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Intervention de Xavier Reboud

Réunion du mercredi 18 octobre 2023 à 14h20
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Xavier Reboud, directeur de recherche, chargé de mission auprès de la direction scientifique Agriculture de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et vice-président de RobAgri :

Outre mes fonctions à la direction scientifique agriculture, j'ai aussi rapporté sur les analyses des alternatives à différents produits sur la sellette, le glyphosate, le prosulfocarbe, le S-métolachlore. J'ai vu, à cette occasion, les alternatives que les agriculteurs pouvaient mobiliser. L'association RobAgri, dont je suis vice-président, travaille sur le développement de la robotique agricole ; elle est porteuse du grand défi robotique.

Pour préparer cette audition, je me suis appuyé sur un certain nombre de documents qui sont tous disponibles sur Internet. Nous avons constitué des dossiers dédiés sur les agroéquipements et leur place dans l'agroécologie. Nous avons beaucoup travaillé la question de l'ensemble des leviers, dont le levier du machinisme, pour la préparation du programme prioritaire de recherche « Cultiver et protéger autrement ». Nous avons consacré un numéro de la revue Ressources à « Réduire les pesticides un peu, beaucoup, résolument. » Nous avons aussi publié un livre intitulé « Zéro pesticide ». Je peux également citer le livre blanc réalisé avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) sur la place du numérique dans une agriculture durable. Nous avons des prospectives sur la projection de l'agriculture à l'horizon 2050 et avons travaillé sur l'agrotechnopôle de Montoldre, dans l'Allier, considéré comme un lieu où l'on peut discuter entre acteurs de la recherche professionnels.

Je dirais juste, en termes en termes d'introduction, que les agroéquipements sont le passage obligé de toute action agricole. Il y a de nombreux leviers qui permettent de diminuer la dépendance aux produits phytosanitaires, que ce soit le choix variétal, l'approche biologique par le biocontrôle ou les infrastructures agroécologiques, les pratiques agronomiques ou la lutte chimique, mécanique et physique. Les pesticides ne sont qu'un levier parmi d'autres. En revanche, pour l'agriculteur, le machinisme, c'est le passage obligé qui rend possible ou pas le déploiement de certaines de ces pratiques.

Je donne quelques illustrations concrètes de la place des agroéquipements dans la réduction des produits phytosanitaires, à travers les dossiers que nous avons étudiés. Pour réduire l'usage du glyphosate, l'utilisation du désherbage mécanique ressort comme le levier numéro un. Dans le cas du S-métolachlore, l'application d'un herbicide sur des cultures à large écartement permet de gérer de manière différente le rang et l'entre-rang. On peut ne traiter que de manière localisée sur le rang. C'est le choix qu'a porté le Luxembourg. Dans le cas du prosulfocarbe, et concernant les pommes de terre, on peut travailler avec des approches mécaniques de butage et d'hersage, ou de passage de herse étrille pour les grandes cultures.

Si l'on fait un bilan de l'utilisation de ces alternatives, ce qui remonte assez clairement, c'est qu'elles sont toutes considérées comme étant plus techniques. Elles génèrent des chantiers plus lents, elles sont plus aléatoires selon la fenêtre météorologique et potentiellement plus chères. Ainsi, le choix des alternatives peut avoir un impact sur le temps passé, les énergies fossiles utilisées ou l'émission de gaz à effet de serre.

Dans nos différents rapports technico-économiques sur l'adoption des alternatives par les agriculteurs, nous avons ainsi constaté qu'en moyenne, il y avait un coût à se passer des produits phytosanitaires. Pour sortir du glyphosate, nos estimations vont ainsi de 10 à 80 euros de surcoût à l'hectare pour les grandes cultures et de 120 à 400 euros pour les cultures pérennes.

Nous ne disposons pas toujours d'un recul très important sur la part de ces surcoûts, qui peuvent être compensés par d'autres innovations technologiques. Nous partons d'une situation où les pesticides sont le système de base et le paradigme dominant. Nous essayons de basculer vers quelque chose qui est souvent moins connu, moins travaillé, sur la base de petites séries et nous ne bénéficions pas de l'apprentissage, des économies d'échelle, du cadre qui permettent de s'assurer qu'on utilise toutes ces solutions dans les bonnes conditions.

La situation vers laquelle on se dirige est toujours moins connue et moins adaptée ou moins performante au temps zéro que celle qu'on abandonne, sauf si on change les critères pour évaluer les performances.

