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Intervention de Jean-Noël Barrot

Réunion du mardi 27 septembre 2022 à 17h00
Commission des affaires économiques

Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications :

C'est un grand honneur pour moi de prendre pour la première fois la parole à l'Assemblée nationale, devant votre commission. C'est un grand plaisir aussi de retrouver ici un certain nombre d'anciens collègues députés, pour lesquels j'ai de l'estime, et qui ont contribué, par leurs rapports et leurs différents travaux, à l'action menée par le Gouvernement depuis cinq ans. Nous aurons sans doute beaucoup de sujets à traiter ensemble, qui relèvent ou non du domaine de la loi. Je souhaite entretenir des relations étroites avec les membres de la commission qui s'intéressent aux sujets dont j'ai la charge. Les membres de mon cabinet se tiennent à votre disposition à tout moment.

J'évoquerai pour commencer la politique que nous devons mener pour que la France tienne son rang de grande nation du numérique, politique que j'entends conduire sous l'autorité de la Première ministre et du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Il s'agit de relever trois défis : soutenir l'innovation et assurer notre autonomie stratégique ; garantir le respect des droits et des devoirs dans l'espace numérique ; faire en sorte que la transition numérique bénéficie à chacun et à la société dans son ensemble. Innover, protéger et démocratiser, tel sera donc le triptyque qui guidera mon action, résolue, au service de nos concitoyens.

Le premier défi, celui de l'innovation et de l'autonomie stratégique, a trait à la souveraineté du pays. Rappelons que depuis cinq ans, sous l'impulsion du Président de la République, la France a retrouvé le goût de l'audace et de l'innovation. Près d'un million d'entreprises ont été créées l'année dernière, ce qui est un record. L'année 2021 a également été une année record pour le nombre de licornes, ces entreprises à très forte croissance et au rayonnement européen et mondial. Nous avons en effet atteint le chiffre de vingt-sept licornes, contre trois au début du quinquennat précédent. C'est un motif de satisfaction, mais c'est surtout le signe d'un changement de climat : il est désormais possible d'innover et de grandir, en France, quand on est une entreprise, alors que c'était plus difficile auparavant. Notre ambition est d'aller plus loin : le Président de la République a annoncé un objectif ambitieux de cent licornes à la fin du quinquennat, dont vingt-cinq vertes et trois dans le domaine de la cybersécurité.

Ce soutien à l'innovation doit nous permettre de gagner notre autonomie stratégique sur des briques technologiques clés, pour lesquelles d'autres régions du monde ont une longueur d'avance : la cybersécurité, l'intelligence artificielle, le quantique, la 5G et le cloud. Autrement dit, il s'agit de toute l'infrastructure numérique sur laquelle reposent les nombreuses applications développées par les entreprises innovantes au cours des cinq dernières années. Il ne faut pas oublier non plus le metavers, dans lequel nous devons insuffler un esprit français.

Comment y parvenir ? Tout d'abord, grâce au formidable levier que représente le plan « France 2030 » et à cinq stratégies d'accélération pour le numérique, qui correspondent aux cinq briques technologiques que je viens d'évoquer – la cybersécurité, l'intelligence artificielle, le quantique, la 5G et le cloud. Ensuite, grâce à l'accompagnement sur mesure fourni par la direction générale des entreprises et la mission French Tech, à toutes les étapes de la vie de ces entreprises, avec une attention particulière pour certains secteurs. Nous avons lancé cette année plusieurs programmes d'accompagnement de start-up, dédiés à des technologies avancées de l'agriculture, de la transition écologique et de la Deep Tech. Enfin, grâce à la formation – question que j'entends prendre à bras-le-corps avec mes collègues Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnelle. Le Président de la République s'est engagé à ce que quatre cent mille professionnels du numérique soient formés d'ici à la fin du quinquennat.

Le deuxième défi est celui de la régulation, c'est-à-dire le respect des droits et des devoirs, avec la mise en œuvre de l'encadrement nouveau des géants du numérique. Je tiens à saluer les deux réussites majeures de la présidence française de l'Union européenne que sont le règlement sur les marchés numériques ou Digital Markets Act (DMA) et le règlement sur les services numériques ou Digital Services Act (DSA), qui forment l'un des cadres réglementaires les plus ambitieux depuis cinquante ans et changent véritablement la donne : pour la première fois, une région du monde, l'Europe en l'occurrence, parle d'une seule voix pour imposer aux géants du numérique de nouvelles règles du jeu.

En adoptant le DMA, qui instaure une régulation économique, l'Europe a adressé un message fort, entendu dans l'ensemble du monde : désormais, si l'on veut accéder au marché unique, il n'est plus possible de recourir à des pratiques anticoncurrentielles, comme c'était le cas auparavant. Aujourd'hui, quand vous achetez un smartphone, on vous vend en même temps un navigateur, un service de messagerie, etc. C'est ainsi que les géants du numérique se sont octroyé des situations de monopole sur les marchés du monde entier, singulièrement en Europe. Grâce au DMA, un certain nombre de ces marchés vont être rouverts. Cela donnera plus de liberté aux consommateurs et permettra aux entreprises françaises et européennes d'entrer sur ces marchés, qui leur étaient fermés jusqu'à présent. C'est la grande nouveauté.

