Face à la guerre à nos portes, face à l'inflation grandissante qui brise les vies des plus fragiles, face à la crise climatique qui s'amplifie partout sur la planète, face à la défiance démocratique, il aurait fallu, monsieur le ministre délégué, rompre véritablement avec la politique qui nous conduit au pire, socialement et politiquement. Vous brandissez l'arme du 49.3, mais son usage ne fera que souligner votre échec, celui des dialogues de Bercy où la sympathie l'a disputé à l'inutile, dans une formidable mise en scène évoquant Le Guépard et Falconeri avec sa célèbre maxime : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».
En effet, sans aucune forme d'autocritique, vous gardez pour boussole les fameux traités de Lisbonne et de Maastricht, qui font des règles libérales le nord à ne jamais perdre. Quelle erreur ! Les récentes élections dans des pays voisins devraient pourtant conduire à mettre en cause vos certitudes – car voilà où nous conduisent les folies libérales !
Oublier une part croissante des territoires de la République – que ce soit le village rural abandonné par La Poste, le quartier populaire dont les habitants subissent les hausses de charges locatives, ou encore les départements d'outre-mer, dont ma collègue Karine Lebon parlera tout à l'heure – est tout sauf sérieux et protecteur.
D'ailleurs, le projet de loi de programmation des finances publiques comporte des dispositions susceptibles de fragiliser la cohésion de la société : le durcissement des conditions d'accès à l'assurance chômage et le recul de l'âge du départ à la retraite, en particulier, sont autant de recettes éculées et inefficaces, qui laissent de côté nombre de nos concitoyens. Il est vrai que ce n'est pas comme si nous avions déjà 10 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, ou plus de 42 000 enfants sans toit…
C'est une ineptie de poursuivre dans cette voie, alors que les superpatrimoines explosent. Les 500 plus grandes fortunes cumulent 1 000 milliards d'euros de richesses : c'est une première, un record dans notre pays ! Pourtant, vous ne prévoyez aucune redistribution des richesses, aucun partage de la valeur ajoutée tirée du travail de toutes et tous, plus favorable aux salariés et aux services publics, et moins à la rémunération du capital et à l'accumulation par une petite caste de privilégiés.
En trente ans, l'accaparement des richesses produites par la rémunération du capital a augmenté de 10 %, soit près de 250 milliards d'euros. Or une étude de la Banque de France de juin 2022 montre que cela n'a pas servi l'investissement productif. D'ailleurs, les chiffres des dividendes versés par les entreprises du CAC40 n'ont jamais été aussi florissants : 57 milliards l'an passé, auxquels il faut ajouter 23 milliards de rachats d'actions. TotalEnergies en est le symbole, avec 2,6 milliards d'euros versés à ses actionnaires, au mépris des salariés et de nos concitoyens, saignés à la pompe à essence.
En dénonçant cette situation, je ne la confonds pas avec celle des artisans, commerçants, chefs de petites et moyennes entreprises qui se débattent jour après jour pour leur activité. Je veux simplement appeler l'attention sur la folie financière qui a gagné notre système, lequel porte en lui-même l'accumulation inconsidérée, ainsi que tous les mécanismes d'évasion fiscale. Celle-ci reste le point ultime de processus d'optimisation délirants, et coûte à la France entre 60 et 100 milliards d'euros de moindres rentrées fiscales et sociales, des milliards qui manquent pour répondre aux besoins sociaux et humains.
Chacun de nous dans cet hémicycle sait combien il est essentiel de retrouver une dimension humaine dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les services de sécurité et de prévention, dans les réseaux de transports – dans tout ce qui construit un espace commun et favorise l'égalité.
Pour avoir rencontré presque tous les maires de ma circonscription du Cher, pour avoir visité les deux hôpitaux publics les plus importants du département et échangé avec la communauté hospitalière, je peux affirmer que vos choix d'austérité, assis sur le dogme de la maîtrise du déficit et de la dette financière, qui agit comme une camisole, ne feront qu'attiser la colère et hâter le dépérissement du service public. Nous venons d'apprendre que le service de pédiatrie de l'hôpital de Bourges, l'hôpital de référence dans le département, risque de fermer.
Manifestement, ces textes budgétaires ne répondent pas à l'urgence climatique, non plus qu'ils ne servent le redressement de l'industrie, ni le besoin de protection des habitants, ni celui de préserver les collectivités locales, ces vigies de la République si utiles et si efficaces.
Nous sommes un pays riche, immensément riche. Nous pourrions faire d'autres choix, qui assureraient la vitalité de notre devise républicaine, Liberté, égalité, fraternité.
Cessez de répéter l'antienne « il y a trop de prélèvements obligatoires, nous sommes trop dépensiers » ! De quelles dépenses parlez-vous, monsieur le ministre délégué ? S'agit-il de celles en faveur des hôpitaux, de l'éducation, de la sécurité, des transports ; de celles qui ont conduit au CICE, puis à la baisse de cotisations sociales compensées par l'État ; ou bien des dépenses fiscales qui, bon an mal an, atteignent près de 80 milliards d'euros – les fameuses niches, qui se sont multipliées ?
