ont explosé depuis la crise sanitaire chez les jeunes. En septembre, la direction de l'hôpital a annoncé la fermeture de quinze lits au sein de deux unités d'hospitalisation. Il manque en effet seize médecins et trente infirmiers pour prendre correctement en charge les patients.
Se contenter de déplorer le manque de personnels dans le public pour justifier l'orientation des moyens vers le secteur privé est tout simplement irresponsable. Car si les soignants manquent en psychiatrie, s'ils n'en peuvent plus, c'est faute de moyens et de conditions de travail dignes de ce nom ; c'est le résultat d'années d'abandon, d'une politique de sacrifice de la santé publique sur l'autel de l'austérité budgétaire – comme le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, que vous avez honteusement adopté par voie de 49.3 dimanche à vingt et une heures, l'a encore confirmé.
Madame la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, allez-vous enfin entendre les professionnels de santé et doter l'ARS d'Occitanie de moyens suffisants pour garantir une psychiatrie publique de proximité ? Allez-vous, par exemple, créer un neuvième secteur de psychiatrie adulte en Haute-Garonne sans pour autant ponctionner les dotations accordées à d'autres départements ? Ou bien allez-vous poursuivre la privatisation de la prise en charge de la santé mentale, déjà si avancée dans notre département ?
Plus que des applaudissements et des déclarations émouvantes sur leur héroïsme pendant la crise sanitaire, les professionnels de la santé ont besoin de pouvoir exercer leur métier, de pouvoir faire ce pour quoi ils s'engagent corps et âme au quotidien : nous soigner.