Fournir à nos forces armées les matériels et les équipements dont elles ont besoin pour accomplir leur mission et garantir leur supériorité opérationnelle sur le terrain : tel est l'objet du programme 146.
Ce programme couvre un large périmètre. Celui-ci inclut le développement du sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de nouvelle génération, qualifié par l'amiral Fayard, commandant de la Force océanique stratégique (FOST), lors de notre déplacement à la base de l'Île Longue, d'objet le plus complexe au monde. Il inclut aussi les munitions d'artillerie de 155 mm, si essentielles à nos partenaires ukrainiens. Il finance nos capacités dans les nouveaux champs de conflictualité que sont l'espace et le cyber.
Ses enjeux budgétaires sont massifs. La LPM 2024–2030 prévoit plus de 100 milliards d'euros pour les seuls programmes à effet majeur (PEM), soit une hausse de 70 % par rapport à la précédente LPM ! L'ambition capacitaire, que l'on ne saurait nier sous prétexte que la réalisation de certains programmes est décalée pour financer les priorités, est majeure. L'objectif est bien de transformer notre outil de défense pour relever le double défi de la haute intensité et d'une conflictualité devenu multi-milieux et multi-champs.
Même s'il ne s'agit pas d'une surprise à l'aune des dernières années, la mise en œuvre pleine et entière de l'ambition capacitaire de la LPM dans le projet de loi de finances pour 2024, dès l'année I, est une bonne nouvelle. Ce qui est mis en œuvre est exactement ce que nous avons voté il y a quelques mois à une très large majorité. Avec plus de 16,6 milliards d'euros de crédits de paiement prévus en 2024, nous sommes en ligne avec la trajectoire financière de la LPM.
Dans sa structure, le programme 146 met en œuvre les grandes inflexions capacitaires de la LPM. Les programmes de défense les mieux dotés en autorisations d'engagement pour financer les commandes prévues en 2024 en reprennent les priorités.
J'en donnerai trois exemples concrets : 1,2 milliard d'euros sera consacré à la création de nos capacités d'action dans l'espace, notamment par le biais de satellites patrouilleur-guetteur ; 1,4 milliard sera consacré au renouvellement de nos capacités de missiles dans le cadre du programme du futur missile antinavires / futur missile de croisière (FMAN/FMC) ; 700 millions seront consacrés au renouvellement de notre défense sol-air basse couche et un montant quasi-équivalent financera la commande de huit systèmes sol-air moyenne portée/terrestre (SAMP/T) – Mamba.
La mise en œuvre des grandes priorités et des nouveautés capacitaires de la LPM est concrétisée par la création, au sein du programme 146, de neuf PEM, tels que le programme relatif à la frappe terrestre dans la profondeur visant à donner un successeur au lance-roquettes unitaire (LRU), le programme visant à développer des drones de contact et des munitions télé-opérées et le programme dit UCAV, destiné à financer le futur drone d'accompagnement du Rafale au standard F5.
Si le projet de budget 2024 met parfaitement en œuvre la LPM 2024-2030, j'ai toutefois trois points de vigilance.
Premièrement, il est nécessaire de bien finir l'année 2023 pour commencer l'année 2024 sur de bonnes bases. De nombreuses commandes prévues en 2023 restent à passer, y compris pour des programmes structurants tels que la cinquième tranche de quarante-deux Rafale et la commande de 420 engins blindés multi-rôles légers (EBMR-L) Serval du programme Scorpion. Pour faire face à l'inflation, dont le surcoût est estimé à près de 400 millions pour le programme 146 en 2023, et compenser le niveau élevé de la réserve de précaution, qui est de l'ordre de 6 % des crédits, la rallonge budgétaire de 1,5 milliard dans le cadre d'une loi de finances rectificative à venir et dont une grande partie devrait être consacrée au programme 146, annoncée par le ministre, sera particulièrement bienvenue.
Mon deuxième point de vigilance est l'économie de guerre. S'il est indéniable que des efforts ont été réalisés en 2023, s'agissant notamment de l'augmentation du cadencement de certaines productions, du début de la transformation de la direction générale de l'armement (DGA) et de l'étude de projets de relocalisation de filières critiques, il faut développer nos efforts selon trois axes.
Il faut résorber les goulets d'étranglement des chaînes d'approvisionnement, qui sont à l'origine de la plupart des retards industriels dans la livraison des équipements, notamment en semi-conducteurs et en produits rares sur les marchés. Il faut simplifier davantage encore nos normes et nos processus de production. C'est impératif pour augmenter notre vélocité. Il faut veiller à améliorer l'équilibre entre rusticité et hyper-technologie dans nos équipements.
