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Intervention de Philippe Vigier

Séance en hémicycle du lundi 27 novembre 2023 à 16h00
Le chlordécone en martinique et en guadeloupe l'action de l'État face aux nécessaires réparations

Philippe Vigier, ministre délégué chargé des outre-mer :

Mesdames et messieurs les députés, messieurs les représentants de la société civile, je suis très heureux de me trouver parmi vous afin de faire le point concernant l'avancement du dossier du chlordécone, puis de répondre à vos questions à ce sujet ; celui-ci vient d'ailleurs de donner lieu à un important colloque, et nul n'ignore qu'il touche non seulement les Guadeloupéens mais aussi les Martiniquais. En Martinique, le mois dernier, j'ai eu la chance de participer à la première partie du comité de pilotage local et d'avoir avec les acteurs locaux des échanges riches, sans concession. Je mesure donc à quel point ce dossier suscite et continuera de susciter de vives émotions chez toutes les parties, au premier rang desquelles, naturellement, les citoyens.

Pour ne pas négliger l'histoire, je rappellerai que l'usage du chlordécone a été interdit en 1993, les dernières autorisations remontant à février 1992. C'est le Président de la République qui, en 2018, a reconnu le premier la responsabilité de l'État, déclarant dans son discours du Morne-Rouge : « La pollution à la chlordécone est un scandale environnemental, dont souffrent la Martinique et la Guadeloupe depuis quarante ans. […] Tout ça, c'est le fruit d'une époque qui est désormais révolue, où il faut bien dire, la conscience environnementale était moindre qu'aujourd'hui. Ce fut aussi le fruit d'un aveuglement collectif. » Vous connaissez mon passé professionnel : je suis extrêmement attaché à ce que nous développions la capacité d'informer les victimes de ce scandale d'État, de mieux protéger de ses conséquences, de les réparer dans la mesure du possible, avec une exigence de tous les instants, et d'en tirer les leçons – à cet égard, il est bon que le Parlement ainsi que les intervenants représentant la société civile aient pris ce sujet à bras-le-corps. Dans dix ans, dans trente ans, dans cinquante ans, qu'en sera-t-il ? Personne ne peut le dire, puisque, par exemple, la rémanence de ce produit – c'est-à-dire sa persistance dans le temps – n'est pas suffisamment connue ; c'est pourquoi nous consacrons à l'investigation, et surtout à la recherche scientifique, des moyens considérables.

En vue d'informer, de protéger et de réparer, comme je le disais à l'instant, neuf ministères ont été mobilisés dans le cadre d'un plan comprenant quarante-sept mesures destinées à tous les secteurs, copiloté par la direction générale de la santé (DGS) et celle des outre-mer (DGOM), avec l'appui d'une directrice de projet ; au niveau déconcentré, ce sont les préfets et les agences régionales de santé qui sont concernés. Vous l'aurez compris, nous voulons sortir du risque chlordécone, ce qui ne se fera pas sans dialogue – ayant été, en Martinique, impressionné par le sens des responsabilités dont témoignaient les interlocuteurs et par la qualité des échanges, je vous dirai très humblement que si des propositions ambitieuses en sont issues, nous sommes à l'écoute en vue de continuer d'améliorer les dispositifs et de mieux sensibiliser, car j'ai constaté que l'information ne se diffusait pas pleinement au sein de l'ensemble de la population. Encore une fois, information, prévention, réparation par l'action constituent autant d'exigences. Il faut parler du chlordécone : ne pas le faire reviendrait à commettre une nouvelle faute. Il importe également de tordre le cou aux arguments fallacieux qui circulent ; nous avons déjà à gérer suffisamment de conséquences pour ne pas suivre des pistes dont nous savons qu'elles conduiraient à de nouveaux drames. Nous ne reviendrons pas en arrière : nous devons anticiper et préparer l'avenir, en gardant l'humain au cœur de nos préoccupations.

