Intervention de Pierre-Marie Aubert

Réunion du mardi 14 novembre 2023 à 17h30
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Pierre-Marie Aubert, directeur du programme Politiques agricoles et alimentaires à l'Institut du développement durable et des relations internationales :

Je vous répondrai d'une manière un peu philosophique.

La question des clauses miroirs renvoie, plus largement, à la question de la convergence des visions et des intérêts au niveau mondial en matière de système alimentaire. De la même manière que nous avons beaucoup de mal à faire advenir la réglementation sur la restauration de la nature ou sur les pesticides au niveau européen, parce que les Vingt-Sept ne sont pas sur les mêmes positions, il y a de profondes divergences entre les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Europe. L'Organisation mondiale du commerce (OMC) est par ailleurs à l'arrêt. La COP28 se réunira à Dubaï dans quelques semaines et il est prévu – pour la troisième fois consécutive, ou plutôt pour la énième fois – que l'alimentation soit au cœur des discussions. Elle ne le sera pas ! La vision européenne ne fait pas consensus à l'intérieur même de l'Union – le Pacte vert, qui en est la traduction, a été largement attaqué par une partie du groupe du Parti populaire européen auquel appartient Mme Sander –, et encore moins à l'extérieur. Le commerce mondial se déroule entre des nations, ou des blocs, qui ont quelque chose en commun. Pour mettre en place des clauses miroirs, encore faudrait-il que nous soyons à peu près d'accord sur ce vers quoi nous voulons tendre ; les mesures miroirs serviraient alors à contenir quelques moutons noirs. Or les visions du groupe de Cairns, des pays dits émergents – qui l'ont été dans les années 1980, mais ne le sont plus –, des États-Unis et de l'Europe en matière de système alimentaire divergent tellement qu'il est très difficile d'organiser un commerce agricole. Dans le débat international, la question de l'alimentation est absente.

Nous nous sommes amusés à construire des modèles, c'est notre métier. Que l'Europe construise l'agroécologie toute seule ou avec le reste du monde, elle peut continuer à contribuer aux équilibres alimentaires mondiaux de façon positive, c'est-à-dire en apportant quelque chose qui manque ailleurs grâce à son potentiel agronomique, soit en se protégeant soit en échangeant beaucoup. Cela marche dans les modèles ; dans la vraie vie, cela supposerait que, demain, on explique aux Brésiliens et aux Américains que nous ne voulons plus de leur soja, parce que nous voulons retrouver de l'autonomie en matière d'azote et cesser d'importer du gaz naturel de Russie, ce qui implique que nous cultivions des protéagineux. Il n'y a aujourd'hui pas grand monde au Brésil ou aux États-Unis qui soit capable d'entendre cela, même si les Brésiliens envoient 80 % à 90 % de leur production en Chine.

On pourrait aussi imaginer des quotas – afin de diviser par deux, par exemple, les quantités de soja importées chaque année en Europe. Je ne vois personne qui propose cela aujourd'hui, car cela impliquerait d'accepter un renchérissement du coût de l'alimentation animale, et donc de la production animale. Je rappelle toutefois que les travaux de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) montrent qu'avec une diminution de 30 % des protéines animales dans l'assiette, on est à budget constant pour le consommateur quelle que soit sa catégorie sociale, y compris en cas de surcoûts importants par rapport aux prix actuels. On peut se dire qu'avec une évolution qualitative et quantitative dans l'assiette, le consommateur ne paiera pas forcément davantage. C'est une réalité objective.

Je reviens aux clauses miroirs. Anne Sander connaît mieux les discussions que moi, je ne la contredirai pas. Ma préoccupation, c'est plutôt de me demander si ces mesures sont praticables. En admettant que l'OMC existe encore et qu'elle accepte des clauses miroirs parce que nous aurions réussi à prouver un risque pour l'environnement comme pour la santé, quelle serait alors l'instance de contrôle ? Qui la financerait ? Dans quelles conditions pourrait-elle fonctionner ? Malgré tout le bien-fondé philosophique des mesures miroirs, elles m'apparaissent aujourd'hui comme très délicates à appliquer et très sensibles politiquement. C'est un point sur lequel je suis en désaccord avec Terres Inovia et Terres Univia : un bon système de quotas – 70 % de ce que nous importons aujourd'hui, 50 % dans dix ans, 20 % dans trente ans, par exemple – me paraîtrait plus simple et plus confortable. Certes, l'OMC protesterait, mais le processus de règlement des différends ayant disparu, peu importe.

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