Le sujet de la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB), et plus largement de la biodiversité elle-même, touche nos quotidiens et nos territoires, au même titre que l'urgence climatique.
Il m'apparaît nécessaire, avant de présenter la genèse de la SNB, de dresser un bref état des lieux. La biodiversité est à la base de tous les besoins essentiels de l'être humain : respirer, boire, manger, se loger, se chauffer, être inspiré, apprendre. Les services rendus gratuitement par la nature prennent des formes variées : photosynthèse, pollinisation, filtration et purification de l'eau, absorption des chocs climatiques ou contributions immatérielles comme la simple beauté des paysages. Or ces éléments subissent aujourd'hui avec violence le choc du dérèglement climatique.
Le Forum économique mondial a estimé que plus de la moitié du PIB mondial dépendait de services rendus gratuitement par la nature, ce qui correspond à près de 44 000 milliards de dollars par an.
Au-delà du risque qu'il représente pour l'économie mondiale et la vie humaine, l'effondrement de la biodiversité met également en danger notre pacte social.
L'objectif de cette stratégie est double : il s'agit d'une part de préserver nos modes de vie, notre prospérité, d'autre part de stopper l'effondrement du vivant pour permettre à court terme la restauration de la nature.
Comme des dizaines de milliers d'élus en France, je me suis engagée pour agir et ne me résous pas à cette érosion de la biodiversité, dans laquelle l'humain porte une responsabilité majeure.
L'Ipbes, souvent qualifié de « Giec de la biodiversité », a identifié les cinq pressions anthropiques qui s'exercent sur la nature et participent de l'effondrement du vivant.
Il s'agit tout d'abord, par ordre d'importance, du changement d'usage des terres et des mers induit notamment par l'urbanisation, la déforestation et l'artificialisation des sols.
La deuxième pression anthropique réside dans la surexploitation des ressources naturelles, que nous consommons plus rapidement que la nature n'est capable de les renouveler.
Le changement climatique, qui modifie les écosystèmes à un rythme trop rapide pour que la nature puisse s'adapter à ces bouleversements extrêmement violents, constitue le troisième de ces facteurs.
Les pollutions pèsent également sur la bonne santé de la biodiversité : cela concerne aussi bien l'utilisation des intrants en agriculture que les pollutions chimiques, lumineuses ou sonores.
Citons enfin les dégâts causés par les espèces exotiques envahissantes qui, profitant souvent d'écosystèmes dégradés, prennent la place des espèces locales. Je pense tout particulièrement au frelon asiatique et à la nuisance qu'il représente pour les abeilles.
Notre pays bénéficie d'un patrimoine naturel d'une très grande diversité : 10 % des espèces connues sur la planète y sont ainsi recensées et plus de 600 nouvelles espèces y sont décrites chaque année, en majorité en outre-mer.
La France exerce par ailleurs sa juridiction sur le deuxième espace maritime au monde, qui couvre plus de 10 millions de kilomètres carrés et inclut plus de 10 % de la superficie corallienne mondiale.
Nous connaissons un véritable effondrement du vivant. Plus d'un million d'espèces sont en danger à l'échelle de la planète. D'aucuns parlent ainsi de sixième extinction de masse, la première depuis la disparition des dinosaures. En France, plus de 2 000 espèces sur les 12 000 recensées sont menacées de disparition.
La stratégie nationale pour la biodiversité a vocation à inverser cette tendance. Elle suppose l'implication de tous et l'allocation de moyens nouveaux. Nous avons pour ce faire opté pour une méthode inédite, avec un mécanisme de planification écologique validé par le Président de la République et piloté par la Première ministre. Cette démarche interministérielle, déclinée par enjeu et par secteur avec l'ensemble des acteurs concernés, est unique et historique, par la vision globale qu'elle offre et les perspectives de long terme qu'elle dessine.
Quatre axes prioritaires ont ainsi été définis pour stopper puis inverser l'effondrement du vivant sur la décennie. Ils concernent tout d'abord la réduction des pressions précédemment mentionnées et la restauration de la biodiversité dégradée, en mettant l'accent sur la renaturation et la résilience face au changement climatique. Il conviendra ensuite de mobiliser l'ensemble des acteurs, de l'État jusqu'aux citoyens, en passant par les collectivités, les entreprises, les associations, ce qui soulève la question de la nécessaire conciliation des usages. Il faudra enfin garantir les moyens d'atteindre les objectifs fixés, qu'il s'agisse des financements, de la gouvernance ou de la connaissance des données et enjeux, par un pilotage fin, fondé sur l'analyse d'indicateurs.
Plusieurs actions ont été définies dans chacun de ces axes. La lutte contre les causes identifiées de l'érosion de la biodiversité se traduira ainsi par le développement d'aires protégées, la limitation de l'artificialisation des sols pour favoriser la préservation des habitats, la gestion adaptative des espèces pour prévenir la surexploitation des ressources, la réduction de l'impact du changement climatique sur la biodiversité et la lutte contre les pollutions plastiques, chimiques, lumineuses et les espèces exotiques envahissantes.
