Plusieurs centaines d'établissements publics en France – musées, monuments, services d'archéologie ou universités – comptent dans leurs collections des restes humains qui, en majorité, émanent de France mais dont une partie sont d'origine étrangère – une minorité d'entre eux viennent d'anciennes colonies.
Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Pourtant, l'histoire nous a apporté de trop nombreux exemples d'actes indignes et de profanations. La tête du grand chef Ataï, héros de la grande révolte kanak de 1878, se trouvait au musée de l'Homme, dans un bocal. Celui-ci avait été perdu avant d'être opportunément retrouvé huit ans plus tard.
La dépouille de la malheureuse Saartjie Baartman, dite Vénus hottentote, fut restituée à l'Afrique du Sud en 2002. Son cadavre – ou son moulage – avait été exposé, nu, des années durant, au centre d'une salle du même musée. Il s'agissait de montrer l'angle droit de ses fesses par rapport à la ligne du dos. Elle était présentée en tant que modèle en raison de son fessier. Qu'est-ce qui destinait une jeune fille, née en Afrique du Sud, à voir son corps disséqué après sa mort puis reproduit à l'identique par un moulage de plâtre et enfin exhibé, certains de ses organes ayant été conservés dans des bocaux de formol ? Aucune absurdité écœurante n'est impossible dès lors qu'on entre dans la névrose raciste.
À la fin du XIX
En janvier 2012, la France a rendu plusieurs têtes tatouées au musée maori Te Papa Tongawera en Nouvelle-Zélande.
Il y a un an, le 2 novembre 2022, je déposais une proposition de loi sur la restitution des crânes algériens. Je tiens à redire ici, comme je l'ai affirmé alors, que ces crânes, issus des pires heures du colonialisme de l'État français, ont intégré les collections publiques dans des conditions qui relèvent exclusivement de l'infamie et d'une célébration morbide. Une partie d'entre eux avaient déjà été restitués en 2020 sans passer par le Parlement, faisant l'objet d'une convention de dépôt pour cinq ans. Le 5 novembre 2022, je me suis rendu en Algérie, au cimetière El Alia, où j'ai constaté que les vingt-quatre crânes algériens avaient trouvé une sépulture définitive alors que le Parlement français doit statuer pour toutes les restitutions en adoptant une loi au Sénat puis à l'Assemblée nationale.
Cette nouvelle loi est salutaire. Elle permet de simplifier la procédure visant à restaurer les liens mémoriels. Or honorer la dignité des personnes décédées est un impératif moral.
J'exprime cependant des réserves. Nous devons tout d'abord nous assurer que les ressources matérielles et humaines correspondent à l'ambition du texte. J'ai la conviction que la mobilisation d'experts supplémentaires est nécessaire tant la documentation lors des entrées et sorties dans les collections est parfois insuffisante. Une enquête du New York Times a décrit le processus relatif aux crânes algériens comme un retour défectueux qui a révélé un problème plus large que le caractère secret et confus des restitutions. Il existe en effet des interrogations sur l'origine de certains crânes déposés.
Si l'intervention d'une expertise scientifique, menée conjointement et échelonnée à travers plusieurs niveaux de vérification, est à saluer, nous souhaitons nous assurer du caractère public des rapports prévus par ce dispositif. Cela permettra notamment de garantir un contrôle citoyen et une transparence des procédures de restitution, du point de vue administratif et culturel. Je rappelle que, lors de mes travaux législatifs, c'est l'interpellation d'une association franco-algérienne, le Grand Maghreb, qui m'a permis d'obtenir les éléments dont j'avais besoin.
La simplification des procédures de restitution est nécessaire – il n'y a pas de débat sur ce point – mais nous ne pouvons accepter que le Parlement soit totalement dessaisi en la matière. La représentation nationale doit pouvoir se prononcer, au même titre que les collectivités territoriales. Au Sénat, il a été noté : « La commission est consciente que ce texte ne constitue qu'une première étape sur la voie des restitutions de restes humains appartenant aux collections publiques. »
Par ailleurs, notre amendement visant à demander un rapport sur les formations, déclaré recevable en commission, a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 en séance. Le Muséum national d'histoire naturelle abrite pourtant 30 000 crânes qui nécessiteraient bien une identification par un personnel formé.
Au vu de ces différents éléments, le groupe La France insoumise s'abstiendra, comme le groupe Les Républicains.