S'agissant d'informer, le plan Chlordécone IV est ambitieux dans tous ses volets. Il vise à rétablir quelques vérités – le scientifique que je suis le répète, il faut admettre que nous ne connaissons pas encore tout –, à dissiper certains fantasmes. Si les inquiétudes sont nombreuses, il convient de ne relayer que celles qui se révèlent fondées, et d'affirmer très clairement que les autres ne le sont pas. Non, tous les sols ne sont pas contaminés, la cartographie l'a prouvé : il reste possible de cultiver des produits sains. Non, on ne peut pas, en l'état actuel des choses, et contrairement à ce qui s'écrit ici ou là, dépolluer les terres grâce à certaines plantes. Des travaux, je l'ai dit, sont engagés au sujet de la dépollution, y compris par l'action de végétaux susceptibles de transformer le chlordécone par chélation : ils n'ont pas encore dépassé le stade de la recherche. Par ailleurs, il reste possible, dans les terrains pollués, de cultiver des espèces peu sensibles à cette molécule ; ce qui importe, c'est sa concentration finale, que nous sommes parvenus à doser de manière fiable. Non, on ne peut pas dire que l'eau du robinet n'est pas potable : là encore, des dosages sont réalisés – il en existe aussi pour le sang –, des normes s'imposent, comme pour les dérivés de l'atrazine ou des nitrates – je rappelle d'ailleurs aux parlementaires que la France a renchéri sur les normes européennes concernant ces substances. Sortir du risque chlordécone est devenu possible, mais cela prendra du temps, même si, comme nous l'ont appris plus de 30 000 dosages, seule une partie de la population est affectée.

Le fait de protéger passe d'abord par la connaissance qu'il nous faut partager massivement : ainsi, le dosage de la chlordéconémie, que j'évoquais à l'instant, est totalement pris en charge lorsqu'il concerne les personnes, par prélèvement sanguin, ou les terres cultivables. Par ailleurs, je suis désormais en mesure de tenir la promesse que j'avais faite à Olivier Serva, de lui communiquer les résultats des dosages obtenus par les ARS en matière de chlordécone ; ils sont également à votre disposition, mesdames et messieurs les députés. Je tiens à souligner que ces dosages ne sont pas effectués dans l'Hexagone, mais sur place, en Guadeloupe par l'institut Pasteur, en Martinique par un laboratoire privé avec qui a été passé un contrat, puisque le CHU possède l'équipement nécessaire mais ne dispose d'aucun biologiste compétent. Du reste, je le répète, seule une partie de la population est concernée – 15 à 25 %, le reste se situant au-dessous du seuil de risque. Ce sont les chiffres : les histogrammes sont aisément accessibles.

Enfin, réparer par l'action, c'est à la fois reconnaître le préjudice, comme l'a fait le Président, et agir sur ses conséquences, lesquelles sont multiples et complexes ; c'est avoir un plan avec et pour tous ; c'est également restaurer la confiance, car entre 1993 et 2018, aucun réveil des consciences n'a eu lieu, alors même qu'étaient incriminés d'autres pesticides interdits.

Un silence a persisté durant vingt-cinq ans, avant que la conscience collective ne se réveille par la voix du Président de la République. Il est vrai que le lien qui unissait les Martiniquais, les Guadeloupéens et l'État central s'est distendu. Par le plan Chlordécone et par notre volonté de protéger et de réparer, il est indispensable que ce lien se reforme.

S'agissant du dosage du chlordécone dans le sang, 30 000 analyses ont été effectuées. Un fonds d'indemnisation des victimes de pesticides est actif, en faveur des personnes exposées à titre professionnel à tous les pesticides, notamment le chlordécone. À ce jour, 150 dossiers ont été reçus, 80 d'entre eux ont donné lieu à un accord et d'autres réponses sont en cours d'instruction. Nous nous appuierons sur les maires pour informer la population des dispositifs mis en place. Je salue à cet égard l'association des maires de la Martinique, dont le directeur était présent lors de ma dernière visite. J'ai eu également un échange la semaine dernière, dans le cadre des rendez-vous du comité interministériel des outre-mer (Ciom), avec les présidents d'associations de maires. La population doit savoir que les dosages, tant dans le sang que dans les terres, peuvent être effectués.

Le cancer de la prostate est reconnu comme maladie professionnelle depuis 2021, ce qui constitue une étape importante. L'État finance l'association Phyto-victimes, pour que les victimes soient aidées gratuitement dans leurs démarches. Une grande partie des cancers de la prostate concerne les Antilles : inutile de le nier, c'est la stricte vérité. Un centre régional de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE), subventionné par l'État, est en cours d'ouverture dans chaque territoire. Une consultation toxicologique est déjà en service au CHU de la Martinique.

Les contrôles des denrées alimentaires sont amplifiés : le taux de conformité est supérieur à 97 % en Martinique. Pour l'eau potable, comme je l'avais indiqué en réponse à une question au Gouvernement de M. Serva, nous avons enregistré, il me semble, un seul dépassement du dosage en 2023, après une conformité absolue en 2022. Nous mettons à disposition de chacun les résultats des dosages – c'est la moindre de choses. À Mayotte, j'avais d'ailleurs demandé que les communes soient destinataires des résultats des dosages de l'eau.