Le DSA, quant à lui, met au premier rang la question de la responsabilité. Jusqu'à présent, les grands réseaux sociaux ou les grandes places de marché n'étaient pas tenus de rendre compte des contenus – qu'il s'agisse des messages, des biens ou des services – transitant sur leur plateforme. Désormais, avec le DSA, elles devront se doter de processus de signalement et être en mesure de retirer, si nécessaire, ces messages, biens ou services.

Si les entreprises ne respectent pas ces règles, elles seront soumises à des pénalités ou amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d'affaires pour le DSA et 10 % pour le DMA. Je salue la volonté du Président de la République, du commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton et de mon prédécesseur Cédric O, qui ont mené ces négociations au niveau européen et ont permis à ces deux textes d'aboutir.

Pour adapter la législation française à ces deux règlements, il nous faudra discuter ensemble d'un projet de loi, qui devrait être présenté dans le courant de l'année 2023. Je souhaite lancer, d'ici à la fin octobre, les premières consultations politiques à ce sujet. Ce texte sera peut-être l'occasion d'aller un peu plus loin. Il pourra être nourri par les états généraux du droit à l'information, pour ce qui concerne notamment la confiance dans les médias en ligne, l'économie de l'attention et la transparence des plateformes. Ces états généraux seront lancés cet automne et seront copilotés par le ministère de la culture, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et les services mis à ma disposition.

Il nous faudra aussi aller plus loin au niveau européen. Cet automne se tiendront, sous présidence tchèque, des discussions sur l'accès aux données, dans le cadre du Data Act, mais aussi sur l'intelligence artificielle et sur l'identité numérique.

Vous êtes régulièrement amenés à évoquer les questions européennes. Il est très important de faire connaître ces nouvelles règles qui vont s'imposer aux géants du numérique. C'est une vraie révolution en matière de responsabilité et de concurrence. Les entreprises devront s'y soumettre si elles veulent accéder au marché du plus grand espace démocratique du monde.

Autre enjeu de régulation dans l'espace numérique : la cybersécurité. Pas plus tard qu'hier soir, la mairie de Caen a été la cible d'une cyberattaque. Il s'agit là d'une des grandes menaces de notre époque. Elle se transforme pour contourner nos défenses et touche l'ensemble des acteurs de la société et de notre économie, que ce soient les administrations, les entreprises – petites et grandes – ou les particuliers. Nous aurons prochainement à transposer la directive dite « NIS 2 », relative à la sécurité des réseaux et qui étendra le champ des entités suivies par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Ce sera l'occasion d'aller plus loin dans les dispositifs de protection.

Dans le cadre du plan « France relance », l'ANSSI avait proposé un parcours de cybersécurité aux administrations, aux collectivités territoriales et aux hôpitaux. Sur les 950 opérateurs d'importance vitale (OIV) concernés, 900 ont déjà suivi ce parcours de sécurisation. L'hôpital de Corbeil-Essonnes, victime d'une cyberattaque très brutale en août dernier, avait engagé le processus, sans toutefois aller jusqu'à son terme. Ayons bien conscience de l'importance de la menace et de la nécessité de la prévenir : dans le cas de l'hôpital de Corbeil-Essonnes, où travaillent 3 700 agents, la téléphonie et toutes les communications électroniques, notamment les messageries, ont été mises hors service en quelques minutes, ainsi que les alarmes dans les salles de naissance. L'hôpital a été contraint de procéder en urgence au transfert de treize bébés très prématurés vers d'autres hôpitaux franciliens, ce qui ne s'était jamais produit auparavant dans notre pays.

Le plan « France 2030 » comprend en outre une stratégie d'accélération en matière de cybersécurité. L'ambition est de porter à 25 milliards d'euros le chiffre d'affaires du secteur de la cybersécurité, c'est-à-dire de le multiplier par trois d'ici à 2025. Trois axes majeurs ont été définis : la formation aux métiers de la cybersécurité ; l'accompagnement public et financier de l'élévation du niveau de sécurisation ; la sensibilisation de nos concitoyens. Sur ce dernier point, les travaux parlementaires menés sous la précédente législature vont nous aider. Ainsi, nous sommes en train de mettre en œuvre le « cyberscore », issu d'une proposition de loi du Sénat. J'aurai l'occasion de faire un bilan de notre stratégie « cyber » dans quelques semaines, lors d'un déplacement au Campus Cyber. J'invite d'ailleurs les membres de la commission intéressés à visiter ce campus, car c'est un exemple assez unique en Europe de coordination des écoles, des entreprises et des administrations concernées.

