Intervention de Frank Giletti

Séance en hémicycle du mardi 7 novembre 2023 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2024 — Défense ; anciens combattants mémoire et liens avec la nation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrank Giletti, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées :

Je suis donc un rapporteur qui ne peut pas rapporter des données pourtant fondamentales pour garantir un débat éclairé.

Qu'on ne me dise pas que leur divulgation ferait le jeu de nos compétiteurs : l'US Air Force, qui serait en première en ligne en cas de conflit, publie les chiffres de disponibilité de ses aéronefs. En réalité, cette censure est non une requête des états-majors, mais une décision politique. Les chiffres ne sont pas bons, alors cachons-les ! Vous avez de la fièvre, alors cassons le thermomètre ! Telle est la logique du Gouvernement.

Vous souhaitez, monsieur le ministre, que les parlementaires jouent le rôle « d'agitateurs d'idées » – pour reprendre vos termes. Donnons-nous les moyens de le faire ! Cette opération Opacité est un recul majeur pour notre capacité à contrôler le budget des armées, pour notre démocratie parlementaire et, finalement, pour nos armées elles-mêmes.

Venons-en au budget proprement dit. Incontestablement, les crédits alloués à l'armée de l'air et de l'espace augmentent : de 21 %, soit 620 millions de plus qu'en 2023. Cette hausse doit cependant être relativisée, puisque selon mes informations, 50 % à 60 % en sont absorbés par l'inflation. En 2024, pour le seul poste budgétaire relatif aux carburéacteurs, l'inflation représente 200 millions. Plus fondamentalement, on peut reprocher à ce budget d'être le fruit d'une LPM qui n'est pas à la hauteur des enjeux s'agissant de l'armée de l'air et de l'espace.

Un seul chiffre permet de bien mesurer la situation actuelle de l'armée de l'air. Le rapport annuel de performances pour 2022 contient un indicateur précieux mesurant la « capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France » – il a lui aussi mystérieusement disparu des documents budgétaires. Cette capacité est de 87 % pour la marine, de 80 % pour l'armée de terre et de 65 %, soit vingt points de moins, pour l'armée de l'air et de l'espace ! Cette situation aurait exigé une réponse forte, une politique de massification des flottes, telle que je l'appelais de mes vœux l'an dernier. C'est tout le contraire qui a eu lieu : la LPM pour la période 2019-2025 prévoyait 185 Rafale Air à l'horizon de 2030 ; la LPM pour 2024-2030 n'en prévoit plus que 137, soit une réduction de cible de 48 avions ! Je pourrais également évoquer les décalages concernant les A400M, qui passeront de 50 à 35 unités, ou la réduction du parc d'hélicoptères de manœuvres, qui passera de 36 à 32 unités.

Ces décalages et réductions de cible auront nécessairement un impact sur le contrat opérationnel de l'armée de l'air et de l'espace – j'insiste. Dans le cadre d'un conflit de haute intensité – je cite les chiffres du rapport annexé de la LPM – l'armée de l'air pourra engager 40 avions de chasse, alors que la précédente LPM en prévoyait 45. Moins d'avions de chasse, moins d'avions de transport stratégiques, moins d'avions légers de surveillance et de renseignement, moins de systèmes de drones armés : voilà ce que prévoit le contrat opérationnel de la LPM 2024-2030 en cas de conflit de haute intensité. Telle est la réalité des chiffres derrière les annonces relatives à l'adaptation à la haute intensité : l'armée de l'air et de l'espace aura tout simplement moins de moyens à engager dans un conflit majeur du fait des réductions et des décalages décidés dans la LPM.

J'en appelle donc à nouveau à un sursaut pour l'armée de l'air et de l'espace, qui peut être un formidable vecteur de puissance et d'influence, comme elle l'a encore montré récemment lors de la mission Pégase dans la zone indo-pacifique. Encore faut-il lui en donner les moyens ! Osons enfin le pari de la souveraineté, au lieu de céder aux mirages des coopérations européennes, dont le système de combat aérien du futur (Scaf) est l'exemple type : nous avons la chance de disposer en France d'une industrie aéronautique de classe mondiale.

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