Intervention de Estelle Youssouffa

Séance en hémicycle du dimanche 26 novembre 2023 à 19h00
Motion de censure — Discussion et vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Youssouffa :

Madame la Première ministre, le constat s'impose : notre démocratie est malade. Ainsi, je déplore votre incapacité à trouver un consensus sur des enjeux aussi importants que ceux liés à la santé de nos compatriotes.

Ce constat s'impose lorsque nous lisons que le Président de la République tance les partenaires sociaux, patronat et syndicats, parce qu'ils ont eu le malheur de se mettre d'accord sur le régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco ! Au nom de notre attachement au paritarisme, qui est au cœur de notre modèle social, nous vous avons dit notre résolution à lutter contre la ponction que vous envisagiez de pratiquer sur cet organisme pour financer le déficit du régime général des retraites.

Nous ne voterons pas pour la motion de censure parce que vous avez renoncé à cette ponction unilatérale ainsi qu'à un autre projet injuste : celui d'augmenter la franchise sur les médicaments et la participation forfaitaire pour les consultations. Mais cela ne signifie pas pour autant que nous vous accordons notre confiance ou que nous vous encourageons à accumuler les 49.3.

Je vous renvoie à l'exhortation adressée par le Président de la République aux partenaires sociaux : « Réveillez-vous ! » Car si notre démocratie est malade, notre système de santé est, quant à lui, à bout de souffle.

Nous connaissons tous, en effet, l'engorgement de nos hôpitaux. Ces derniers jours, c'est à cause d'une épidémie de bronchiolite que les services d'urgence pédiatrique sont débordés. Nous savons, par ailleurs, que les Français ont des difficultés à trouver un médecin traitant et nous voyons les déserts médicaux avancer. Malgré les mesures que vous prenez, malgré le numerus apertus, ils s'étendent.

Or la situation est encore plus dégradée dans les territoires ultramarins ; à Mayotte, que je représente ici, l'alerte n'est même plus rouge, elle est cramoisie. Vous connaissez tous la crise de l'eau qui fait basculer notre île. Mais une autre crise nous accable : celle de l'effondrement de notre seul hôpital.

Le centre hospitalier de Mayotte (CHM) subit, depuis un an, une hémorragie de médecins sur fond de règlements de comptes entre la direction et les praticiens. Les médecins ont appelé l'administration et les inspections au secours, en dénonçant l'insécurité à laquelle sont exposés les patients, insécurité dont témoigne le nombre alarmant de ce que l'on nomme, dans le jargon administratif, des événements indésirables. Cela signifie que les malades sont en danger car le service des urgences, quasiment dépourvu de médecins, se trouve dans un tel état de désorganisation que les soignants qui sont encore en poste redoutent de commettre des maltraitances médicales. C'est gravissime !

Actuellement, le service des urgences de Mayotte ne compte que six médecins titulaires sur les trente-sept postes offerts. Faute d'encadrement, il a perdu son agrément pour accueillir les internes de l'océan Indien et a lancé le recrutement de trois « faisant fonction d'interne » en provenance de Madagascar et des Comores. Ainsi Mayotte dépouille-t-elle ses pauvres voisins des quelques médecins qui y sont en formation pour remédier à la guerre des ego du CHM et faire avancer du même coup le projet d'une sortie totale de la santé à Mayotte hors du système national.

De fait, si Mayotte dépouille ses voisins de leurs quelques médecins, les patients étrangers vont continuer d'y affluer et alimenter ainsi l'effondrement de notre maigre système de santé, totalement asphyxié. Car, à l'hôpital de Mayotte, un patient sur deux est étranger. Or, par dérogation, le patient étranger ne cotise ni ne paie pour ses soins. Par dérogation, il n'y a ni aide médicale de l'État ni protection universelle maladie (Puma). L'État a fait le choix de garder, pour la santé des étrangers, la moitié de chaque euro dépensé dans notre hôpital. C'est une aberration ! Je combattrai, du reste, ces mesures lors de l'examen du projet de loi sur l'immigration.

Cette pseudo-générosité se fait purement et simplement aux dépens de la santé des Mahorais. Et c'est une générosité minimale puisque, à Mayotte, les dépenses de santé s'élèvent à 418 millions d'euros par an alors que notre archipel compte au moins 450 000 habitants. Ainsi, dans le domaine de la santé, l'État investit 929 euros par habitant à Mayotte contre 3 475 euros dans l'Hexagone, soit trois fois moins ! Le mode de financement du CHM doit donc être revu et le deuxième hôpital enfin sortir de terre.

