« Réindustrialiser la France, c'est la mère des batailles », déclarait Emmanuel Macron à Challenges en mai dernier. Entre 1974 et 2019, nous avons perdu 2,6 millions d'emplois dans l'industrie. On connaît la responsable : la mondialisation heureuse, que vous défendez, collègues de la majorité, comme certains de vos prédécesseurs. On a choisi de mettre notre industrie en concurrence directe avec des pays où le coût de la main-d'œuvre est faible et la protection sociale inexistante.
La volonté affichée du Président est de faire revenir l'industrie sur le territoire français. Nous partageons évidemment cet objectif, mais il y a deux manières de l'atteindre. La première, la vôtre, consiste à devenir compétitif par rapport aux pays où on l'a délocalisée, en baissant le coût du travail et en accordant des cadeaux fiscaux et des exonérations multiples aux entreprises et aux riches actionnaires qui les financent. Dans ce domaine, vous êtes les champions, avec 50 milliards par an accordés pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron. Mais pour financer tout cela, il faut des coupes dans les services publics. C'est une course folle. Devons-nous nous mettre au niveau de pays qui n'ont pas d'acquis sociaux ?
La seconde manière de procéder est la planification : donner des objectifs de production sur le territoire national, filière par filière, et mettre les moyens nécessaires pour les atteindre. Cela suppose des investissements publics, mais également du protectionnisme. Ce n'est pas ce que fait France 2030 : en dépit des apparences, il n'est pas question ici de planification, tout au plus de saupoudrage d'argent public. Cela fait du bien aux entreprises qui en bénéficient, mais cela ne suffit pas.
Les besoins de financement pour atteindre nos objectifs climatiques sont estimés entre 50 et 70 milliards d'euros par an ; ce plan ne leur consacre que 5,5 milliards d'euros sur dix ans, soit à peine 1 % de ce qu'il faudrait. Seuls 25 % des dépenses de France 2030 ont un impact favorable sur l'environnement.
Alors que les pénuries de médicaments s'enchaînent, que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) tient à jour une liste de 400 médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, le plan ne prévoit la relocalisation que de 5 % d'entre eux. A ce rythme, il nous faudra 200 ans pour être capables de produire tous nos médicaments stratégiques. Sur les 5,4 milliards d'euros dédiés aux médicaments, seuls 50 millions d'euros concerneront la production, bien que les ministres citent toujours France 2030 pour nous rassurer à ce sujet.
Le plan ne comporte aucune vision d'ensemble. Le Gouvernement se félicite de l'ouverture de gigafactories fabriquant des batteries électriques pour les voitures, mais il a laissé partir des carters en aluminium essentiels à ces mêmes voitures : on ne garde que ce qui est à forte valeur ajoutée, mais on ne s'assure pas de permettre la production sur l'ensemble de la chaîne de valeur.
En ce qui concerne la conditionnalité des aides aux entreprises, le Secrétariat général pour l'investissement répond qu'« une réflexion est en cours au SGPI, en lien avec les opérateurs et les ministères, pour l'introduction de telles clauses et contreparties ». C'est après avoir dépensé 25 % de l'argent du plan que l'on se pose enfin la question de savoir ce qui se passe si les promesses de relocalisation ne sont pas respectées.
Dernier grand absent du plan : la démocratie. On ne transforme pas une économie sans que les citoyens prennent part aux choix qui sont faits. Sur ce point, la méthode résume tout : pour la création du plan, vous avez fait voter par votre majorité l'amendement le plus cher de la Ve République, à 34 milliards d'euros, sans la moindre étude d'impact.
Pour toutes ces raisons, il est impossible d'être favorable à France 2030. J'émets un avis défavorable aux crédits de la mission Investir pour la France de 2030.
En revanche, je serai favorable à tous les amendements qui tendent à subordonner l'octroi des aides à des conditions et à favoriser le respect de l'environnement.