Non, il n'y a pas trop de prélèvements obligatoires, il y a une architecture fiscale qui reflète le rapport des forces entre travailleurs, privés d'emplois, retraités, d'un côté, et « les forces de l'argent » – comme disait l'autre –, de l'autre côté. Vous ne réussirez pas à redonner confiance au peuple, à le protéger, à permettre le redressement, si rien n'est fait pour rendre l'impôt plus progressif et moins proportionnel, plus direct et moins indirect – car la TVA frappe d'abord les plus pauvres –, pour l'asseoir sur la richesse de la finance, aujourd'hui sous-fiscalisée, afin que chacun contribue à sa juste mesure.
Il est devenu insupportable que les plus aisés, entreprises comme ménages, soient ceux qui ont le plus gagné aux réformes fiscales des dernières années. C'est pourquoi, avec les autres groupes de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, le groupe GDR – NUPES défend l'exigence de justice fiscale, grâce à une taxation des superprofits, à une contribution exceptionnelle accrue sur les hauts revenus, au retour de l'ISF, et à une vraie fiscalité des dividendes, qui protège les salariés.
Dans une situation exceptionnelle, il faut prendre des décisions exceptionnelles, afin de protéger les plus fragiles et de rétablir le consentement de tous à l'impôt, en montrant qu'il ne peut y avoir des supergagnants qui s'engraissent, alors que d'autres ne pourront même pas allumer le chauffage dans leur logement ou ne pourront plus payer la cantine. C'est la cohésion de notre société qui se joue dans cette taxe sur les superprofits, soyez-en sûr !
Ajoutons que l'adoption de ces mesures participerait à dégager des crédits pour lutter contre le réchauffement climatique, en consacrant plusieurs dizaines de milliards d'euros aux transports publics, ferroviaires notamment, à la lutte contre la sécheresse, au déploiement d'un mix énergétique décarboné visant à assurer notre indépendance dans ce domaine. Nous proposons de sortir les montants concernés de la dette au sens maastrichtien, car cela préparerait l'avenir et donnerait du sens à l'action collective.
De même, il est plus que temps de revenir sur certains choix européens en matière d'énergie et de briser ce véritable Eldorado de la spéculation. Il est temps de revenir à une maîtrise réellement publique, de sortir des logiques libérales désastreuses. Le coût du bouclier tarifaire contre la hausse des prix de l'énergie en faveur des ménages, qui les protégera moins bien, se monte à 46 milliards d'euros, soit 3 milliards de plus que le montant total des prélèvements sur recettes reversés aux collectivités territoriales ! Cette somme représente surtout les profits de demain des multinationales de l'énergie, puisque rien n'est fait pour changer le système. C'est pure folie d'accepter ces règles qui font mal aux peuples d'Europe et nourrissent une inflation délétère ! Bien sûr, il faut protéger les Français, mais jamais, au grand jamais, nous ne cautionnerons votre inaction, qui confine à la complicité, face au marché libéralisé et destructeur de l'énergie.
Protéger nos concitoyens constitue la tâche quotidienne des collectivités locales, particulièrement des communes, ce creuset de notre République. Or la grogne monte parmi les associations d'élus, parmi les maires et les autres élus locaux, face à des choix qui risquent d'accroître la fracture territoriale. Ils sont en première ligne pour répondre aux besoins humains, tout simplement, pour assurer les investissements publics d'avenir en faveur de la transition écologique, pour réparer les cicatrices des divisions entre nos concitoyens. La loi de programmation prévoit de diminuer, sur cinq ans, les dépenses des collectivités de 10 milliards en euros constants : cette annonce est porteuse de funestes dangers.
La suppression de la CVAE, l'absence de bouclier tarifaire pour protéger de la hausse du prix des énergies les collectivités ayant plus de 2 millions d'euros de budget, le refus d'indexer la DGF sur une inflation galopante : tout montre que le garrot posé depuis tant d'années continue d'être resserré.
Il n'est ni sérieux ni protecteur de mettre en péril les communes – en tout cas, un grand nombre de communes. Nous en débattrons largement, vous le savez ; là non plus, n'oubliez jamais les messages que les Français envoient et la traduction dans les urnes de leur colère et de leur désarroi face à un service public local amoindri, à des fractures, réelles ou ressenties. N'abandonnez pas les communes et les collectivités locales, ce serait dangereux pour la démocratie !
Monsieur le ministre délégué, ma conclusion sera empreinte de gravité. Nous nous combattons politiquement dans le cadre de la République, que vous et nous avons toujours défendue. Le projet de loi de programmation et le projet de loi de finances pour 2023 risquent de nous entraîner sur un chemin sombre, parce que les inégalités augmenteront, que les plus aisés seront les grands gagnants, et que des territoires entiers seront abandonnés. Nous ne pouvons vous suivre sur cette voie, et nous déploierons toutes nos forces pour construire un chemin progressiste, dont le choix emporte l'adhésion de nos concitoyens.
Le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES, rassemblant les députés communistes et des députés progressistes ultramarins, se prononcera contre vos deux textes.