Intervention de Yannick Chenevard

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Chenevard, rapporteur pour avis :

La flotte civile auxiliaire britannique a joué un rôle important à une époque où la marine britannique avait connu une très forte déflation. La Grande-Bretagne, économiquement et financièrement exsangue, avait tranché dans ses budgets militaires, notamment celui de la marine. Une seule unité, quasiment désarmée et sur le point de l'être, se trouvait aux Malouines. À ce très mauvais signal, les Argentins se sont empressés d'agir.

La marine britannique a rapidement compris qu'elle pouvait lier sa survie et son fonctionnement opérationnel à la marine civile. Les arsenaux britanniques ont construit sur des navires civils des pistes pour des hélicoptères ou des avions Sea Harrier. Une véritable armada de navires civils s'est ainsi formée. Flotte civile et flotte militaire ont formé un tout et travaillé en cohérence. En dépit de la tyrannie de la distance et de la difficulté à ravitailler une telle flotte, dont certains navires ont été coulés, les Britanniques ont réussi.

Le rapport sur notre flotte stratégique que j'ai récemment remis à la Première ministre rappelle la nécessité de travailler sur au moins deux aspects.

Le premier est l'ensemble des marins et des officiers de la marine marchande. Que devient un navire battant pavillon français dont la moitié de l'équipage refuse de naviguer en raison de son appartenance à la nationalité qui revendique tel ou tel territoire ? Je préconise le retour de la formation des officiers de la marine marchande avec ceux de la marine nationale, en plusieurs étapes.

Le deuxième aspect est industriel. On ne construit plus un seul bateau civil de 100 à 200 mètres en France. Même la Pologne ne fait que des morceaux de navires. Les seuls pays où l'on construit des navires civils sont le Sri Lanka, la Corée du Sud et la Chine, les deux premiers étant en perte de vitesse au profit du troisième.

Si, demain, nous voulons construire des navires océanographiques et des câbliers, qui ont une importance stratégique, et si les Chinois refusent de les construire, nous serons dans une situation délicate, d'autant que l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) a besoin de renouveler plusieurs de ses navires. Il faut réindustrialiser et faire en sorte que nous puissions à nouveau bâtir des navires chez nous, ce qui suppose de recréer une base industrielle, technologique et maritime.

Les Américains ont prépositionné des groupes aéronavals au large d'Israël pour envoyer aux pays qui l'entourent susceptibles d'intervenir militairement le message « Ne bougez pas ». Jusqu'au début des années 2000, nous avions deux porte-avions – le Clémenceau et le Foch, puis le Foch et le Charles-de-Gaulle. Lorsque le Foch a été désarmé, le projet de construire le sister-ship du Charles de Gaulle a été abandonné pour des raisons budgétaires – souvenons-nous des Britanniques à la veille de la guerre des Malouines !

Seuls deux pays ont, comme nous, des porte-avions à catapulte : les États-Unis et la Chine, qui en a trois. Nous en avons un. Or, en dix ans de vie, un porte-avions à propulsion nucléaire en passe trois au bassin. Statistiquement, nous n'avons pas de porte-avions 30 % du temps. Nous en faut-il un second ? Chacun le sait.

Comment faire ? Dans la LPM, nous avons adopté un amendement à ce sujet. À l'horizon 2025 ou 2026, une fois que nous aurons à peu près l'architecture et le coût du réacteur du PANG, nous saurons globalement combien il coûtera et combien coûterait le deuxième – 30 % de moins, à la louche.

Par ailleurs, deux porte-avions, ce n'est pas deux groupes aériens, mais un groupe aérien alternant entre les deuxou scindé en deux. Quoi qu'il en soit, en 2038, lors de la mise à l'eau du PANG, il y aura deux porte-avions dans la marine.

Le canal du Mozambique et le Sud-Est de La Réunion sont un passage éminemment important en cas de blocage du canal de Suez. Nous sommes positionnés sur les deux routes principales. À l'Est de Madagascar, il y a Mayotte, Europa, Juan da Nova, Bassas da India et les îles Glorieuses. La route maritime passant par le canal du Mozambique sera d'autant plus importante si le canal de Suez est fermé.

Or le respect par le droit ne tient qu'associé à la force. La route passant au Sud-Est de La Réunion est empruntée par un nombre croissant de bateaux, chinois notamment, transitant par le canal de Malacca, par où passe 30 % du trafic maritime mondial. Il faut disposer de moyens prépositionnés. Lors de notre déplacement dans la région, nous avons constaté une carence des moyens de l'action de l'État en mer.

Nous n'avons pas de remorqueur de haute mer. Je vous laisse imaginer ce qu'il adviendrait si un navire empli de pétrole subissait un jour une avarie et s'échouait à La Réunion. Nos moyens aériens sont rares. Il faudrait à demeure un avion de surveillance de type Falcon. Le travail satellitaire n'est pas suffisant, car le satellite, entre deux passages, ne voit pas tout. Les drones capables de voler quatre-vingt-dix jours peuvent remplir ces missions.

S'agissant de l'armement de nos navires, compte tenu du risque d'affrontement majeur en mer, de la mer vers la terre et de la terre vers la mer, nous devons, dès la conception des navires – par exemple celle de la corvette européenne (EPC) –, renforcer l'armement installé. Sur une FDI, les Grecs placent trente-deux missiles Aster. Nous en prévoyons seize. Sur les EPC, nous aurons besoin, contrairement à nos amis espagnols, d'une grande allonge. Les EPC remplaceront les frégates de surveillance (FS), dont les missiles antinavires ont été enlevés.

Il faut renforcer tout cela. Parce que nous devrons mener des combats de haute intensité et parce que les revendications territoriales ne cesseront d'augmenter, nos navires, certes particulièrement bien armés, devront l'être bien davantage.

S'agissant du Slam-F, la livraison des deux premiers modules, prévue en 2022 et en 2023, a été reportée à 2024 en raison de la crise du covid et un peu du Brexit. Je vous confirme que selon mes informations, l'entrée en phase de réalisation des bâtiments de guerre des mines est toujours prévue en 2024. Quant aux drones et aux bâtiments-bases de plongeurs démineurs (BBPD), ils seront absolument indispensables. Un amiral de la force d'action navale (FAN) s'occupe spécialement de la maîtrise des fonds marins : c'est dire le caractère sensible des tranches situées à 6 000 mètres de fond et au-delà.

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