Le ministère des armées se félicite de l'augmentation de 3,3 milliards des crédits de la mission Défense par rapport à la loi de finances pour 2023. Sur ces ressources nouvelles, plus de 577 millions financeront la masse salariale, 269 millions financeront de nouveaux projets d'infrastructures et 275 millions abonderont les services de soutien de proximité. Je me réjouis de cette tendance générale au renforcement des services de soutien, qui ont été les plus sacrifiés par une décennie de sous-investissement, dont le ministère des armées peine à se remettre.
Pourtant, si je me penche plus en détail sur leur état général, plusieurs ombres assombrissent le tableau. Les sujets d'inquiétude ne manquent pas, au moment où les armées doivent se préparer à toutes les hypothèses, dont celle du retour de la haute intensité en Europe.
Que dire de la centaine de praticiens de la composante médecine des forces du service de santé des armées (SSA) qui, cette année encore, manqueront à l'appel ? Que dire du taux d'attrition des étudiants de l'école de santé des armées, compris entre 30 % et 40 % ? Que dire de la fragilité de certains stocks d'habillement du service du commissariat des armées (SCA) ou des renoncements à des travaux d'infrastructure structurants au service de l'énergie opérationnelle (SEO), faute de crédits suffisants ?
S'agissant des équilibres budgétaires des services de soutien relevant des programmes 178 et 212, j'ai identifié des points de vigilance pour chaque service. Certains figuraient dans mon rapport l'an dernier.
Je déplorais notamment la faiblesse récurrente des hypothèses sur lesquelles repose le PLF, fondées sur un cours moyen du baril de Brent significativement inférieur au cours réel observé. En 2022, cette différence avait provoqué la consommation de deux tiers du budget du SEO à la moitié de l'année.
Cette année, l'hypothèse de construction budgétaire du PLF est fondée sur un cours du baril à 86 dollars, alors même que le cours moyen observé actuellement est de 90 dollars. Si cette hypothèse semble plus réaliste que celle de l'an dernier, je compte néanmoins déposer un amendement visant à abonder les crédits consacrés aux dépenses de carburant, pour prémunir le SEO contre le risque d'une envolée des cours.
Par ailleurs, faut-il vraiment se réjouir de l'augmentation des crédits de masse salariale à hauteur de 577 millions ? Le schéma d'emploi pour 2024 prévoit une augmentation de 456 équivalents temps plein (ETP), contre 700 prévus dans la LPM 2024 – 2030. Ce renoncement signale les difficultés croissantes qu'éprouve le ministère des armées pour atteindre ses cibles de recrutement. En conséquence, le dispositif prévu à l'article 7 de la LPM, qui prévoit de flécher vers des mesures de fidélisation les crédits de titre II (T2) rendus disponibles par une sous-réalisation des cibles d'effectifs, sera enclenché dès 2024.
Les premières mesures de revalorisation indiciaire seront mises en œuvre à partir d'octobre 2023 pour les militaires du rang et les sous-officiers subalternes, à partir d'octobre 2024 pour les sous-officiers supérieurs et à compter de 2025 pour les officiers. S'agissant des premières, les premiers éléments disponibles semblent indiquer une revalorisation minimale qui, compte tenu de l'inflation, ne produirait que de modestes effets pendant une ou deux années, avant d'être rattrapée par les mesures interministérielles générales et les hausses de l'indice plancher de la fonction publique.
Après avoir déploré la conception par étapes de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), je m'inquiète de la reproduction d'une méthode similaire, consistant à préparer des textes réglementaires au fur et à mesure, pour le chantier indiciaire.
Pourquoi ne pas dévoiler les évolutions projetées de la grille indiciaire des officiers avant de mettre en œuvre la grille indiciaire rénovée des militaires du rang ? Comment s'assurer de la cohésion des grilles révisées et garantir in fine qu'un militaire du rang trouvera un intérêt à devenir sous-officier, voire officier, dans une logique d'escalier social chère à nos armées ? Notre commission ne manquera pas d'occasions, au cours des deux prochaines années, de revenir en détail sur ces enjeux, qui font l'objet d'immenses attentes de la communauté militaire.
J'en viens à la partie thématique de mon rapport, consacrée aux ressources humaines et au soutien des forces de souveraineté stationnées dans les outre-mer. La LPM 2024 – 2030 prévoit une remontée en puissance de leurs capacités, dans le cadre des points d'appui ultramarins. Je souhaite mettre en lumière les enjeux de soutien afférents.
Je me suis rendu en Polynésie française, auprès des forces armées en Polynésie française (FAPF). J'ai échangé avec toutes les composantes des forces et avec les services de soutien de la base de défense.
La Polynésie est un cas d'étude intéressant. Elle concentre et exacerbe de nombreuses difficultés rencontrées par les services de soutien ultramarins : insularité ; coût de la vie exacerbé ; conditions climatiques éprouvantes pour les stocks ; pression foncière maximale ; difficulté, voire impossibilité des conjoints d'accéder à l'emploi ; distance avec l'Hexagone – 21 heures de vol et 12 heures de décalage horaire – ; élongation territoriale majeure sur cinq archipels, dispersés sur un territoire grand comme l'Europe. À mon retour dans l'Hexagone, j'ai auditionné en visioconférence les quatre autres forces de souveraineté au sujet des enjeux de ressources humaines et de soutien.
