Oui, la lassitude nous envahit : encore une discussion générale qui précède un 49.3, qui lui-même balaiera allègrement les quelques amendements sur lesquels nous aurions pu échanger, et que nous aurions parfois pu adopter. Cette lassitude ne concerne pas seulement les bancs de l'opposition. Elle étreint l'ensemble des parlementaires, y compris certains de la majorité.
Il y a un mois, lors de la première lecture en commission, le groupe Socialistes et apparentés avait fait adopter plusieurs amendements sur la fiscalité comportementale, chère à notre collègue Cyrille Isaac-Sibille – qui en a aussi fait adopter. Un de nos amendements créait une contribution assise sur les bières aromatisées, sucrées ou édulcorées – les fameux prémix – et son produit aurait pu être affecté à l'assurance maladie. Un autre amendement instaurait un prix minimum pour les boissons alcoolisées.
En ce qui concerne la coordination des professionnels de santé, nous avions enrichi le texte en proposant d'expérimenter la possibilité de solliciter l'avis d'un orthophoniste dans le cadre de la télé-expertise. Nous avions aussi déposé un amendement pour que les patients ayant été placés en arrêt de travail à l'issue d'une téléconsultation soient obligatoirement orientés vers une consultation en présentiel, ou du moins avec leur médecin traitant, lorsque leur état de santé nécessite une prolongation de l'arrêt. J'aurais pu citer d'autres amendements, provenant de tous les bancs.
Quels que soient nos désaccords, nous pouvons être attachés à cet enrichissement dont le 49.3 et l'arbitrage opaque qui s'ensuit nous privent une nouvelle fois. Je salue à nouveau la qualité des échanges que nous avons eus avec vous, monsieur le ministre, lors de l'examen des articles qui ont fait consensus – sur le papillomavirus, les protections menstruelles ou les préservatifs. Nous regrettons que ces échanges n'aient pas pu se poursuivre : le contenu intrinsèque des dispositions que nous n'avons pas eu le temps de discuter, mais aussi les jalons que nous aurions pu poser ensemble pour la suite en valaient pourtant la peine.
Il vous faudra procéder à une refonte de votre méthode de travail. À défaut, nous nous retrouverons dans une impasse, la même depuis deux PLFSS : si nous continuons ainsi ad vitam aeternam – nous pouvons le faire, mais pour les acteurs que nous représentons, notamment nos concitoyens, c'est plus grave – la frustration grandira et risque de se transformer en colère. Ainsi, le Ségur de la santé n'a été qu'un exercice purement formel, et n'a débouché sur rien de concret. Il a souffert d'une convocation de dernière minute, d'un agenda changeant et d'un ordre du jour qui n'a pas été correctement transmis. Comment mieux procéder ? Je vous l'ai dit hier en commission, je vous le répète : si vous voulez vraiment changer la donne, il faut préparer le prochain PLFSS à partir de janvier – au moins les états budgétaires si ce n'est les articles proprement dits, mais cela impliquerait de changer votre vision budgétaire du pays.
Autre source de frustration : la déconsidération du travail transpartisan, pourtant efficace. Avec Marc Ferracci, nous avions par exemple mené un travail sur les exonérations de cotisations sociales sans effet sur l'emploi ou la compétitivité. Nous avions proposé de supprimer le « bandeau famille », mais vous avez préféré une mesure a minima à cette première étape.
La méthode n'est pas au point ; le fond non plus. Ainsi, nous examinons encore la proposition de loi « bien vieillir », qui concerne la branche autonomie de la sécurité sociale. Notre collègue Laurence Cristol nous a assuré que tout allait pour le mieux : c'est formidable. Cependant, lors de sa dernière campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait fait la promesse de créer 50 000 postes supplémentaires d'aides-soignants et d'infirmiers en Ehpad d'ici à la fin du quinquennat en 2027 ; c'était notoirement insuffisant, les besoins étant estimés à 20 000 postes par an au minimum. Dans le PLFSS pour 2023, vous avez créé 3 000 postes ; cette année, vous n'en prévoyez que 6 000, soit 9 000 en tout, ce qui n'est certainement pas de nature à améliorer la prise en charge de nos aînés. Pire : en réponse à une motion de censure, la Première ministre a subrepticement annoncé que l'échéance n'était plus 2027, mais 2030. Il faudra donc huit ans pour honorer la promesse présidentielle ! Voilà le problème de cette trajectoire – j'espère que nous le corrigerons dans la future loi de programmation consacrée au grand âge.
Tous ces éléments sont à l'image de votre vision. Vous nous avez certes donné des gages sur les franchises ; dont acte, mais elles peuvent toujours être décidées par décret. Cet impôt sur la maladie est une erreur – il contribue à la casse sociale, que Bruno Le Maire vient d'ailleurs d'accentuer dans un autre domaine, en annonçant une baisse de l'indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans.