Nous examinons ce matin pour avis les crédits de la mission Écologie, développement et mobilité durables du projet de loi de finances (PLF) 2024, qui comporte neuf programmes différents. Cet examen se situe dans un contexte écologique toujours plus dégradé, marqué par des records de chaleur, la perturbation du cycle de l'eau douce ou l'augmentation du niveau des eaux. Plus largement, les événements climatiques extrêmes affectent l'agriculture, au même titre que l'apparition de fortes tensions géopolitiques sur la distribution des ressources agricoles, comme nous avons pu le constater avec la crise des céréales entre la Russie, l'Ukraine, la Pologne et le continent africain.
Notre société mondialisée éprouve des difficultés à choisir les leviers efficaces et rapides pour résoudre cette crise, qui s'annonce comme la mère de toutes les futures crises. Ce constat me rappelle d'ailleurs une banderole saisissante que j'ai vue à la Fête de l'Humanité, l'année dernière, où il était inscrit : « Ce n'est pas l'été le plus chaud que tu as connu, c'est l'été le plus frais du reste de ta vie. »
Les enjeux portés par ce budget sont colossaux. Au niveau international, la prise de conscience est trop lente mais effective. Notre pays et beaucoup d'autres se mobilisent pour créer les conditions d'une organisation rapide du verdissement de tous les secteurs. De plus en plus de réunions internationales abordent les sujets climatiques et environnementaux et parviennent, progressivement, à des accords sur les forêts, les océans, les pôles ou encore la biodiversité. La COP28 qui se déroulera cette année à Dubaï, au début du mois de décembre, constitue le point d'orgue politique de ces réunions. Si ces nombreuses actions diplomatiques sont nécessaires pour porter des messages globaux, il est à craindre que ces événements soient encore trop souvent considérés comme des moments de communication politique qui ne trouvent pas toujours leur traduction budgétaire. Ce budget 2024 ne démontre pas cette volonté de la France de s'engager plus fermement dans un véritable tournant écologique.
Ainsi, les autorisations d'engagement (AE) ont diminué de 35,6 %, passant de 38 milliards d'euros en 2023 à 24 milliards d'euros pour l'année prochaine. Pire encore, les crédits de paiement (CP) ont chuté de 41 %, passant de 36,6 milliards d'euros en 2023 à 21 milliards d'euros en 2024. Ces diminutions ne constituent pas un signal positif adressé à la communauté internationale, qui multiplie pourtant les demandes d'engagement.
En effet, une diminution de ces derniers n'est pas acceptable, ni pour la planète, ni pour les Français qui souffrent par ailleurs de l'explosion du coût de l'énergie. Le sous-financement des aides à la rénovation thermique des bâtiments et la complexité de la mise en œuvre de certaines aides sont dangereuses. Ce problème est pointé par l'analyse du programme 174, Énergie, climat et après-mines. La dégressivité trop rapide de la prime à la conversion rend le dispositif quasi-inopérant pour les ménages les plus modestes. De la même manière, le chèque énergie est totalement sous-évalué.
L'Observatoire national de la précarité énergétique juge qu'il faudrait 760 euros d'aide pour les 3,8 millions de ménages modestes, afin de les sortir de la précarité énergétique, alors que l'État ne dépense aujourd'hui que 150 euros. Il en est de même pour le dispositif MaPrimeRénov', qui est inadapté, en particulier dans l'objectif d'assurer un reste à charge nul sur les travaux réalisés par des propriétaires résidents ou par les bailleurs les plus modestes. Son montant, bien que réévalué cette année, ne permettra pas de rénover les logements à un rythme suffisamment soutenu pour faire face à la crise énergétique qui frappe les Français de plein fouet.
L'autre budget qui me semble insuffisant au regard des enjeux, est bien évidemment celui dédié à la flotte maritime française. Puisque 80 % du commerce mondial transite par voie maritime, ce secteur constitue pourtant un levier absolument crucial pour parvenir à respecter les accords de Paris au niveau français comme international. Bien qu'à la tonne, ce mode de transport soit le plus écologique, les volumes qu'il transporte sont tels que les 100 000 navires de la flotte internationale représentent aujourd'hui 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit un pourcentage considérable. Le secteur français du maritime est extrêmement important, compte tenu du nombre de kilomètres de côtes dont nous disposons et de la taille de notre zone économique exclusive (ZEE).
À ce titre, la France est un acteur moteur de la diplomatie maritime internationale, notamment au sein de l'Organisation maritime internationale (OMI). Or, en juillet dernier, l'OMI a conclu un accord qui fixe à ses 175 États membres l'objectif d'une décarbonation totale du transport maritime d'ici 2050. Cet accord se décline en deux cibles intermédiaires : une diminution de 30 % des gaz à effet de serre en 2030 et de 80 % en 2040.
Compte tenu de cet objectif, adopté de manière consensuelle, le cap affiché est partagé et toute la filière s'attache à réduire les émissions de CO2. À cet effet, elle tente de se recomposer très rapidement à l'échelle mondiale, à l'échelle européenne et française. De nombreux acteurs privés et publics se lancent dans la recherche de solutions plus ou moins efficaces mais également plus ou moins faciles à mettre en œuvre. L'Union européenne a également fixé ses orientations, suivies par la feuille de route française de la décarbonation.
Présentée en avril, cette feuille de route comporte à mon sens deux problèmes : un mineur et un majeur. Le problème mineur tient au fait qu'elle n'a toujours pas été validée officiellement par l'État français. Il me semble mineur dans la mesure où j'espère qu'il pourra être résolu rapidement. En outre, les nombreux acteurs de ce secteur attendent la validation officielle de cette feuille de route. Le problème majeur de cette feuille de route est quant à lui le suivant : les syndicats n'ont pas été associés au travail. Or il est évident que les salariés devront jouer un rôle fondamental dans la décarbonation. Les emplois de ce milieu seront en effet confrontés à des changements majeurs et il est grave de ne pas les avoir intégrés. Cependant, puisque le macronisme s'est toujours moqué de l'avis des salariés et des syndicalistes, je ne suis pas étonné que les événements se soient déroulés de cette manière.
Ceci demeure malgré tout fort regrettable car la bataille de la décarbonation de la flotte française se déroulera autour de trois axes. Le premier axe concerne la remontée en puissance de nos chantiers navals. En effet, puisque la production mondiale des chantiers navals ne pourra pas suivre les besoins de renouvellement de la flotte maritime internationale, la France a l'opportunité de revenir dans ce secteur, qu'elle a quitté à tort au fil du temps. L'outil de la nationalisation, qui demeure un « gros mot » aux yeux de certains, n'a malheureusement pas été utilisé. À l'époque, il n'était question que de rentabilité, alors que nous défendions l'idée d'indépendance nationale. Nous en payons aujourd'hui les conséquences, notamment en raison de la perte de savoir-faire, comme cela est également le cas dans le domaine du nucléaire. Dans les chantiers navals, une multitude de métiers disparaissent petit à petit et il sera difficile de reconstruire si nous n'agissons pas très vite.
Le deuxième axe porte sur la production de nouveaux carburants, créneau sur lequel la France tente de prendre un peu d'avance, avec un grand nombre de carburants différents, l'hydrogène, l'ammoniac, mais également le biométhanol. La question du gaz naturel liquéfie (GNL) se pose également, au même titre que celle de la propulsion nucléaire dans la marine marchande. La logistique sera donc très complexe. En effet, ces produits dangereux nécessiteront des espaces de stockage importants et des salariés particulièrement formés. Il y aurait là un excellent levier pour contribuer à réindustrialiser notre pays en faisant de la France un producteur majeur de ces nouveaux carburants. Les initiatives comme le projet Salamandre au Havre font d'ailleurs progresser notre pays sur ce chemin.
Le troisième axe concerne la mise en œuvre d'infrastructures portuaires destinées à proposer le plus grand nombre de carburants différents et, ainsi, faire de nos ports des acteurs majeurs dans la compétition internationale.
En conséquence, afin de mettre en œuvre une telle politique publique, il sera nécessaire de faire preuve d'un volontarisme à toute épreuve. La main invisible du libre marché ne sera jamais suffisante pour s'affranchir des incertitudes liées à ces investissements. La décarbonation maritime est d'ailleurs intéressante car elle permet aussi l'émergence de technologies, comme les déplacements dits véliques, c'est-à-dire à la voile. J'ai pu rencontrer l'entreprise Towt, dont le port d'attache est Le Havre. Faisant partie des leaders de ce secteur, elle recevra bientôt son premier porte-conteneurs totalement à voile. Un deuxième est en cours de fabrication et six autres ont été commandés. Cette solution technologique est très prometteuse et encourageante.
Plutôt qu'une transition vers un modèle unique, il me semble nécessaire de mettre en œuvre une politique de mix énergétique assuré par différentes sources. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire que l'État se réengage massivement dans cette folle course à la décarbonation, afin que notre pays, sa façade maritime et nos espaces ultramarins continuent d'être au cœur des échanges mondiaux et que nos emplois restent en France. Tous les acteurs que j'ai pu rencontrer sont extrêmement engagés et motivés par cet enjeu mais il importe que l'Exécutif y accorde plus d'intérêt également.
En tout état de cause, j'appelle notre commission à ne pas voter la mission Écologie, développement et mobilité durables 2024.