Le deuxième axe de cette stratégie, qui vise à restaurer la biodiversité dégradée, s'appuiera notamment sur le développement de trames écologiques, sur lesquelles les élus locaux travaillent territoire par territoire, mais aussi sur le fonds en faveur de la renaturation des villes et le pacte en faveur de la haie. Je pense également à la restauration des zones humides, dont les phénomènes climatiques récents nous démontrent l'utilité, et à la préservation de la biodiversité forestière. La France soutient à ce titre l'adoption d'un règlement européen ambitieux pour la restauration de la nature, dont l'avenir se joue actuellement. La restauration des écosystèmes dégradés s'appuiera sur des solutions fondées sur la nature elle-même, au travers de politiques de prévention des risques, de lutte contre les effets du changement climatique et de protection de la ressource en eau.
Le troisième pilier de la SNB porte sur la mobilisation de tous les acteurs concernés : État, entreprises, élus, citoyens, associations, collectivités territoriales, usagers de la nature. Cela implique d'assurer l'exemplarité de l'État et des services publics par la formation des agents à ces problématiques et par des actions de préservation de la biodiversité à l'échelle tant des bâtiments de l'État que de la vie quotidienne des services. La mobilisation des entreprises est également un élément majeur : elle suppose de leur part une meilleure compréhension de leur impact sur la nature et une prise en compte de ces éléments dans la définition de leurs stratégies. Il conviendra enfin de sensibiliser nos concitoyens à l'importance de relever ce défi. « On aime ce qui nous a émerveillés et on protège ce que l'on aime » disait Jacques-Yves Cousteau. Ainsi, l'objectif de la SNB est de former, informer et sensibiliser les citoyens à ces questions tout au long de leur vie, afin de les inciter à se mobiliser en faveur des multiples aspects de la protection et de la restauration de la biodiversité. Je pense par exemple au déploiement des aires éducatives, dont le nombre passera de 1 000 aujourd'hui à 18 000 en 2030 et qui concerneront alors une école ou un collège sur trois.
La SNB ne pourra par ailleurs se déployer que si elle est territorialisée et développée avec les collectivités locales. Elle est porteuse pour les territoires d'opportunités et de financements nouveaux. Je crois nécessaire de favoriser une concertation et un dialogue de qualité, sur la base de diagnostics partagés. Dans quelques semaines, seront ainsi lancées les « conférences des parties » (COP) régionales, sous l'égide du ministre M. Christophe Béchu. Ce dispositif permettra notamment de convenir localement d'actions et de pactes adaptés aux réalités de chaque territoire. Dans ce cadre, l'eau et la biodiversité auront évidemment toute leur place.
La stratégie nationale prévoit aussi la généralisation des atlas de la biodiversité communale, qui ont connu un réel succès et constituent un outil original permettant précisément de poser des diagnostics partagés et de définir un point de départ consensuel. Cette démarche vise à apprécier et qualifier la biodiversité locale, pour agir en sa faveur.
Le dernier axe concerne les moyens financiers. Agir suppose de se doter des moyens nécessaires : tel est le sens du projet de loi de finances soumis à votre examen, qui mobilisera 10 milliards d'euros supplémentaires en faveur de la planification écologique, dont 1,2 milliard d'euros spécifiquement dévolus à la préservation de l'eau et de la biodiversité, soit 475 millions en plus par an pour le Plan eau, 400 millions pour la stratégie nationale pour la biodiversité, la réduction des pressions et la mobilisation des acteurs, 300 millions de crédits pour le fonds friches au sein du fonds vert et enfin, 100 millions pour le fonds de renaturation.
Le fonds vert est mobilisé pour accompagner en premier lieu les projets conduits sur les territoires en faveur de la biodiversité. Quelque 12 700 dossiers ont été déposés dans ce cadre, pour un montant d'environ 18 milliards d'euros, dont 431 millions d'euros pour la seule stratégie nationale pour la biodiversité, hors renouvellement des friches ou renaturation des villes. L'objectif est clair, les ambitions fortes et les moyens posés. Il s'agira notamment, dans les départements dans lesquels des projets de ce type seront portés, de désimperméabiliser les cours d'école, de créer des îlots de fraîcheur ou encore de végétaliser des toits et des façades.
Je souhaite insister sur la place essentielle de la science et de la connaissance, indispensables pour disposer d'indicateurs robustes.
La réussite d'une telle stratégie nationale suppose enfin une gouvernance pleinement interministérielle. Dans ce contexte, le secrétariat général à la planification écologique a vocation à être la « tour de contrôle » qui permettra le déploiement large et interministériel de la SNB.
Enfin, je tiens à souligner que cette stratégie, dévoilée le 20 juillet dernier, a depuis lors fait l'objet de consultations. Le Comité national de l'eau, le Conseil national de la mer et des littoraux, le Conseil national de la protection de la nature et le Comité national de la biodiversité m'ont chacun rendu un rapport. Ces avis très riches ont conduit à une évolution de la SNB, dont la version finalisée sera présentée très prochainement.
La situation de la nature et du vivant exige aujourd'hui des actions d'ampleur, nécessairement territorialisées. Nous avons plus que jamais rendez-vous avec notre histoire et la France doit y prendre toute sa part.