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Intervention de Rima Abdul Malak

Réunion du mercredi 25 octobre 2023 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Rima Abdul Malak, ministre :

Mesdames, messieurs les députés du Rassemblement national, je suis toujours étonnée de l'incohérence entre votre défense de la culture et de la création française, et votre rejet de l'audiovisuel public. J'ai le sentiment que vous ne consultez pas vraiment les programmes de Radio France et du groupe France Télévisions. Celui-ci est pourtant le premier financeur de la création française, avec 500 millions d'euros injectés dans la production de films et de séries. Quelque 80 % des fictions diffusées sur France 2 sont françaises, alors que seulement 50 % environ des fictions diffusées sur les chaînes privées le sont. Depuis 2020, France 2 ne diffuse plus, par exemple, de fiction américaine.

Peut-être ne mesurez-vous pas non plus le nombre d'emplois liés à cette activité de création, de production de films et de séries ? Vous devriez visiter les studios de France Télévisions à Vendargues. France Télévisions représente 62 000 emplois directs et indirects sur l'ensemble du territoire français.

L'audiovisuel public assure une mission de service public, en accordant une place au sport féminin et à la diversité des sports, auxquels nous sommes tous attachés. Quelque 153 disciplines sportives sont ainsi représentées sur l'audiovisuel public ; aucune chaîne privée n'assure l'équivalent. Contrairement aux chaînes privées, l'audiovisuel public favorise également les documentaires, les spectacles vivants, la culture, et montre ainsi la vitalité culturelle de notre pays. Les antennes de Radio France consacrent chaque semaine plus de dix-neuf heures à la culture, France Télévisions propose plus de 950 programmes culturels.

Les médias publics jouent également un rôle crucial dans la diffusion de programmes éducatifs auprès de la jeunesse, à travers les animations diffusées sur France 4, la plateforme Okoo, qui touche 60 % des enfants et des adolescents, ou la plateforme de programmes éducatifs Lumni, visitée par 2 millions de personnes chaque mois, et ainsi de suite. Je remercie Mme Colboc d'avoir mentionné la visibilité accrue de l'outre-mer et des programmes ultramarins sur l'audiovisuel public, permise par le pacte de visibilité. Je sais que vous êtes également attachés à la représentation de l'outre-mer.

Comment pouvez-vous imaginer que des chaînes privées pourraient s'acquitter de telles missions de service public ? Si l'audiovisuel public disparaissait, ne voyez-vous pas que les programmes consacrés au sport féminin, à la diversité des sports, à la création française, à l'éducation aux médias seraient arrêtés, de même que de nombreux emplois seraient détruits ? Ce constat n'enlève rien aux chaînes privées, qui jouent, elles aussi, un rôle majeur de soutien à la création – je pense notamment à Canal+, à TF1 et à M6 – et dans le pluralisme de l'information.

Le contenu de cette mission de service publique sera réaffirmé dans les contrats d'objectifs et de moyens avec l'audiovisuel public. Il inclut la proximité, à laquelle je tiens énormément. Aucune chaîne privée ne pourra avoir le même réseau de proximité que France 3 et France Bleu réunies, qui forment un média de la vie locale – nous financerons d'ailleurs une réforme prioritaire pour aller plus loin en ce sens, avec l'enveloppe complémentaire prévue dans ce projet de budget.

J'en viens aux modalités de financement de l'audiovisuel public après 2024. Comme vous le savez, à partir de cette date, aux termes de la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, il sera impossible de financer les médias publics par l'affectation d'une fraction de la TVA. Je reconnais qu'à titre personnel, j'ai toujours été favorable à la pérennisation d'un tel mode de financement, qui permet de réserver un compte de concours financiers à l'audiovisuel public, pour financer sa trajectoire. Les discussions sont encore en cours.

Vous avez consacré de nombreuses interventions à la presse. Sa vitalité est d'une importance majeure pour notre démocratie. Le ministère de la Culture garantit sa pluralité et favorise sa distribution, à travers des aides. Certaines interventions étaient confuses sur ce point.

Plusieurs types d'aides existent. Les aides au pluralisme sont réservées aux journaux à faibles revenus publicitaires, soit les plus fragiles. Quant aux aides à la distribution, elles appliquent le principe constitutionnel de garantie du pluralisme sur tout le territoire, et bénéficient donc aussi bien à La Voix du Jura, qu'à Ouest France, au Journal du Dimanche, à Famille chrétienne et à L'Humanité. La presse en outre-mer bénéficie de ces différentes aides, mais aussi d'aides spécifiques, car elle est particulièrement fragile. Nous attribuons également une aide à la modernisation.

L'aide principale est indirecte et fiscale : c'est celle permise par l'application à la presse d'un taux de TVA dit super réduit, de 2,1 %. Même si cette aide n'apparaît pas dans le présent projet de budget, elle est extrêmement importante.