Que fait la recherche ? Beaucoup de choses. D'abord, peut-être, elle quantifie les métriques de l'évaluation. Une équipe de l'Inrae s'est portée volontaire pour essayer de proposer un label performance « pulvé », afin d'avoir une évaluation quantifiée, qualifiée de la qualité des pulvérisateurs. Nous misons beaucoup sur les actions préventives, notamment à travers des approches de piège, de tests, de dispositifs expérimentaux pour pousser plus loin ces logiques dans les principales filières. Nous pensons qu'il est important de tirer profit du numérique pour accroître l'efficience des interventions, car le numérique permet en théorie de réaliser des économies en approchant de la solution la plus efficiente possible. Mais nous restons quand même convaincus qu'il va falloir produire dans des paysages qui seront, demain, plus complexes, plus diversifiés, sans rendre impossible le travail de l'agriculteur. Il faut donc accompagner ces démarches par des outils qui permettent de simplifier.

Dans le cadre de mes deux mandats de président du comité scientifique d'orientation recherche et innovation, nous avons soutenu le développement du challenge « robotique et capteur au service Écophyto » (Rose). L'ambition était d'amener les équipes scientifiques à travailler sur les méthodes permettant de faire un désherbage, non pas dans l'inter-rang, ce que tout le monde sait assez bien faire, mais sur le rang, pour permettre d'atteindre un niveau où le désherbage mécanique autorise une gestion complète de la flore adventice dans les parcelles. Évidemment, ce n'est pas concentré sur le seul désherbage. Il y a d'autres travaux qui concernent bien sûr la lutte contre les insectes ravageurs ou contre les maladies.

Je dirais que la communauté scientifique est largement internationale et que ces questions sont reprises dans un certain nombre de projets européens.

L'Inrae est la fusion de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea). À l'Inra, il y avait un département mathématique, mais pas de département de sciences de l'ingénieur au sens du CNRS ou des écoles d'ingénierie. En revanche, l'Irstea avait cette compétence. On a donc laissé au monde industriel et ses grands groupes la force de frappe pour développer les avancées sur le machinisme. Nous sommes obligés d'y revenir, d'où la mise en place du dispositif de Montoldre dans lequel nous testons des prototypes sur des bancs d'essai et nous évaluons leurs performances. Nous sommes à même d'accélérer les processus d'amélioration de ces équipements-là, évidemment pour la pulvérisation, mais aussi pour d'autres secteurs importants de l'agriculture.

Dans nos travaux sur les agroéquipements, je dirais que nous mettons particulièrement l'accent sur les actions prophylactiques, en essayant de mettre en avant la nécessité de diminuer notre dépendance aux produits phytosanitaires à travers une réflexion générale sur l'importance de développer les leviers préventifs et pas seulement les leviers curatifs, selon l'adage « Il vaut mieux prévenir que guérir ». Nous essayons ainsi de trouver tous les supports d'agroéquipement qui permettent cette prophylaxie. Il y en a dans tous les secteurs ; on peut notamment booster l'immunité des plantes, intercepter les semences d'adventice pour éviter qu'elles rejoignent le sol, travailler sur les outils de surveillance et décliner derrière des règles de décision associées pour que les agriculteurs puissent utiliser ces équipements dans les meilleures conditions.

Le grand défi robotique a bénéficié de 21 millions d'euros dans le cadre de France Relance. L'idée, c'est que, grâce aux robots, on peut faire travailler une machine 24 heures sur 24 sans forcément tasser les sols ; on peut leur donner des missions d'action préventive, consistant par exemple à éviter le démarrage des populations adventices en faisant un passage un peu systématique.

Que peut-on changer ? On peut mobiliser des services plutôt que l'achat des équipements pour que les agriculteurs trouvent de meilleurs prix. On peut travailler sur l'aide à l'achat. On peut apporter du numérique pour améliorer le confort. On peut travailler sur des références qui quantifient mieux les bénéfices attendus, notamment pour les actions préventives, avec une évaluation élargie, en fonction de critères environnementaux, sociaux et économiques. Et évidemment, on peut automatiser certaines choses pour gagner sur les coûts de main-d'œuvre des tractoristes.

Pour aller plus loin, on pourrait travailler sur la place du machinisme dans les cahiers des charges, qui ne sont en général pas connus. On pourrait aussi revenir sur les pratiques telles qu'elles sont menées dans d'autres pays européens. On pourrait aussi imaginer qu'à chaque fois qu'il y a une avancée technologique, on en profite pour l'intégrer dans l'ajustement des doses maximales applicables à l'hectare. On pourrait enfin élargir les critères pour qu'ils couvrent mieux les besoins d'une agriculture durable dans laquelle les pesticides auront nécessairement moins leur place.

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