Le partage de la valeur dans les entreprises entre les salariés et les actionnaires constitue un des enjeux majeurs des prochaines années, à la fois en matière de pouvoir d'achat et pour réconcilier les Français avec le monde de l'entreprise.
Un fossé s'est creusé ces dernières années entre salariés et actionnaires s'agissant de la répartition entre travail et capital ; on observe ainsi, au cours des trente dernières années, une déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital et au détriment du travail.
L'accord national interprofessionnel voté en février 2023 voit une majorité de ses articles transposés dans ce projet de loi, ce qui permet de faire un pas de plus vers le développement des dispositifs existants au profit des salariés. Le déploiement de la participation et de l'intéressement dans les entreprises de moins de 50 salariés devrait se traduire par plus de productivité dans ces entreprises.
La possibilité de négocier un accord de participation d'ici à juin 2024 avec une liberté totale sur la fixation de la formule du calcul de la participation – qui peut être moins-disante que la formule légale – ou la généralisation des dispositifs de partage de la valeur aux entreprises de 11 à 50 salariés qui réalisent des bénéfices récurrents doivent favoriser le développement de la participation dans ces entreprises.
Faire profiter les salariés des bénéfices exceptionnels de leur entreprise répond à un enjeu de justice sociale même s'il est regrettable que le législateur n'ait pas défini ce qu'est une augmentation exceptionnelle du bénéfice – ce qui a d'ailleurs été dénoncé par le Conseil d'État.
L'inscription dans le temps, et dans le champ de l'épargne salariale, de la prime de partage de la valeur, qui peut être prolongée jusqu'au 31 décembre 2026, est destinée à soutenir le pouvoir d'achat. Le Conseil d'État estime toutefois que le critère de la taille de l'entreprise – moins de 50 salariés – permettant de bénéficier de l'exonération de l'impôt sur le revenu en cas de placement dans de l'épargne salariale porte atteinte au principe d'égalité devant l'impôt.
L'augmentation des plafonds de capital attribuable pour les attributions d'actions gratuites devrait contribuer à l'objectif affiché de 10 % d'actionnariat de salariés français dans le capital des entreprises françaises à horizon 2030. Une telle évolution est positive du point de vue de la souveraineté économique, de la confiance et de l'engagement à long terme des salariés dans leur entreprise mais aussi du renforcement de la responsabilité sociale des entreprises.
Toutefois, certains dispositifs posent question, comme le nouveau plan de valorisation de l'entreprise qui consiste à intéresser financièrement les salariés à la croissance de la valeur de leur entreprise. Ce nouveau dispositif, qui entre en concurrence avec l'actionnariat salarié, plus complexe à mettre en œuvre, risque de fragiliser son essor dans certaines entreprises cotées. C'est pourquoi il faudrait le réserver aux entreprises non cotées.
Il est nécessaire d'assurer une meilleure lisibilité de ces dispositifs de partage de la valeur ainsi qu'une certaine stabilité tant sur le plan législatif que sociofiscal.
D'autre part, le développement de ces outils ne doit pas se faire au détriment de l'augmentation des salaires qui reste la meilleure façon de partager la valeur. Dans le cadre des négociations obligatoires prévues par le code du travail, il faudra imposer des négociations séparées, comme l'ont demandé les organisations syndicales. En effet, selon le CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, la participation et l'intéressement représentent 6 % de la masse salariale dans les entreprises où ils ont été mis en place ; pour un tiers de ces 6 %, soit 2 %, on a observé un impact négatif sur les augmentations de salaires.
Aussi, parallèlement au développement de tels outils, le Rassemblement national permettra-t-il aux entreprises qui le souhaitent d'augmenter les salaires de 10 %, et jusqu'à trois fois le Smic, en les exonérant des charges patronales afférentes.
Enfin, les chiffres du partage de la valeur sont faussés par la pratique de la fraude fiscale, évaluée à environ 40 milliards, soit 1,6 % du PIB. Compte tenu des distorsions de politiques fiscales entre pays, on estime que 2 à 5 % de la valeur ajoutée des entreprises françaises sont déplacés à l'étranger, ce qui grève bien entendu la participation des salariés. Ce projet de loi ne comporte aucune disposition qui permettrait de lutter contre les transferts de profits même si la CMP a retenu le principe d'un nouveau calcul du montant de la participation en cas de rectification du résultat d'une entreprise par l'administration ou par le juge de l'impôt.
Ainsi, même si ce texte comporte des manques – et je précise que nous suivrons attentivement la suite du processus, le Gouvernement s'étant engagé à procéder par voie réglementaire pour certains articles adoptés par l'Assemblée nationale –, nous voterons ce projet de loi.