« Pour le juge, je suis une mère aliénante, folle, voulant écarter leur père. J'ai fait tout ce que je pouvais pour protéger mes enfants. Mais rien de plus que ce qu'aurait fait n'importe quel parent. » Ces mots, ce sont ceux d'Hanna Dam-Stockholm. Ses trois enfants ne l'ont pas vue depuis trois ans : ils vivent avec leur père, quelque part en Polynésie. Pourtant, celui-ci fait l'objet d'une dizaine de signalements pour violences, y compris sexuelles. Les signalements des professeurs et des professionnels de l'aide sociale à l'enfance (ASE) convergent avec les constats des psychologues qui ont estimé que les enfants étaient en danger auprès de lui. Il a pourtant été autorisé à passer les vacances scolaires avec ses enfants durant l'été 2020. Hanna, déjà en vacances avec eux à ce moment-là, a tardé à les lui remettre. Elle a été condamnée à un an de prison pour soustraction d'enfants. Je le dis devant vous : j'aurais fait comme elle. Et je sais que beaucoup d'entre vous auraient fait comme elle car notre premier devoir de parent est de protéger nos enfants.
L'état du droit et le fonctionnement actuel des institutions ne permettent pas de protéger efficacement les enfants victimes de violences intrafamiliales. Le cas d'Hanna Dam-Stockholm est loin d'être isolé : trop de parents violents conservent l'autorité parentale ainsi que leurs droits de visite et d'hébergement. Beaucoup de ces enfants sont alors condamnés à vivre des années de violences destructrices. Le nombre d'enfants concernés est vertigineux. 160 000 sont en effet victimes de violences sexuelles chaque année en France et 400 000 sont victimes ou covictimes de violences intrafamiliales, tous types confondus. Parmi eux, la majorité n'est pas protégée, y compris lorsque les violences sont connues des institutions.
Le présent texte a pour objectif de remédier en partie à ces carences en permettant d'agir vite lorsqu'un enfant est en danger. En agissant sur la suspension et le retrait de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement, il s'agit de limiter ou de rompre les relations entre l'enfant et son parent violent afin de mettre l'enfant en sécurité. C'est une évolution essentielle du droit. Je remercie l'autrice de ce texte, Isabelle Santiago, pour son travail, et je me félicite que les députés de la commission des lois aient rétabli l'esprit du texte initial, qui avait été vidé de sa substance lors de son passage au Sénat.
Ce texte et les débats qui l'accompagnent témoignent d'une prise de conscience croissante concernant l'ampleur et la gravité des violences faites aux enfants. Cette prise de conscience n'est pas sans lien avec le travail essentiel que la Ciivise réalise depuis bientôt trois ans – commission qui doit poursuivre ses missions.
Depuis des années, la Ciivise ainsi que de nombreux acteurs de la protection de l'enfance appellent de leurs vœux un changement de paradigme dans la façon dont les institutions considèrent et prennent en charge les violences intrafamiliales. Nous sommes actuellement dans un régime de présomption de culpabilité pour la personne qui dénonce des violences commises sur un enfant. C'est incroyable ! La mère est encore trop fréquemment accusée de mentir et de manipuler son enfant pour nuire à son ex-compagnon. Quant à la parole de l'enfant elle-même, elle est jugée peu crédible. Nous devons passer à un régime de présomption de crédibilité de la parole de l'enfant. C'est une condition nécessaire pour que toutes les victimes puissent être protégées dès les premiers stades de l'enquête. Ce qui prime, c'est la protection. Nous parlons ici de violences qui laissent des traces indélébiles. On ne peut pas se contenter de laisser l'enfant avec le parent accusé de violences et espérer que tout ira bien. Nous le répétons depuis des années : un auteur de violences, y compris conjugales, n'est pas un bon parent.
La proposition de loi telle qu'elle nous parvient aujourd'hui n'est pas parfaite. Elle pourrait être plus protectrice. Mais elle constitue déjà un grand pas en avant, et le groupe LFI – NUPES votera évidemment en sa faveur.
Je tiens néanmoins à rappeler que ces modifications législatives devront s'accompagner d'un plan global de lutte contre les violences faites aux enfants. Quand je parle de plan global, j'ai en tête quelque chose d'un peu plus ambitieux que les mesures adoptées jusqu'ici par la secrétaire d'État chargée de l'enfance. Elle a lancé dernièrement une campagne d'information sur les violences sexuelles faites aux enfants. C'est très bien. Mais quand des enfants ou des adultes verront cette campagne et décideront de signaler des faits de violences, que se passera-t-il ? Quels moyens pour la police, la justice, l'ASE, l'éducation nationale, pour traiter correctement ces situations, protéger les enfants et les prendre en charge ? Seule une hausse des moyens à la hauteur des besoins permettra la protection réelle des enfants.