Vos questions portaient notamment sur la concentration de la presse et son indépendance. Évitons de tout mélanger : la concentration n'implique pas forcément l'atteinte à l'indépendance des journalistes et l'indépendance des journalistes peut être menacée par une ingérence éditoriale, même en l'absence de concentration. Le paysage médiatique français est en réalité moins concentré qu'il y a quarante ans. Seules six chaînes de télévision analogique existaient dans les années 2000, alors qu'actuellement trente chaînes sont diffusées sur la TNT. Dans les années 1980, le groupe Hersant représentait 80 % de la diffusion des quotidiens nationaux et régionaux, alors qu'actuellement, les dix plus gros éditeurs de presse se partagent 30 % des tirages.

Quelque 60 % des aides à la presse que nous versons bénéficient à des groupes qui ne sont pas la propriété des grandes fortunes. Le fait que des groupes industriels – ceux que vous appelez les milliardaires – investissent dans les médias n'est pas en soi problématique. Le tout est de s'assurer que les intérêts économiques ou idéologiques des actionnaires n'interfèrent pas avec le travail des journalistes, afin que l'information reste indépendante.

Ces questions nourriront les débats des états généraux de l'information. Ceux-ci pourront s'appuyer sur plusieurs rapports dont nous attendons la publication, notamment sur la distribution, mais aussi sur le rapport relatif à la concentration dans le secteur des médias à l'ère numérique, élaboré conjointement par l'Igac et l'IGF.

Je n'ai pas encore eu l'occasion de me pencher précisément sur la presse musicale. Nous avions confié au CNM une étude sur ce secteur. Je ne manquerai donc pas de vous répondre plus tard sur ce sujet important.

Je remercie M. Masséglia d'avoir mentionné la Maison du dessin de presse et le budget important que nous dédierons en 2024 à la numérisation des archives de presse. La liberté de la presse et du dessin, leur impertinence parfois, ont une longue histoire dans notre pays. Pour que notre démocratie reste pleinement vivante, il importe de la commémorer, de la transmettre à nos concitoyens.

Je vous remercie tous pour votre mobilisation face à l'impact de l'inflation phénoménale du coût du papier sur la presse. Nous avons ainsi pu débloquer 30 millions d'euros pour aider les acteurs à y faire face.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué le cinéma, en s'appuyant notamment sur un récent rapport de la Cour des comptes. Notre modèle d'exception culturelle et de diversité repose sur notre capacité à donner une chance à des films dont on ne sait jamais à l'avance s'ils obtiendront 20 000 ou 1 million d'entrées. Notre système favorise la diversité et permet à des réalisateurs de produire des films plus confidentiels, à côté des films les plus populaires. Parfois, ce n'est qu'après trois ou quatre films qu'un réalisateur touchera un public plus large et recevra l'un des grands prix internationaux. La part des films français obtenant moins de 10 000 entrées est restée assez stable dans le temps, autour de 25 %. Ces films représentent moins de 1 % des séances et bénéficient de moins de 5 % des aides à la production. Ce sont en général des films à petit budget, qui ne grèvent donc pas nos finances. Pour un coût très faible, notre système garantit ainsi le renouvellement des talents et la diversité de la production – la logique est du même ordre que pour les investissements en recherche et développement, pour comparer avec un autre champ. N'oublions pas, en outre, que le CNC ne finance pas tout. Deux tiers des films qui sortent en salle chaque année, français comme étrangers, ne bénéficient pas de ses aides.

Réjouissons-nous d'être l'un des rares pays où les cinémas ont retrouvé leur fréquentation d'avant le covid-19, et d'être l'un des pays où les films nationaux occupent la place la plus importante dans les recettes du box-office. C'est extraordinaire : les films français représentent 40 % des recettes du box-office en France, quand les films britanniques n'en représentent que 8 % au Royaume-Uni, et les films allemands ou italiens, autour de 20 % dans leurs pays respectifs. Le cinéma français résiste très bien, grâce notamment au succès de certains films, qui attirent plus de 1 million de spectateurs. Réjouissons-nous de la vitalité de ce modèle, qui nous convainc tous, je crois.

Je vous rejoins en ce qui concerne l'importance du Centre national de la musique, qui a été créé en 2020, après dix ans d'attente, et deux mois avant le début de la pandémie. Le CNM a joué un rôle absolument déterminant dans le soutien à ce secteur pendant la crise sanitaire puis pour la relance.

