Oui, on peut affirmer qu'il n'y a pas d'opposition entre la transition agroécologique, l'affranchissement à l'égard des phytos, et le climat – sous réserve de l'évolution du régime alimentaire.
Traçons un parallèle. Récemment, l'Agence France-Presse m'a demandé si la solution ne serait pas que tout le monde mange du poulet, dont les chiffres de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) montrent que l'empreinte carbone par kilogramme est très inférieure à celle du bœuf. J'ai répondu par une règle de trois très simple, sur un coin de table : si on remplace toutes les consommations carnées en France ou en Europe par du poulet, l'empreinte surfacique des productions concrètes hors fourrage augmente de manière assez importante, et les émissions totales aussi, notamment du fait des importations de soja puisque nous sommes massivement dépendants en la matière.
Il faut comprendre qu'il y a deux manières de calculer les impacts climatiques, environnementaux, d'une production agricole.
La première domine le débat et la réglementation : c'est l'approche par l'analyse du cycle de vie. Ce qui compte alors, c'est de réduire au maximum l'intensité carbone par kilogramme de production, quelle que soit la production considérée. Manger du poulet peut alors apparaître comme une bonne solution ; mais si vous remplacez toutes les autres viandes par du poulet, vous n'aurez pas réglé le problème par ailleurs. Dans cette optique, on cherche des gains marginaux, on sélectionne les productions dont l'impact est le plus bas sur l'ensemble des critères, si tant est que l'on arrive à optimiser.
Une autre manière d'évaluer les impacts environnementaux de la production agricole est de raisonner par système : au lieu d'additionner des impacts par kilo, on regarde le système alimentaire en tant que système et la façon dont interagissent les productions animales et végétales, les pâtures et les terres labourées, la production et la consommation, le climat et la biodiversité. Les résultats sont alors tout à fait différents : on se rend compte que c'est le régime alimentaire et l'intensité à l'hectare qui doivent être au cœur du raisonnement. Si l'on retire les phytos, l'intensité carbone par hectare est largement meilleure. Si vous prenez un champ de blé biologique, donc avec zéro phyto, et un champ de blé conventionnel, l'empreinte climatique par hectare du premier est largement inférieure à celle du second. Mais cela ne vaut que si vous avez réduit la demande finale en blé, puisque le rendement à l'hectare est évidemment inférieur.
Voilà les termes de l'équation.