Sans surprise, nous nous retrouvons ce dimanche pour examiner une nouvelle motion de censure, à la suite d'un nouveau 49.3 sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Les Français n'ayant pas souhaité donner au Gouvernement la majorité absolue à l'Assemblée nationale, cette situation devient usuelle. Pour leur part, les députés du groupe Les Républicains auraient souhaité débattre davantage et voir leurs positions entendues, dans l'intérêt des Français. Avant d'être un exercice budgétaire, le budget de la sécurité sociale est en effet le réceptacle des attentes, des inquiétudes et des espérances de nos compatriotes en matière de santé. Relayer leurs demandes, ainsi que celles des acteurs du soin et du médico-social et des partenaires sociaux, aurait dû constituer le cœur de notre travail de députés.
Depuis que nous nous penchons sur le PLFSS pour 2024, j'ai eu l'occasion de développer plusieurs sujets devant vous. Ce soir, je veux insister sur les Ehpad et le secteur médico-social. Vous le savez, trois Ehpad sur quatre sont déficitaires. La Fédération hospitalière de France (FHF) évoque une situation budgétaire « dégradée de façon inédite », avec un déficit chiffré à 500 millions d'euros – la dégradation s'est brutalement accentuée à partir de 2019.
Nous connaissons les facteurs de cette évolution : d'une part, le covid-19 a entraîné une baisse d'activité puisque de nombreuses personnes sont décédées à domicile avant d'avoir pu être prises en charge par un établissement ; d'autre part, après le Ségur de la santé, certaines sommes n'ont pas été entièrement débloquées par le Gouvernement. La hausse des dépenses combinée à la baisse des recettes a produit un effet ciseaux, auquel s'est ajoutée l'inflation, qui a entraîné la hausse des coûts de l'alimentation et de l'énergie.
Peut-on jouer sur le tarif des Ehpad ? Compte tenu de la faiblesse du pouvoir d'achat et sachant que le reste à charge moyen pour les familles s'élève à 1 000 euros par mois, cela semble difficile. Le déficit par lit se chiffre à 2 000 ou 3 000 euros, ce qui explique le déficit de 500 millions cumulé depuis 2019.
Sur quoi peut-on faire des économies ? Sur les 50 000 postes prévus à l'échéance 2027, soit environ sept postes par Ehpad ? Je ne crois pas que cela soit la volonté du Gouvernement. Nous prenons également note des 100 millions que vous souhaitez débloquer, madame la Première ministre. C'est un chiffre énorme, mais c'est finalement peu si on le rapporte aux quatre-vingt-seize départements et aux milliers d'établissements qui doivent bénéficier de cette rallonge. C'est aussi une mesure ponctuelle, alors que les hausses de salaire et du coût de l'énergie sont pérennes.
Nous nous dirigeons donc vers une situation très grave : nous risquons de nous retrouver dans l'incapacité d'accueillir de nouveaux résidents, de maintenir les effectifs actuels et, surtout, d'investir pour préparer les établissements à l'accueil des baby-boomers. La génération du baby-boom, née à partir de 1945, aura bientôt besoin de ces établissements. Pour rappel, nous sommes passés de 560 000 naissances en 1940 à 870 000 en 1947. Il faut anticiper les besoins de 2035, sous peine de constater en 2032 que nous sommes incapables de faire face aux demandes. Nous attendons avec beaucoup d'impatience la loi de programmation sur le grand âge annoncée par la ministre des solidarités et des familles, Aurore Bergé.
Pour illustrer mon propos, je voudrais évoquer la situation déficitaire particulièrement préoccupante de quelques établissements de ma circonscription en Isère : l'Ehpad Eden résidence à la Côte-Saint-André, le foyer d'accueil médicalisé pour adultes épileptiques à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, ou encore l'Ehpad Bellefontaine au Péage-de-Roussillon. Ces établissements sont pour ainsi dire victimes de leur bonne gestion puisqu'ils n'ont aucun poste vacant au tableau des emplois. Leur déficit étant devenu structurel, ils n'ont plus la possibilité d'obtenir des lignes de trésorerie auprès du secteur bancaire. Dans trois à six mois, ils ne pourront donc plus verser les salaires. C'est une situation très grave, dont le Gouvernement doit prendre pleinement la mesure.
Après avoir décrit les difficultés, parlons des solutions. Plusieurs maires de la région Bretagne ont interpellé le Gouvernement sur la situation financière des Ehpad de leurs territoires et proposé des financements. Ce matin encore, dans Le Dauphiné libéré, le courageux maire de Voiron, Julien Polat – auquel je rends hommage –, annonce le déblocage de 480 000 euros au bénéfice de l'Ehpad La Tourmaline : ces crédits permettront de maintenir les effectifs et la qualité de la prise en charge des résidents issus du Voironnais.
Les hausses de rémunération décidées dans le cadre du Ségur doivent être saluées, mais devront être financées : sur les 100 millions estimés, l'État a décaissé 40 millions ; quid des 60 millions restants ? Comment, par ailleurs, jouer sur les tarifs alors que l'inflation est forte et que le reste à charge s'élève à 1 000 euros ? Faut-il réfléchir à un système assurantiel obligatoire ? Pour améliorer la capacité contributive des établissements, ne pourrait-on pas envisager d'adapter le tarif aux revenus des résidents ? Actuellement, les déficits structurels provoquent la dégradation des situations locales, la perte de confiance vis-à-vis des directeurs et des personnels des Ehpad et surtout l'inquiétude des résidents et de leurs familles.
Je remercie de nouveau la présidente de la commission des affaires sociales, Charlotte Parmentier-Lecocq, d'avoir fait vivre le débat au cours de nos travaux, ainsi que la rapporteure générale, Stéphanie Rist, qui a patiemment apporté des réponses nombreuses et précises à nos questions.
Madame la Première ministre, nous ne contestons ni votre légitimité ni votre droit constitutionnel à recourir à l'article 49.3, mais nous déplorons que la démocratie parlementaire souffre de l'instabilité politique de l'Assemblée et de la France – instabilité qui fait le lit des extrêmes. Les députés qui travaillent sur le PLFSS depuis plusieurs semaines, quel que soit leur groupe, ne peuvent que regretter une telle situation.
Toutefois, parce que vous êtes les premiers pris au piège de cet étau, vous voilà obligés de tendre l'oreille aux propositions des oppositions, ce qui a permis au groupe Les Républicains d'obtenir des avancées sur plusieurs sujets, notamment les franchises médicales.
Nous ne sommes pas insensibles à la nécessité de responsabiliser les patients grâce au reste à charge – en France, son taux est parmi les plus faibles d'Europe –, mais il ne paraît pas souhaitable de faire aujourd'hui des économies sur la santé des Français alors que nous avons peu réduit les dépenses dans d'autres secteurs et que le pouvoir d'achat est en berne. Par ailleurs, il est hors de question de ponctionner l'Agirc-Arrco pour financer la revalorisation des petites retraites, qui, je le rappelle, avait été obtenue par Les Républicains et le président Ciotti afin de protéger le pouvoir d'achat de nos aînés.
Ces avancées justifient que l'Assemblée nationale et les oppositions se saisissent coûte que coûte des projets de loi du Gouvernement. Permettez-moi donc de me tourner vers les dépositaires de la motion de censure. Vous exprimez ce soir votre mécontentement que le Gouvernement court-circuite l'Assemblée nationale et, de ce point de vue, vous avez raison.