Nous avons désormais besoin de conforter le financement du CNM. Une question de principe se pose : le CNM est alimenté par l'État, les organismes de gestion collective et la taxe sur la billetterie, mais pas suffisamment par la musique enregistrée et les plateformes de streaming, qu'elles soient payantes ou gratuites. Par ailleurs, le volume des financements doit permettre de faire face aux défis que le secteur aura à affronter dans les années à venir en matière d'innovation, d'intelligence artificielle, de transition écologique, d'export – la diffusion internationale de la scène française est un enjeu majeur – et de préservation de la diversité et de l'indépendance de la filière. À la suite des déclarations faites par le Président de la République le 21 juin, nous avons lancé une consultation, et les trois mois de discussions intenses qui ont eu lieu avec tous les maillons de la chaîne ont débouché sur trois scénarios.

Le premier, qu'une grande partie d'entre vous défendent, est une contribution obligatoire, qui a un peu évolué par rapport aux premières propositions de l'ex-sénateur Julien Bargeton. Dans cette hypothèse, le chiffre d'affaires réalisé en France serait taxé entre 0,5 % à 1,75 %.

Un deuxième scénario est l'extension à la publicité de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels. Toutefois, on se heurte au fait que l'ensemble des plateformes ne seraient pas concernées. Apple et Amazon, par exemple, ne font pas appel à la publicité et seraient donc exclus du dispositif, que vous êtes peu nombreux à souhaiter – et il en est de même du côté des acteurs de la filière.

Un troisième scénario a émergé au cours des discussions : les plateformes ont, en effet, proposé une contribution volontaire. Il nous a semblé intéressant de continuer à travailler sur cette hypothèse pour voir s'il était possible de se rapprocher de ce qui était attendu d'une contribution obligatoire, étant entendu que des questions complexes se posent, notamment celle des répercussions sur les ayants droit et, ce que personne ne souhaite, sur les consommateurs. Alors que le chiffrage des éventuelles répercussions sur les abonnements était de l'ordre de quelques dizaines de centimes, on a déjà observé des hausses de prix. Même s'il n'y a pas nécessairement de lien de cause à effet, la question des répercussions est légitime.

La discussion sur une contribution volontaire se poursuit, assez intensément, avec les plateformes. Si elle n'aboutit pas, l'hypothèse d'une contribution obligatoire, évoquée par le Président de la République le 21 juin, reste sur la table. Nous avons encore du temps pour avancer avant la fin de l'examen du PLF.

En ce qui concerne l'intelligence artificielle (IA), nous avons créé un comité interministériel et un groupe de travail qui travaillera plus spécifiquement sur l'impact de l'IA dans le domaine de la culture. Le groupe de travail a été constitué avec Alexandra Bensamoun, qui est une spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, Antonin Bergeaud, qui est économiste, Benoît Carré, qui est artiste, auteur et producteur, Bruno Patino, le président d'Arte, et Marion Carré, qui est cheffe d'entreprise et fondatrice d'une start-up d'intelligence artificielle. Ce groupe d'experts nous accompagnera au cours des prochains mois pour la définition d'une politique qui devrait reposer, selon moi, sur trois piliers : l'innovation, la régulation et la formation.

Tout d'abord, il est très important de ne pas freiner l'innovation à un moment où on a besoin de développer des IA génératives françaises, afin de ne pas être dépendant d'IA anglo-saxonnes, qui ne se sont pas entraînées sur nos données, ainsi que pour des raisons de souveraineté linguistique et culturelle.

Les enjeux de la régulation sont également très importants. Comment définit-on, par exemple, l'auteur d'une œuvre créée avec un peu, moyennement ou beaucoup d'intelligence artificielle ? Cela nécessitera des discussions extrêmement précises au niveau européen.

S'agissant du troisième volet, je rappelle que nous avons mis l'accent sur les organismes de formation et l'accompagnement de l'ensemble des filières concernées dans le cadre du plan France 2030. Nous devons faire en sorte que l'intelligence artificielle soit, non pas une menace, mais un atout pour la culture, et une aide, une assistance pour certains métiers. L'intelligence artificielle peut notamment être utilisée pour lutter contre la désinformation. Des expériences et des travaux se dérouleront sur ce point dans le cadre des états généraux de l'information, et vous savez que l'audiovisuel public et l'AFP bénéficient d'un soutien renforcé pour développer les technologies nécessaires afin de débusquer, en utilisant l'intelligence artificielle, les fausses informations créées en ayant recours à celle-ci.

Nous devons aborder toutes ces questions sans naïveté, mais avec optimisme. Des débats similaires ont déjà eu lieu, notamment lorsque la photographie s'est développée. Les peintres, loin de disparaître, ont su renouveler leurs pratiques.

Le Centre national du livre est notre opérateur pour le soutien qui est apporté, un peu partout sur le territoire, aux librairies. On peut se réjouir qu'il s'en crée chaque année un peu plus : 142 nouvelles librairies ont vu le jour l'année dernière, ce qui montre bien la vitalité du secteur et l'engouement des Français pour ces commerces de proximité, dont le tissu est unique au monde.

J'ai bien noté vos questions portant sur les radios privés et le DAB+ : j'y apporterai plus tard des réponses précises.

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