On nous dit que l'État ne veut pas provoquer un appel d'air à Mayotte. Parlons-en ! Je crois, madame la Première ministre, que l'État fait des économies sur la santé des Mahorais en se cachant derrière cette hypocrisie. La moitié des prestations sociales qui ont cours dans l'Hexagone n'existent pas à Mayotte et, lorsqu'elles existent, leur montant n'atteint que la moitié de ce qu'il est au niveau national. Ni le code de la sécurité sociale ni celui du travail ne s'appliquent dans notre île. Les retraites sont indigentes parce que l'État les plafonne et refuse que les Mahorais cotisent normalement !

En revanche, il rend gratuits les soins prodigués aux étrangers, par dérogation. L'accouchement, par exemple, est gratuit. Vous créez donc un appel d'air pour mieux justifier le fait que vous sacrifiez les Mahorais et encourager notre exode médical et social. Nous, Mahorais, devons quitter notre île pour nous soigner et bénéficier de nos droits sociaux.

Lors du comité interministériel des outre-mer qui s'est tenu cette semaine, nous avons demandé que la convergence des droits intervienne dès 2026. Les Mahorais sont français depuis 1841, Mayotte est un département depuis 2012. Cela suffit ! L'égalité, ce n'est pas dans dix ans, ni même demain : c'est maintenant !

J'ai protesté auprès du Gouvernement et de la présidence de la République contre le projet régional de santé (PRS) présenté par l'agence régionale de santé (ARS) de Mayotte. Alors que notre île fait face à un défi démographique hors du commun, les autorités de santé ne proposent aucune politique de limitation des naissances : ni planning familial, ni plan massif d'éducation sexuelle et de sensibilisation aux violences sexuelles.

Il m'importe de dénoncer la logique de santé publique qui préside à ce PRS. Notre santé passe nécessairement par l'île de La Réunion, située à 1 500 kilomètres. Non seulement la logique des évacuations sanitaires est une aberration pour la santé des Mahoraises et des Mahorais, mais elle représente un coût explosif pour la dépense publique. Sachez en effet que l'évacuation sanitaire d'un patient mahorais passe par les étapes suivantes : transfert en ambulance de l'hôpital, trajet en bateau, nouveau transfert en ambulance, puis trajet de deux heures en avion et nouveau transfert en ambulance. Cela prend au moins huit heures en moyenne ! De tels transferts comportent des risques pour les patients et pourtant cette logique, qui influe depuis des années sur la santé des Mahorais, perdure.

Pourtant, les experts le répètent, éloigner les patients de leur famille, les tenir à distance de leur environnement familier, diminue leurs chances lors des traitements. La logique de déploiement régional de la santé s'applique au détriment des Mahorais. De surcroît, tous les investissements dans des plateaux techniques de qualité et des projets médicaux se font hors de notre île.

Depuis le début de mon mandat, je n'ai de cesse de demander aux recteurs successifs, au président de l'université locale, au directeur de l'ARS et au directeur de l'hôpital de développer les filières de formation des médecins à Mayotte, pour que les jeunes Mahorais qui le souhaitent puissent un jour soigner la population locale. Or rien n'est fait pour développer les parcours d'accès spécifique santé (Pass) en réservant des places aux étudiants mahorais. De fait, la poussée démographique que connaît Mayotte n'est pas qu'une mauvaise nouvelle : il y a nécessairement, statistiquement, parmi tous ces jeunes, les médecins de demain.

La décision, soutenue par le ministère de l'enseignement supérieur, d'élaborer un statut dérogatoire pour le centre universitaire de Dembeni augure mal des ambitions de l'État. Il est impossible de construire un avenir pour Mayotte sans ses enfants, sans ses cerveaux, sans une éducation supérieure de qualité. L'obsession de l'État pour les écoles primaires, les collèges et les lycées masque mal son absence totale d'ambition pour les formations professionnelles, l'enseignement universitaire, les partenariats internationaux, qui permettraient à nos jeunes de devenir les cadres de demain, les médecins des hôpitaux de Mayotte, les ingénieurs de la manne pétrolière et gazière du canal du Mozambique.

À aucun moment, nos interlocuteurs au sein de l'État à Mayotte ne semblent envisager l'excellence, la réussite ou l'ambition d'un avenir meilleur pour notre territoire. Nous sommes manifestement condamnés à la médiocrité, condamnés à demeurer la succursale de l'immigration comorienne, de l'éducation comorienne, de la santé comorienne, qu'exigent les immigrants clandestins qui arrivent quotidiennement par bateau.

Madame la Première ministre, nous vous attendons dans les prochains jours à Mayotte. Nous espérons que vous viendrez avec des promesses et, surtout, avec des résultats concrets pour notre île !

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