Quelques semaines après mon arrivée à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), un chef de corps, probablement taquin – il fallait l'être ! –, m'avait nommé en appui aux cabinets de Jacques Barrot et d'Hervé Gaymard pour participer à la rédaction du PLFSS qu'ils défendraient. Depuis ce jour, en tant qu'élu local, que parlementaire, que fonctionnaire et, plus largement, en tant que citoyen, j'estime qu'il s'agit d'un des textes les plus importants dont nous avons à débattre, pas uniquement en raison des montants engagés, de son architecture ou de sa structuration entre recettes et dépenses ; mais parce qu'il porte sur ce qui est au cœur de notre modèle social et de notre pacte républicain, la manière dont nous souhaitons que la sécurité sociale réponde aux besoins de nos concitoyens.
J'ai connu des PLFSS insipides, des PLFSS ambitieux, des PLFSS de transition, des PLFSS de refondation. Plus le temps passe, plus je me dis – et peut-être est-ce là un des messages que je veux faire passer concernant ces débats que nous n'avons pas eu le temps de mener – qu'ils ne sont plus l'outil dont nous avons besoin pour réformer notre système de santé et médico-social.
Trop souvent, quand nous soulevons des questions relatives à la santé publique, à la prévention, au grand âge, à la lutte contre les déserts médicaux ou à la réforme du système de santé, le Gouvernement répond qu'elles seront traitées dans le PLFSS. Or je le dis sincèrement : ce cadre n'est plus adapté. Il nous manque un espace de discussion où débattre des objectifs du système de santé, des priorités de la politique de prévention, de la lutte contre le tabac, l'alcool et les addictions, ou encore des questions relatives au grand âge – j'y reviendrai.
Au moment où vous nous dites que vous souhaitez qu'il y ait du débat, de la coproduction et de la coconstruction, je tiens à vous rappeler ma frustration – partagée, je crois, sur de nombreux bancs, y compris ceux de la majorité – d'avoir été privé de débats essentiels qui auraient pu – et dû – avoir lieu, notamment sur la troisième partie du projet de loi.
Je ne donnerai que quelques exemples. Tout d'abord, je suis frustré de ne pas avoir pu débattre de l'article 23, qui porte sur la réforme de la tarification. Le Président de la République avait, rappelons-le, promis dans un premier temps que celle-ci interviendrait lors du précédent quinquennat. Cette année, dans le cadre de ses vœux aux acteurs de la santé, au centre hospitalier sud-francilien, il a reconnu qu'il s'était trompé à l'époque en pensant qu'il fallait s'y atteler de façon progressive et s'appuyer sur le volontariat ; considérant désormais qu'il convenait d'agir de manière plus déterminée, il a annoncé qu'une grande réforme de la tarification à l'activité serait engagée dans le cadre du prochain PLFSS.
Or tous les acteurs s'accordent à dire – même si nous n'avons pu en débattre – que votre article 23 ne constitue pas la grande réforme attendue et qu'il ne remettra pas en cause la logique de « l'hôpital entreprise » qui a tant abîmé le secteur. Vous ne fixez pas de part maximale au recours à la tarification à l'activité, si bien que vous ne bouleversez pas le mode d'organisation.
Je pourrais également évoquer ma frustration s'agissant de l'article 32, relatif à la pénurie de médicaments – un sujet de préoccupation majeur pour l'ensemble de nos concitoyens et essentiel pour notre pays du point de vue de la souveraineté sanitaire. Votre projet se caractérise par l'absence de réforme systémique, comme l'illustre votre refus de construire un pôle public du médicament, mais aussi de faire preuve d'un volontarisme plus affirmé dans la lutte contre la pénurie de médicaments et dans la prévention de ce phénomène. Ce ne sont pas les mesures prévues par votre article 32 – que je qualifierai de sympathiques mais notoirement insuffisantes – qui permettront de régler le problème.
J'en viens à une autre source de frustration, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer brièvement. Lundi dernier, madame la Première ministre, je vous avais en effet interrogée sur ce point particulier, mais la réponse fournie n'avait pas été claire. Je profite donc de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui – puisque nous sommes, si j'ose dire, entre nous – pour vous poser de nouveau cette question, en espérant obtenir cette fois une réponse un peu plus claire.
Au moment où vous allez faire adopter cet article par 49.3, nous ne savons pas si vous doublerez ou non les franchises médicales. La trajectoire budgétaire le prévoit. Nous avons échangé sur ce point avec le ministre de la santé et de la prévention, mais force est de constater que les réponses ont été elliptiques, élusives. Prendrez-vous, oui ou non, un décret prévoyant le doublement des franchises médicales ?
Comme Aurélien Rousseau m'a invité à le faire, je suis allé rechercher les documents préparatoires qui vous ont servi à bâtir votre réflexion. Ils ont le mérite d'être le fruit d'une expertise. Votre projet de loi prévoit quelque 800 millions d'euros d'économies sur les médicaments, mais vous ne dites pas si cela se fera au moyen d'un doublement des franchises médicales. Or la transparence à laquelle nous sommes tous attachés vous oblige à nous dire si vous comptez prendre prochainement un décret pour assurer une entrée en vigueur de ce doublement au 1er janvier.