Votre ministère célèbre une augmentation du budget de 3,9 % mais une inflation de 5,7 % relativise tout de même quelque peu cette progression. La recherche française est mondialement reconnue, comme en témoignent nos récents prix Nobel et les médaillés Fields. Nous disposons d'un fort potentiel scientifique et de personnels de haut niveau. Votre projet de budget vise à conforter cet état de fait. Dont acte.
Je tiens cependant à relever un certain nombre d'angles morts préoccupants car ils pourraient obérer le développement de notre recherche dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée.
Premièrement, la dépense intérieure en recherche et développement stagne depuis des années à 2,2 % ou 2,4 % du PIB, loin des 3 % de la stratégie de Lisbonne. Les Allemands y consacrent 3 % de leur PIB et visent désormais 3,5 %. Pourquoi un tel décrochage ?
Deuxièmement, en amont de la recherche, il y a évidemment l'enseignement supérieur proprement dit. Or, que lit-on dans le programme 150 ? Vous fixez une cible de 50 % de réussite en première année de licence et de 44 % de réussite de la licence en trois ou quatre ans. Ce n'est pas très sérieux. Ce n'est plus un défaut d'ambition : c'est presque une démission. Le document budgétaire explique que les choses s'améliorent grâce à Parcoursup. Que l'une des 21 000 formations de l'algorithme soit proposée à 95 % de bacheliers ne produit manifestement pas d'effet pour réussir en licence. Le baccalauréat, vous le savez, est largement vidé de son sens. Dépourvu de valeur académique, il ne qualifie plus vraiment pour l'enseignement supérieur. Nous préconisons donc une véritable année de propédeutique pour des bacheliers qui sont pour la plupart d'entre eux incapables de suivre en première année de licence.
Troisièmement, une note du centre d'initiation à l'enseignement supérieur (CIES) et le dernier rapport sur l'emploi scientifique en France montrent que le nombre de doctorants stagne depuis des années et signalent une baisse globale de 10 % en dix ans. L'objectif de 20 000 docteurs par an en 2025 fixé par la stratégie nationale de l'enseignement supérieur de 2015 est loin d'être atteint puisque nous en sommes à peu près à 15 700. Le recrutement d'enseignants-chercheurs a quant à lui chuté de 3 613 en 2011 à 2 199 en 2022. Certes, l'emploi scientifique connaît une embellie aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé mais, si l'amont est défaillant, cette embellie sera de courte durée. Quelle est votre politique en la matière ?
Quatrièmement, s'agissant des publications et du rayonnement scientifiques, au programme 172, les développements du programme de performance font état d'« une stabilité depuis 2018 du volume de nos publications scientifiques » et d'une « tendance baissière qui ne peut être enrayée ». L'indicateur d'impact des publications françaises se situe un peu en dessous de la moyenne mondiale alors que nous sommes la sixième puissance du monde.
Cinquièmement, la question de la condition étudiante est à nos yeux un véritable crève-cœur pour la nation. La France ne doit pas s'accommoder de la paupérisation des étudiants. Peut-être faudrait-il un changement systémique de paradigme ? Ne faudrait-il pas se saisir de la question étudiante sur un plan interministériel, au sein d'une délégation regroupant les ministères chargés du logement, des affaires sociales, du travail, de la santé, de l'éducation et de l'enseignement supérieur ?
Votre politique subit beaucoup trop les contraintes liées à des considérations budgétaires et financières d'origine maastrichtienne. Ces contraintes devraient s'effacer au regard des enjeux stratégiques et de l'impératif, pour notre nation, de s'imposer comme l'un des champions mondiaux de la recherche.