Intervention de Olivier Guersent

Réunion du mardi 24 octobre 2023 à 15h00
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Olivier Guersent, directeur général de la concurrence à la Commission européenne :

La Commission n'impose jamais de procédure de discontinuité. De fait, cette mesure est une création jurisprudentielle de la Cour visant à éviter l'extrémité suivante, qui serait catastrophique : lorsque les aides publiques sont très importantes et dépassent la capacité contributive de l'entreprise, celle-ci risque de devoir être mise en liquidation. Une telle situation est particulièrement dommageable lorsque l'entreprise revêt une importance stratégique, ce qui est indéniablement le cas de Fret SNCF au regard des enjeux de lutte contre le changement climatique. La solution de discontinuité permet d'assurer la continuité du service tout en faisant disparaître l'entreprise concernée. C'est donc un moindre mal par rapport à l'application directe du traité.

Concernant les responsabilités des gouvernements successifs depuis 2007, je rappellerai que très peu d'États membres avaient, à cette époque, mis en place des services d'intérêt général ou instauré une obligation de service public sur le wagon isolé. Certains gouvernements ont organisé une mise en concurrence qui a permis d'accroître la part du fret – au point que celle-ci atteigne le double ou le triple de la part du fret en France. La Commission a rappelé à maintes reprises aux États membres que l'obligation de service public pour opérer des dessertes non rentables constitue la meilleure solution pour financer légalement, sur fonds publics, lesdites dessertes. La responsabilité est donc partagée par les gouvernements qui se sont succédé depuis quinze ans. Le ministre Clément Beaune s'est trouvé contraint de gérer un dossier dont il a hérité à un moment où les options étaient très minces.

Le fait d'ouvrir la procédure n'implique pas par avance une condamnation de l'État membre. Au préalable, une enquête approfondie est menée, qui permet de déterminer si les soupçons initiaux d'infraction au traité sont fondés. Toutefois, il va de soi que la Commission n'engage pas de procédure à la légère, puisque celle-ci est coûteuse pour toutes les parties impliquées. En d'autres termes, lorsque nous ouvrons une enquête approfondie, nous avons de bonnes raisons de penser que l'aide est incompatible avec le traité. En l'occurrence, il est question tout bonnement de l'effacement d'une dette opérationnelle par une loi. Il n'est donc pas improbable que cette enquête puisse conduire à la conclusion que cette opération n'était pas conforme aux traités. Dans un tel contexte, la prudence commandait donc de chercher à éviter le pire, en sécurisant la situation des salariés et la continuité du service.

Il existe en effet des précédents. Dans le cas d'Alitalia, les autorités italiennes ont aussi très rapidement opté pour une solution de discontinuité. Celle-ci a été difficile à négocier, compte tenu de l'envergure du dossier. Sur le principe, cette situation est assez proche du cas de Fret SNCF. Je citerai également l'exemple de la SNCM : il paraissait probable, dans ce dossier, qu'au moins une partie des sommes en cause poserait un problème. Le remboursement ne semblait pas envisageable dès lors qu'il fallait maintenir une desserte satisfaisante de la Corse. Là encore, une solution de discontinuité a été mise en œuvre. Elle a permis le maintien du service ainsi que le maintien dans l'emploi d'une grande partie des salariés.

Dans le cas de Fret SNCF, la discontinuité a été opérée en moins de dix-huit mois.

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