Dernier sujet relatif à la régulation : la protection des enfants et des adolescents contre le cyberharcèlement. Aujourd'hui, l'âge moyen auquel ils reçoivent leur premier smartphone est de 9 ans, c'est-à-dire lors de leur entrée au collège ou peu avant. Nous travaillons à des mesures de prévention, en lien étroit avec le ministre de l'éducation nationale. Nous devons faire en sorte que les élèves de sixième bénéficient d'une sensibilisation aux dangers auxquels ils s'exposent sur internet, puis aient accès à des mécanismes de remédiation, lorsque le cyberharcèlement est constaté. Il existe un numéro unique, le 30 18, qui est également une application. Nous devons continuer à le faire connaître pour que les enfants victimes de cyberharcèlement trouvent une oreille attentive et une remédiation.

Il y a ensuite la question du contrôle parental. Je salue les travaux parlementaires menés sous la législature précédente, en particulier la loi adoptée à l'initiative de Bruno Studer. Nous avons pris les décrets d'application au début du mois de septembre pour que, dès l'année prochaine, un système de contrôle parental unifié et harmonisé soit disponible sur l'ensemble des smartphones et tablettes commercialisés dans notre pays. Ce dispositif permettra de contrôler le temps passé sur les écrans et intégrera, de manière automatique, les contraintes d'âge sur les contenus illicites et sur les différents réseaux sociaux.

Le troisième défi est de faire en sorte que la transition numérique bénéficie à tous. La première étape consiste à parachever la couverture du territoire en réseaux fixe et mobile – vous l'avez évoqué, Monsieur le président.

Le déploiement de la fibre est sans doute le plus grand chantier du début du XXIe siècle. En France, c'est un grand succès, puisque 72 % des locaux sont désormais éligibles, contre seulement 26 % en Allemagne. La France est en avance : c'est le pays le plus fibré d'Europe. Néanmoins, il y a des mécontentements, légitimes, de celles et ceux qui ne sont pas encore raccordés ou subissent des problèmes de qualité. Vous en avez entendu parler dans vos circonscriptions ; j'en ai entendu parler très souvent dans la mienne. C'est la raison pour laquelle j'ai réuni, au début du mois de septembre, les opérateurs d'infrastructures, les opérateurs commerciaux et l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). Les opérateurs ont pris hier de nouveaux engagements pour garantir la qualité des raccordements à la fibre et la certification des services qui interviennent sur les points de mutualisation.

S'agissant du réseau mobile, je tiens à rendre hommage à mes prédécesseurs, Cédric O et Julien Denormandie, qui ont lancé le New Deal mobile, grand plan d'effacement des zones blanches. Celui-ci a permis de couvrir 90 % du territoire en 4G. Quelque 3 795 sites ont déjà bénéficié du programme et 600 nouveaux sites seront couverts. J'informerai très prochainement les parlementaires et les présidents de conseils départementaux de la dotation pour 2023.

Dernier sujet relatif au déploiement : l'extinction des anciens réseaux, en particulier de celui en cuivre, que nous allons déposer. Cette opération est importante pour des raisons économiques – nous n'allons pas maintenir deux réseaux en parallèle – mais aussi énergétiques, puisque la fibre est trois fois moins énergivore que le cuivre. Au début de cette année, Orange a présenté son plan à l'ARCEP, qui l'a mis en consultation. Des expérimentations ont lieu. La commune de Lévis-Saint-Nom dans la deuxième circonscription des Yvelines, que je connais bien, est la première de France où le réseau de cuivre a été déposé, après avoir été intégralement fibrée. Si nous voulons réussir la bascule définitive du cuivre vers la fibre, il nous faudra apporter des garanties à nos concitoyens. Cette question nous occupe beaucoup.

L'étape suivante est d'assurer à chacun l'accès aux services numériques, en réduisant la fracture numérique. Il s'agit, d'une part, d'inclure les personnes. En France, 13 millions de personnes déclarent rencontrer des difficultés dans l'accès aux services numériques. Cédric O et Jacqueline Gourault ont lancé un dispositif, les conseillers numériques, qui est très apprécié des élus locaux, des associations et des acteurs de l'inclusion. Je compte annoncer jeudi prochain le lancement d'un travail de réactualisation de la stratégie nationale pour un numérique inclusif. Il s'agit, d'autre part, d'inclure les entreprises : si nous sommes très en avance pour la fibre, nous sommes très en retard en matière de numérisation des PME et des TPE.

Pour que le numérique bénéficie à tous, il faut par ailleurs que le secteur réduise, comme tous les autres secteurs, son empreinte carbone. L'action que nous allons mener s'inscrira dans le cadre de la planification écologique voulue par le Président de la République et engagée par la Première ministre. L'empreinte carbone du numérique n'est pas aussi importante qu'on le dit généralement. En revanche, elle est appelée à progresser très fortement. Environ 80 % de cette empreinte est imputable à la fabrication des terminaux, à savoir les smartphones et autres tablettes. Tout l'enjeu est donc d'accélérer le déploiement de nos filières de reconditionnement et de réemploi de ces appareils. Nous aurons des discussions à ce sujet, peut-être dès l'examen du projet de loi de finances pour 2023.

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