Le monde traverse sa période la plus troublée depuis la fin de la guerre froide. Les tensions entre les grands blocs d'influence sont vives, les conflits régionaux entre nations renaissent et la fin de l'histoire, promise, est finalement remise à plus tard.
Dans ce monde, et c'est toute la différence avec les précédents conflits, notre pays se trouve concurrencé non seulement par les grandes superpuissances américaine et russe, ou par nos partenaires européens, mais également par ces puissances qu'on ne peut plus qualifier d'émergentes et qui disposent de forces armées, de capacités d'intervention et de leaderships régionaux comme jamais auparavant – du moins, depuis très longtemps.
Dans ce monde de plus en plus concurrentiel et belliqueux, nous assistons à un réarmement global et à un regain général des tensions ; on le constate avec le conflit en Ukraine, désormais éclipsé par la situation explosive en Israël. Cette situation menace non seulement le Moyen-Orient mais le monde entier, par l'effet domino des alliances et des solidarités culturelles, historiques et religieuses liant les peuples. N'oublions pas les putschs en Afrique, où la France sert de bouc émissaire à la faillite des États, la situation à Taïwan, la guerre du monde turc contre l'Arménie, et j'en passe.
Nous assistons également – et c'est peut-être plus grave –, à une inflation dans les termes, dans les menaces, et à un dérapage général de la maîtrise des armements, pourtant essentielle au maintien de la paix mondiale. Les divergences entre les grandes nations s'accroissent et la rupture du dialogue aurait des conséquences catastrophiques, entraînant le monde et nos populations dans une spirale dont personne ne connaît l'issue.
Le point de bascule peut être atteint à tout moment, et notre pays doit être capable de défendre ses intérêts sur le long terme et conserver sa capacité à se projeter dans un éventuel conflit majeur. Malheureusement, à la suite de choix politiques désastreux, la France a perdu son indépendance et sa capacité à s'affirmer comme une puissance d'équilibre sur la scène internationale. Notre armée a été rongée jusqu'à l'os au cours de la dernière décennie par une série de coupes budgétaires drastiques mettant en grande difficulté nos capacités de projection.
La dernière loi de programmation militaire et le budget que nous examinons prévoient des crédits supplémentaires de bon augure pour permettre à nos forces armées de réaffirmer leur ambition ou, du moins, de reprendre peu à peu le bon chemin, à la lumière de notre prestigieuse histoire militaire, donc des ambitions qui doivent évidemment être les nôtres.
Certains problèmes structurels ne sont cependant pas réglés, et certains objectifs restent en deçà de ceux de la loi de programmation militaire. Ainsi le recrutement est-il inférieur d'un tiers aux objectifs fixés il y a quelques mois. En outre, au regard des derniers évènements et des dernières annonces, certaines lignes de crédits, comme celle de l'opération Sentinelle, sont clairement sous-évaluées et seront très largement dépassées.
J'ai pu le constater à l'occasion de mes échanges avec les soldats : l'attention est souvent portée au développement de notre armée, à l'amélioration des technologies et à la fourniture de matériels nouveaux, plus modernes et plus efficaces – c'est évidemment une grande satisfaction ; cependant, il ne faut pas oublier les difficultés structurelles, plus « terre à terre », mais qui sont d'une importance primordiale pour nos soldats. L'intendance et la fourniture des petits équipements du quotidien de la vie militaire sont clairement négligées, ce qui contribue à rendre plus difficile un métier déjà substantiellement marqué par la rigueur – la « rusticité », dans le jargon. Ces négligences pèsent lourdement sur le moral des troupes.
Les questions stratégiques ne doivent pas nous faire oublier l'importance de la vie du soldat au quotidien. Ce travail de fond doit être entamé, même s'il est moins clinquant que les débats autour des Caesar, des Griffon et des opérations extérieures (Opex). Notre jeunesse attend des gestes concrets et du soutien de la part de la classe politique. Elle fait la fierté de notre pays dans cette grande école de la vie et du patriotisme qu'est l'armée. Nous lui devons une attention accrue dans un contexte où cette dernière redevient un sujet de premier ordre.
Le budget qui nous est proposé n'est pas à la hauteur des ambitions qui devraient être celles de la France dans le monde. Il comporte de nombreuses zones d'ombre qui nécessiteraient pourtant un traitement urgent. Cependant, il va dans le bon sens ; c'est pourquoi je vous invite à lui apporter votre soutien, pour les progrès réalisés par rapport aux années précédentes, en signe d'encouragement.