Effectivement, monsieur Fugit, la formation est absolument essentielle. Il me semble d'ailleurs que les agriculteurs français sont les plus diplômés d'Europe.
Pour favoriser le rapprochement entre les instituts, publics ou privés, et les agriculteurs, il faut se mettre d'accord sur le chemin, les priorités et la méthode. Voilà ce que j'ai essayé de faire. Que mes propos concernant l'Inrae ne soient pas mal compris : nous avons la chance extraordinaire d'avoir les meilleurs chercheurs, qui réalisent un travail incroyable. Il est cependant important que l'action des instituts corresponde aux besoins du monde agricole afin que l'on cherche une solution à un problème et non un problème à une solution !
Nous devons lutter de toutes nos forces contre les visions simplistes ou binaires. Il faut accepter la complexité, et je pense d'ailleurs que les politiques doivent être exemplaires en la matière. Je ne suis pas sûr que cela soit toujours le cas. Puisque vous me demandez mon point de vue extérieur, je n'ai pas l'impression que la complexité du monde soit beaucoup mieux appréhendée dans l'hémicycle de votre assemblée, si j'en crois ce que je vois à la télévision.
Monsieur Martineau, il faut bien différencier ce qui relève d'une politique économique et ce qui relève d'une politique sociale. La politique économique doit favoriser la production tout en protégeant l'environnement ; en d'autres termes, elle doit faire en sorte que les prix tiennent compte de la valeur de la protection de l'environnement. Elle doit empêcher la formation de rentes – je vous renvoie à tout ce que nous avons fait avec le président Descrozaille dans le cadre de la loi dite Egalim 3, dont certains ont considéré qu'elle était quasiment communiste. En revanche, la politique économique ne peut se substituer à une politique sociale : encore une fois, ce n'est pas au compte de résultat des agriculteurs de financer le pouvoir d'achat des Français. Le risque est de favoriser un accroissement des importations, comme cela s'est produit durant les dernières décennies ; c'est contre cela que j'ai essayé de lutter.
Vous avez souligné la nécessité d'anticiper en prenant l'exemple de la lutte contre les champignons. Permettez-moi de citer l'exemple passionnant de M. Bouquet, qui a consacré sa vie à lutter contre l'oïdium dans les cultures de vigne. Il a eu l'idée géniale de croiser des vignes américaines avec des vignes européennes, dans la mesure où les premières se protégeaient naturellement contre l'oïdium. Après vingt ans d'essais, il s'est aperçu que seul un gène avait muté : il a donc passé le relais à l'Inra – le prédécesseur de l'Inrae –, qui a mis au point tout un programme et a enfin trouvé une solution au bout de quarante ans. M. Bouquet était alors déjà mort. Aujourd'hui, cette variété de vigne est inscrite au catalogue officiel. On voit donc que le temps des transitions est parfois très long. J'espère que les nouvelles techniques, notamment les fameuses NBT (new breeding techniques) dont nous n'avons pas discuté et qui nécessitent d'être encadrées, permettront d'accélérer le temps de la science et de supporter le temps de l'impatience, dans lequel je me trouve comme vous. La gestion du temps et de sa complexité est une question qui dépasse l'agriculture : c'est un véritable sujet politique.