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Intervention de Jérémie Patrier-Leitus

Séance en hémicycle du lundi 13 novembre 2023 à 16h00
Restitution des restes humains appartenant aux collections publiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérémie Patrier-Leitus :

Le 29 juin dernier, nous avons accompli un travail essentiel pour apaiser les mémoires et pour réparer, autant que possible, les errements du passé, en adoptant la première loi-cadre mémorielle dédiée aux biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ouvre un nouveau chapitre en matière de restitutions ; elle a cette fois pour objet les restes humains détenus dans nos collections. Je tiens, en cette occasion, à saluer l'engagement de la sénatrice Catherine Morin-Desailly, qui a fait de ces questions relatives à la restitution des biens culturels une priorité de son travail parlementaire.

Depuis plusieurs années, la présence de milliers de restes humains au sein de nos collections publiques, fruits de butins de guerre amassés au cours d'expéditions ou de conquêtes coloniales, ou encore d'exhumations illégales effectuées à l'étranger à des fins de recherche scientifique, nous pose un problème croissant qui tient au respect de la dignité humaine. Plusieurs centaines de ces restes humains ont été collectés à l'étranger, de manière parfois illégitime et parfois violente. Ils sont les témoins silencieux de notre histoire et de valeurs d'un autre temps ; ils sont l'héritage d'une domination coloniale que nous devons reconnaître. Ces restitutions sont donc en premier lieu un devoir moral, dont nous devons nous acquitter par respect de la dignité humaine, par reconnaissance de l'humanité blessée et des destins parfois tragiques de ceux dont les restes sont conservés dans nos collections publiques.

Elles sont également un devoir politique : nous les devons à de nombreux États étrangers qui, pour certains, réclament depuis plusieurs années des restes humains issus de nos collections publiques. Des nations, des peuples ont été lésés voire humiliés par cette pratique. Je pense en particulier aux restes de Saartjie Baartman – les premiers à avoir été restitués, en 2002 à l'Afrique du Sud –, dont l'histoire illustre ce que nous avons pu faire de pire en matière d'exploitation des corps. Surnommée la « Vénus hottentote », cette femme fut exhibée durant toute sa vie comme un monstre de foire, du fait de ses particularités physiques ; à sa mort, son corps fut disséqué et moulé, avant d'être exposé jusqu'en 1974 au musée de l'Homme. Son histoire terrible nous rappelle le pire d'une époque où, pour reprendre les mots de l'historien François-Xavier Fauvelle, « il existait une alliance entre le chapiteau et le musée parce que les gens de spectacle avaient besoin de la caution scientifique pour que le public soit sûr que les monstres sont vrais. »

Au-delà de cet exemple que l'on pourrait qualifier d'extrême, nous devons nous acquitter de ces restitutions par respect des coutumes funéraires et mémorielles, par considération à l'égard des cultures et de la souveraineté des peuples concernés, et enfin pour nous donner les moyens de construire avec eux des relations plus solides et apaisées.

Or, jusqu'à présent, il n'était pas possible de restituer des restes humains sans passer par la loi, compte tenu de l'inaliénabilité des collections publiques. Si ce principe, hérité du domaine royal, est essentiel pour garantir la préservation de notre patrimoine national, il a notablement freiné le travail de restitution. En effet, la France n'a accédé à ce jour qu'à cinq demandes de ce type – et encore, seules les restitutions des restes de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud et de vingt têtes maories momifiées à la Nouvelle-Zélande ont donné lieu à une loi d'exception, tandis que la restitution de crânes algériens, en 2020, a seulement fait l'objet d'une convention de dépôt.

Plusieurs pays – l'Australie, l'Argentine et Madagascar – ont fait des demandes de restitutions et attendent encore, parfois depuis longtemps. Pour eux et pour ceux qui suivront, probablement nombreux à l'heure où l'enjeu des restitutions monte en puissance sur la scène internationale, nous devons désormais mettre en place des principes généraux, définir un cadre qui établisse un processus scientifique et rigoureux et nous donner les moyens de restituer plus rapidement.

C'est pourquoi les députés du groupe Horizons saluent cette proposition de loi, qui crée une dérogation générale au principe d'inaliénabilité du domaine public, exclusivement réservée à la restitution à un État étranger. Elle autorise dans ce but la sortie du domaine public de restes humains, y compris ceux entrés dans les collections des musées de France par don ou legs, tout en définissant plusieurs critères d'ordre matériel, juridique, de filiation, éthique et temporel. Ainsi, nous pourrons enfin garantir une procédure claire, scientifique et transparente, qui permettra d'accéder aux demandes légitimes des États concernés tout en protégeant notre principe d'inaliénabilité.

Je me réjouis enfin que ce cadre général permette non seulement de faciliter les restitutions de restes humains et d'inciter les établissements publics à engager un travail d'identification des restes potentiellement sensibles dans leurs collections, mais aussi de développer des coopérations culturelles et scientifiques avec les États demandeurs, grâce au travail qui pourra être amorcé au sein du comité scientifique mixte.

Je veux aussi saluer l'intention d'avancer en matière de restitution des restes ultramarins, comme l'a rappelé M. Sorre. Enfin, je me réjouis de l'évolution des mentalités sur ces questions, et je tiens à souligner que ces restitutions représentent une nouvelle étape fondamentale, un tournant pour nos musées. Pour conclure et pour toutes ces raisons, le groupe Horizons approuve cette proposition de loi et la votera.

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