Aussi profond que soit notre respect pour le principe d'inaliénabilité du domaine public, il n'était plus possible d'avoir recours à une loi à chaque demande. Ce principe protecteur, théorisé par le grand législateur Michel de l'Hospital et qui régit notre droit depuis l'édit de Moulins promulgué par Charles IX, en l'an 1566, reste bien évidemment essentiel pour nos collections. Toutefois, une dérogation à ce principe sera désormais rendue possible par décret en Conseil d'État après une analyse rigoureuse, scientifique et, au besoin, historique, dans le strict respect de critères précis.
Ce cadre a d'ailleurs des contours mieux définis après les travaux du Sénat et de la commission de notre assemblée. Les restitutions sont en lien avec la demande effective d'un État tiers, au nom d'un groupe humain à la culture et aux traditions actives, pour des fins funéraires ou mémorielles. Pour définir la période des restitutions possibles, un curseur placé à l'an 1500 a été privilégié à la borne mobile des 500 dernières années. Les restitutions sont possibles quand les conditions de collecte se sont avérées problématiques au regard du principe de dignité de la personne humaine ou du respect de la culture et des traditions du groupe humain considéré. Il est enfin rappelé que les recherches génétiques sur des restes humains sont possibles uniquement en concertation avec le pays tiers.
Voici donc une proposition de loi-cadre qui, en proposant de s'affranchir de la loi, ouvre la voie à de nouvelles restitutions pour des restes humains qui n'auraient jamais dû entrer dans nos collections publiques. En effet, certains de ces restes humains ont été collectés à une époque où les considérations sur l'infériorité de certaines races avaient cours. Ils résultent de « pillages, trafics illicites, vols, fouilles et excavations sauvages, confiscations, échanges inéquitables […], mutilations volontaires des cadavres massacrés, recueil d'individus exposés », pour reprendre les mots du chercheur Laurent Berger. Nous gagnerons nous-mêmes en dignité en répondant aux demandes de restitution de ces restes par des États tiers, en opérant cette « décision de justice différée pour les populations opprimées par le passé ».
Pour les restes humains ultramarins, nous nous satisfaisons de voir que le travail de réflexion entamé au Sénat se poursuivra avec la remise d'un rapport. Nous n'oublions pas que nos compatriotes ont, eux aussi, pu être les victimes, sur le sol hexagonal, de zoos humains.
Pour terminer, je voudrais vous confier une réflexion. Il y a quelques jours, je regardais un documentaire d'Arte sur un chantier de fouilles en Italie. Les os d'une femme étrusque étaient minutieusement récupérés, classés, prélevés. Derrière l'intérêt scientifique évident de ces fouilles et la nécessité de faire progresser nos connaissances pour les transmettre à la postérité se pose la question essentielle du respect dû à une tombe. La sagesse et cette proposition de loi nous invitent à faire clairement la différence entre la nécessaire mise en valeur et en lumière de civilisations anciennes et ce qui relève manifestement du recel, de l'exhibition malveillante et raciste. Il est indispensable que les communautés d'origine puissent honorer la mémoire de ceux qui, parmi elles, furent les victimes de ces actions indignes.
C'est ce que permettra ce texte, dont la portée est d'autant plus forte que nous venons d'honorer nos morts, le 2 novembre, et nos anciens combattants ce week-end. C'est aussi le rappel d'une histoire qu'il faut toujours interroger, regarder de face et réparer, pour que les cicatrices d'hier n'engendrent pas les désaccords et les conflits de demain. En un mot, c'est un geste de paix qu'accomplit cette belle proposition. Nous la voterons avec enthousiasme.