Par ailleurs, en 2024, les mesures de la LPM axées sur l'économie de guerre, telles que la constitution de stocks et la création d'une réserve industrielle, seront mises en œuvre.
Mon troisième point d'attention porte sur les programmes en coopération. Le ministre et le délégué général pour l'armement les ont largement évoqués lors de leurs auditions respectives.
En 2024, l'enjeu principal sera le MGCS. La réussite d'une coopération industrielle suppose que trois conditions soient remplies : la volonté politique – elle existe de part et d'autre ; la convergence des besoins des armées – cette condition est remplie depuis la signature, le 21 septembre dernier, du document sur l'expression des besoins signé par les deux armées de terre ; la volonté des industriels de travailler ensemble – nous saurons en 2024 si cette condition est remplie.
À l'aune des auditions que j'ai menées à ce sujet, je suis confiant sur deux points : toutes les options sont sur la table ; nos armées et nos industriels travaillent à des solutions permettant d'être prêt, quel que soit l'avenir du MGCS, pour le jalon décisionnel de 2025.
Quoi qu'il en soit, les coopérations européennes sont le seul moyen de résister à l'influence de l'industrie américaine. Sur le segment des hélicoptères, par exemple, le projet européen d'hélicoptère du futur (ENGRT) développé dans le cadre du Fonds européen de la défense (FED) est le seul moyen d'éviter que le projet d'hélicoptère développé dans le cadre de l'OTAN ne produise un raz-de-marée américain sur le marché européen. Après la déferlante F-35 dans le secteur de l'aviation de chasse, il nous appartient d'éviter une déferlante H-35 dans celui des hélicoptères.
J'en viens à la partie thématique de mon rapport, consacrée aux financements européens de défense. Sous cette appellation, je rassemble les financements issus du budget de l'UE, qui n'incluent pas la Facilité européenne pour la paix (FEP), qu'évoqueront nos collègues Lionel Royer-Perreaut et Christophe Naegelen lors de la présentation de leur rapport d'information sur le bilan du soutien militaire à l'Ukraine. Le FED appelle trois observations.
D'abord, le FED est un outil que les industriels et les entreprises de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) se sont approprié. Il finance des projets de recherche et développement (R&D) développés par au moins trois entreprises établies dans au moins trois États membres, à hauteur de 8 milliards sur la période 2021 – 2027. Au sein du FED, les industriels français sont les plus actifs et la France est le pays qui coordonne le plus grand nombre de projets – trente-et-un, soit plus de 30 % des projets.
Ce bon bilan appelle toutefois deux nuances : les PME françaises sont sous-représentées, notamment en raison de la complexité du processus d'appel d'offres ; le soutien de la DGA pourrait être optimisé, notamment en créant un guichet unique pour les entreprises. Nous en avons discuté avec le directeur général de l'armement.
Ensuite, le FED doit évoluer pour devenir un outil véritablement stratégique. Il faut se prémunir du risque de saupoudrage des moyens sur trop de projets, à l'intérêt capacitaire limité et aux participants trop nombreux. Cela suppose de se concerter sur les grandes priorités capacitaires et de s'assurer que les États dont relèvent les industriels participant aux projets s'engagent à acquérir les équipements issus des travaux de R&D financés par le FED, dont il faut, en somme, développer la plus-value capacitaire.
Enfin, la guerre en Ukraine a indéniablement fait bouger les lignes en matière de financement européen. Deux mécanismes d'urgence ont été créés : l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes (EDIRPA), qui vise notamment à recompléter les stocks de matériel cédés à l'Ukraine ; l'action de soutien à la production de munitions (ASAP).
De trop nombreux pays européens se fournissent auprès de pays tiers. Il faut aller plus vite et surtout plus fort. D'après une étude récente de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), 78 % des 100 milliards d'euros de commandes d'équipements militaires des pays de l'UE depuis février 2022 ont bénéficié à des pays tiers, au premier rang desquels les États-Unis.
Il est urgent de changer d'échelle en créant, à l'échelon européen, un véritable mécanisme de financement visant à subventionner la production en commun d'équipements militaires. D'autres actions structurelles telles que la modification de la politique de prêt de la Banque européenne d'investissement (BEI), la clarification de la taxonomie européenne et la préservation de la liberté d'exportation sont également proposées dans mon rapport
Je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 146.