S'agissant de la recherche, les travaux financés par l'État sont amplifiés en lien avec la communauté scientifique. L'Agence nationale de la recherche (ANR) a financé pour la première fois un appel à projets dédié au chlordécone, doté d'un budget de 5,5 millions d'euros, en partenariat avec la région Guadeloupe et la collectivité territoriale de Martinique (CTM) qui ont contribué chacune à hauteur de 1 million d'euros. Un colloque réunissant plus de 300 participants a eu lieu à ce sujet, témoignant de la mobilisation d'une large communauté scientifique. Le budget du programme de recherche consacré au chlordécone passera de 26 à 52 millions d'euros en 2030.

Une aide aux pêcheurs est en place depuis 2022 pour compenser les montants de leurs cotisations au titre de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Un nouveau dispositif simplifié verra le jour en 2024, conformément à leurs souhaits, et sera prolongé jusqu'en 2027. Une aide accordée aux éleveurs de bovins affectés, qui s'engagent dans une démarche de sécurisation de leur viande, sera opérationnelle dès janvier 2024, avec un accompagnement technique et une prime d'engagement de 160 à 200 euros par animal.

Avec l'ensemble de ces mesures, le budget initial du plan Chlordécone IV, annoncé en 2018 et finalisé en 2020, passera ainsi de 92 à 130 millions d'euros.

Quelles sont les prochaines étapes ? La priorité est que chaque citoyen puisse vivre sans risque chlordécone. Une question se pose encore concernant l'eau de lavage des bananes : il serait normal d'y effectuer des dosages de chlordécone, car le doute doit disparaître. Si les dosages sont supérieurs à la norme autorisée, l'utilisation de cette eau devra être interdite. Par ailleurs, nous aurons besoin des élus, des parlementaires, et surtout des maires pour diffuser l'information au plus près de nos concitoyens. Lorsque des demandes complémentaires de dosages sont faites, nous devons y répondre. Si le Parlement veut approfondir une évaluation des dispositifs publics mis en place, sous quelque forme que ce soit, j'y serai toujours favorable – j'aurais mauvaise grâce à dire le contraire, car c'est un des rôles du Parlement.

Il était indispensable de disposer de la cartographie relative aux dosages, notamment pour évaluer si, avec le temps, la concentration de chlordécone diminuait sur les terrains où elle était trop élevée.

La pollution au chlordécone est un scandale environnemental, n'ayons pas peur de le dire. Je le répète, les résultats des dosages vous seront communiqués, ainsi qu'un petit guide doté d'une cartographie. Tous les parlementaires recevront ainsi les données que M. Serva m'a demandées lors de nos échanges.

La mobilisation de tous – parlementaires, élus locaux et citoyens – est nécessaire. Aucune question n'est taboue. Qui dit scandale d'État, dit nécessité de retisser les liens de la confiance, notamment en publiant les critères d'évaluation. Nous avons donc besoin de tous. Si de nouveaux colloques sont nécessaires, au-delà des comités locaux, nous entendrons vos propositions. Je sais que la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, était en Martinique il y a quelques jours pour animer une réunion consacrée au chlordécone. Les parlementaires sont légitimes pour faire des propositions visant à renforcer le dialogue, le débat et l'écoute réciproque, et à lever les tabous s'il y en a encore – car nos connaissances sont encore loin d'être complètes.

Soyez assurés de mon investissement personnel dans cette affaire, au nom du Gouvernement. Nous l'affirmions lors du lancement des consultations sur la stratégie Écophyto 2030, avec le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, et d'autres collègues : à chaque fois qu'il existe une solution de substitution, il faut l'adopter ; à chaque fois qu'un doute subsiste sur un produit et que toutes les évaluations n'ont pas été réalisées, il faut se mettre en état de surveillance absolue. Dans le cadre du puissant programme de recherche que je viens d'évoquer, je souhaite qu'une communication soit organisée chaque année à destination du Parlement et des élus locaux, pour que les avancées des travaux soient diffusées à tous les niveaux. Nous devons trouver ensemble les solutions qui permettront de restaurer le lien de confiance, et d'assurer aux habitants de la Martinique et de la Guadeloupe une sécurisation de l'eau, de l'usage des sols et des productions agricoles futures, de manière à ne pas vivre ce drame une nouvelle fois.

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