Beaucoup, parmi vous, connaissent mon amour du rugby. Aussi, permettez-moi, à la différence de certains arbitres, de relever d'emblée les fautes du PLF pour 2024.
Contrairement à ce que j'ai entendu dire, il ne respecte pas la LPM 2024 – 2030, du moins dans l'esprit. Il y a quelques mois, nous nous sommes battus de concert pour augmenter les premières marches de la trajectoire financière de la LPM. Nous avons considéré qu'il faut prévoir plus de moyens dès ses premières années, dans une seule finalité : garantir l'augmentation de l'activité et de l'entraînement de nos armées.
Pour ce faire, nous avons obtenu en CMP plus de 1 milliard supplémentaire sur la période 2024 – 2027. Pour que le Gouvernement comprenne bien le message, nous avons même ajouté une trajectoire précise, dotée d'indicateurs en heures d'entraînement de nos soldats, en jours passés en mer de nos marins et en heures de vol de nos aviateurs.
Nous avons aussi ajouté par amendement que « la préparation opérationnelle progressera quantitativement dès 2024 ». Si nous nous sommes battus pour obtenir davantage de moyens afin de favoriser l'activité, si nous avons ajouté des objectifs précis pour la mesurer, c'est pour être en capacité de contrôler le respect par le Gouvernement de la volonté du législateur.
Est-ce le cas pour 2024 ? Je ne peux pas vous le dire, alors même que mon rôle de rapporteur consiste à donner un avis éclairé sur l'efficacité des moyens accordés à nos militaires. Le Gouvernement a décidé d'orchestrer une opération d'opacité inédite dans l'histoire récente de nos armées, en censurant, dans les documents budgétaires, les données relatives à l'activité des forces et à la disponibilité de nos équipements. Dans le PLF pour 2023, des tableaux détaillaient le nombre d'heures d'activité des forces et les taux de disponibilité des avions. Dans le PLF pour 2024, ces tableaux sont blancs.
Il s'agit pour moi d'un recul majeur de notre capacité à contrôler le budget des armées. L'entretien des flottes représente 70 % du budget de l'armée de l'air et de l'espace (AAE). Cette dépense a-t-elle été efficace ? A-t-elle permis d'accroître la disponibilité de nos avions ? Je ne peux pas vous le dire précisément.
En tant que rapporteur pour avis, j'ai certes eu accès à ces données désormais classifiées ; cet accès restreint à l'information a toutefois peu de valeur ajoutée s'il est limité à ma personne et si je ne peux en témoigner ni les analyser publiquement, ce qui est l'essence même du mandat d'un parlementaire, surtout s'il est chargé de rapporter un budget. L'un de nos rôles capitaux, en tant que parlementaires, est de veiller au bon usage de l'argent du contribuable.
Lors de l'examen de la LPM, de nombreux rapports ont été demandés au Gouvernement, non sans légitimité, par exemple sur la politique environnementale des armées ou les discriminations. Il est paradoxal que l'enjeu principal pour nos armées qu'est leur activité ne puisse faire l'objet d'un rapport étayé.
Je n'admets pas l'argument selon lequel ces données feraient le jeu de nos compétiteurs. L'US Air Force, qui serait en première ligne en cas de conflit, publie les taux de disponibilité de ses aéronefs. En vérité, cette censure n'est pas une requête de nos états-majors mais une décision politique. Sans capacité d'analyser en détail, nous jouons notre rôle d'agitateurs d'idées, celui-là même que nous attribue le ministre des armées, en vain.
Autre illustration de l'opération opacité du ministère : plus de 52 % des réponses à mon questionnaire budgétaire ont été classées en diffusion restreinte, contre 22 % l'an dernier. L'apport de la LPM aux capacités de l'armée de l'air ? Diffusion restreinte. Le soutien apporté par l'AAE à nos populations en Indo-Pacifique ? Diffusion restreinte. Je pourrais citer des dizaines d'exemples similaires. Je le dis en commission faute, pour cause de 49-3, de pouvoir le dire en séance : cette dynamique vers toujours plus d'opacité, si elle est cohérente avec l'exercice du pouvoir macronien, est dangereuse pour le contrôle démocratique et, in fine, pour nos armées.
Le programme 178 alloue environ 3,5 milliards à l'AAE. La majeure partie est consacrée à l'entretien des flottes, qui absorbe 2,5 milliards en CP. En 2024, les crédits connaissent une hausse bienvenue de 21 %, supérieure à celle des crédits alloués aux forces terrestres – 16 % – et à celle des crédits alloués aux forces navales – 11 %. L'AAE bénéficiera de 620 millions de crédits supplémentaires.