Mes travaux m'inspirent plusieurs constats.
Le modèle des soutiens outre-mer présente incontestablement de nombreuses forces, dont la principale réside dans le commandement supérieur des forces armées outre-mer (COMSUP), qui est à la fois chef militaire et chef des soutiens. Cette double casquette du COMSUP améliore l'adéquation et l'intégration du soutien aux missions opérationnelles. Cette configuration est féconde pour penser la réforme nécessaire des bases de défense en Hexagone, dans un contexte de rapprochement indispensable de la chaîne des soutiens et de la chaîne opérationnelle.
En dépit de ces forces, la résilience des services de soutien dans les outre-mer demeure inégale. Le SSA, le SEO, la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (Dirisi) et le Service interarmées des munitions (Simu) doivent être renforcés si nous souhaitons que les outre-mer deviennent de véritables points d'appui. Les réserves stratégiques pétrolières détenues en propre par les forces armées doivent être renforcées. La capacité de stockage des dépôts de munitions peut encore être augmentée. La résilience des infrastructures de communication doit être améliorée.
En Polynésie, le nombre d'évacuations sanitaires effectuées par la direction interarmées du service de santé (DIASS) est anormalement élevé. Cette compétence appartient en droit aux autorités locales. Je renouvelle l'expression de mon inquiétude s'agissant de la sur-sollicitation des moyens humains et matériels des forces de souveraineté pour ces évacuations, d'autant que le problème semble se poser, à des degrés divers, pour toutes les forces de souveraineté.
J'en viens au problème de la cherté de la vie outre-mer. D'après la dernière enquête exhaustive sur les prix dans les outre-mer, réalisée par l'Insee en 2015, le niveau général des prix y est de 7 % à 12,5 % plus élevé que dans l'Hexagone. Ces écarts de prix sont particulièrement criants pour les produits alimentaires, atteignant 28 % à La Réunion, 38 % à la Martinique, 34 % en Guyane et 33 % en Guadeloupe. En Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, les écarts de niveau des prix sont du même ordre.
Les militaires affectés dans les outre-mer bénéficient d'indexations de soldes différenciées selon les territoires. En Polynésie, cette indexation est de 181 %, supérieure à la majoration servie dans les Antilles.
Toutefois, le différentiel de compensation du coût de la vie selon les territoires, dont le calcul n'a pas évolué récemment, ne tient pas compte du fait que les effets de la vie chère sont accentués pour les militaires, en raison des difficultés que connaissent leurs conjoints pour accéder à l'emploi. Je propose d'actualiser à la hausse tous les coefficients d'indexation de solde des personnels militaires et civils affectés dans les outre-mer, afin de disposer de coefficients d'indexation ajustés aux niveaux de vie actuels ultramarins.
Par ailleurs, il importe de promouvoir un renforcement significatif de l'offre de loisirs proposée aux militaires des forces de souveraineté. Dans les territoires ultramarins, l'offre de loisirs est disparate, voire inaccessible. Il s'avère difficile, pour les militaires qui y sont affectés, notamment les sous-officiers et les militaires du rang, d'y passer des vacances en famille. À Tahiti, on m'a plusieurs fois signalé la différence entre l'image de carte postale qui prévaut dans les esprits de nombreuses familles avant le départ et la réalité des conditions de vie, onéreuses, sur place. Ce décalage explique certains retours anticipés des familles, certes minoritaires, dans l'Hexagone.
Plusieurs de mes propositions visent à étendre le bénéfice du plan WIFI aux forces de souveraineté en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, et à garantir aux militaires affectés dans les outre-mer ainsi qu'à leurs familles le bénéfice d'un aller-retour en Hexagone au minimum durant leur séjour.
S'agissant de l'accès à une offre de soins en psychologie et psychiatrie des forces de souveraineté, il n'est pas évident, car de nombreux postes sont armés par des réservistes. Parce que l'outre-mer, bien souvent, exacerbe les problèmes individuels plus qu'il ne les résout, il importe de disposer d'une offre de santé adéquate et d'une réelle politique de loisirs à destination des forces de souveraineté.
Je remercie les personnels militaires et civils rencontrés dans le cadre de mon déplacement auprès des forces armées en Polynésie française et auditionnés à l'Assemblée nationale.
Je déplore la raréfaction de l'information budgétaire mise à la disposition de la représentation nationale et des citoyens par le Gouvernement. Les données relatives à l'activité des forces et à la disponibilité des équipements ont été protégées au niveau diffusion restreinte et ne figurent plus dans les projets annuels de performance (PAP) de la mission Défense. Je déplore également d'avoir fait les frais d'un usage renforcé de la « diffusion restreinte » dans les réponses reçues à mon questionnaire budgétaire. Je déplore enfin le manque d'informations détaillées partagées par certains services du ministère, s'agissant notamment de la révision en cours des grilles indiciaires des personnels militaires.