Il convient toutefois de relativiser cette augmentation, qui devrait être absorbée par l'inflation dans une proportion allant de 50 % à 60 %. J'en donnerai un seul exemple. Le tarif de cession du carburant F-34 était de 512 euros par mètre cube en 2022. Il sera de 1 085 euros en 2024. En conséquence, plus de 422 millions sont budgétés pour le seul poste carburéacteur en 2024, soit près de 200 millions de plus qu'en 2023.
Autre élément important du budget 2024 : la conclusion prévue d'un contrat dit de RED AIR pour externaliser à un prestataire la simulation d'une force d'opposition dans le cadre d'exercices. D'après les informations qui m'ont été communiquées, ce marché portera sur 3 000 heures de vol, pour une durée d'au moins sept ans. Que l'AAE soit contrainte à une telle externalisation en dit long sur les capacités et le format de nos flottes.
J'en viens aux points de vigilance pour 2024.
Le premier est le format de nos flottes, notamment de l'aviation de chasse. Je plaidais l'année dernière pour la massification de celle-ci, requise par l'évolution du contexte stratégique. Je n'ai malheureusement pas été entendu.
La LPM 2019 – 2025 prévoyait 185 Rafale à l'horizon 2030. La LPM 2024 – 2030 n'en prévoit plus que 137, soit une réduction de cible de quarante-huit avions. S'agissant des A400M, la cible passe de cinquante à trente-cinq. Quant à notre parc d'hélicoptères de manœuvre, il passera de trente-six à trente-deux appareils.
Ces décalages et ces réductions de cibles auront nécessairement un impact sur le contrat opérationnel de l'AAE. Ce n'est pas moi qui le dis, mais la LPM. Le ministre nous ayant reproché de ne pas avoir suffisamment abordé les contrats opérationnels de nos armées lors de son examen, je me suis penché sur le sujet. Malheureusement, mes craintes ont été confirmées. En raison des réductions de format et des décalages de cibles, l'AAE pourra mobiliser moins de capacités dans un conflit majeur que ce que prévoyait la précédente LPM.
Les chiffres du rapport annexé sont les suivants : quarante avions de chasse, contre quarante-cinq ; huit avions de transport stratégique, contre neuf ; quinze avions de transport tactique, contre seize ; deux avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) contre quatre ; deux systèmes de drones armés contre quatre. Toutes les capacités sont touchées. Telle est la réalité des chiffres derrière les déclarations des autorités sur l'adaptation à la haute intensité. L'AAE aura moins de moyens à engager dans un conflit majeur.
Mon second point de vigilance concerne les ressources humaines. Comme les autres armes, l'AAE ne parvient pas à respecter ses schémas d'emplois en raison d'un déficit de fidélisation.
Il faut contribuer au développement des écoles militaires, qui permettent non seulement de recruter mais aussi, comme l'a rappelé le général Mille lors de son audition, d'avoir des aviateurs plus fidèles à l'institution. La révision de la grille indiciaire est le deuxième élément clé pour fidéliser les troupes. Il faut consentir un effort massif dans ce domaine, sans toutefois aboutir à un tassement de la grille susceptible de décourager les sous-officiers, les officiers et même les officiers généraux, comme l'indique le dernier rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM).
J'en viens à la partie thématique de mon rapport, consacrée à l'AAE en Indo-Pacifique. Si cette région est souvent traitée sous l'angle maritime, les capacités de projection de l'AAE, telles que démontrées par la mission Pégase, font de nos forces aériennes un véritable outil de puissance et d'influence pour la France.
Dans mon rapport, je milite pour un changement de paradigme complet pour nos forces de souveraineté en Indo-Pacifique, à la hauteur des enjeux stratégiques de la zone. Longtemps, ces forces ont été négligées, car elles étaient considérées comme peu stratégiques. Les effectifs ont été réduits depuis vingt ans et leurs capacités, en nombre limité, sont clairement orientées vers le bas du spectre : pour l'AAE, des avions de transport Casa et des hélicoptères Puma dont la moyenne d'âge est 50 ans.
Il faut développer ces forces selon deux axes. Le premier est la consolidation de nos moyens permanents sur place. Je milite pour que des A400M, des drones et des ALSR soient positionnés de façon permanente sur nos bases en Indo-Pacifique. Le second est le développement des infrastructures sur nos bases, pour y accueillir des forces de projection de puissance crédibles – au moins une douzaine de Rafale, accompagnés d'avions multirôles de transport et de ravitaillement (MRTT) et d'A400M.
Cela nécessite d'importants travaux de remise à niveau des bases en matière d'infrastructures opérationnelles, de dépôts de munitions, de hangars, de centres de commandement et de protection des emprises. Le chantier est immense mais nécessaire pour être une puissance qui compte en Indo-Pacifique. Dans cette région, pivot du monde au XXIe siècle, la crédibilité de ses armes et le sort de la France sont en jeu.