Dans les grandes masses budgétaires du projet de loi de finances, les 736 millions d'euros de la mission Médias, livre et industries culturelles ne pèsent quasiment rien, surtout si on les compare aux 86 milliards d'euros de la mission Enseignement scolaire. Ces crédits revêtent cependant des enjeux fondamentaux pour la vie économique, démocratique et culturelle de notre pays. Le soutien financier que la nation consent à l'égard des secteurs stratégiques que sont la presse, la musique, le cinéma et le livre est plus que jamais justifié dans un contexte d'inflation persistante, d'une part, et de bouleversements majeurs des modes de création, de diffusion et de rémunération, d'autre part. L'État ne peut pas tout mais, en l'espèce, il peut et doit faire beaucoup. Les entreprises soutenues par la mission ne sont pas de simples opérateurs économiques soumis à la loi du marché ; elles sont également des acteurs d'intérêt général, qui évoluent dans un environnement de plus en plus concurrentiel et mondialisé, où des plateformes étrangères dotées d'une force de frappe financière considérable entendent imposer leur loi. Un seul chiffre suffira à en prendre la mesure : l'an dernier, Netflix a investi 17 milliards de dollars dans la production de contenus originaux, contre 440 millions d'euros pour France Télévisions et 250 millions d'euros pour Canal+.
S'agissant de la presse et des médias, la situation demeure difficile. Le choc de la crise sanitaire s'est ajouté à la crise, déjà ancienne, de l'effondrement du lectorat et des tirages papier, que les aides à la transition numérique des titres ne pourront suffire à compenser. La diffusion de la presse continue de reculer en 2022 et les recettes publicitaires, notamment du fait de la concurrence des plateformes, peinent à se rétablir. Une légère amélioration est à noter en 2022, mais leur niveau reste inférieur de près de 5 % à celui de 2019. Le dernier choc en date est lié à l'inflation, sous l'effet de laquelle le prix de la tonne de papier est passé de 400 euros en 2021 à 1 000 euros. Redescendrait-il à 800 euros, en moyenne, sur l'année 2023, que ce prix élevé continuerait de menacer certains titres structurellement fragiles. Cette situation justifie pleinement la création d'un fonds de soutien doté de 30 millions d'euros.
Pour ma part, je renouvelle la proposition que j'avais formulée l'an dernier avec Violette Spillebout, d'étendre le pass culture aux abonnements de la presse écrite, toutes catégories confondues. Ce sont les jeunes qui lisent le moins la presse, alors même que celle-ci constitue un rempart contre les pratiques de désinformation, si dangereuses pour leur émancipation et pour la cohésion sociale.
Les crédits des aides à la presse seraient stabilisés en 2024, tandis que la réforme du postage et du portage se poursuit et qu'il est encore trop tôt pour en apprécier pleinement les effets. Je ne suis pas défavorable à l'incitation au portage, encore faut-il s'en donner les moyens. La fragilisation de la filière des vendeurs-colporteurs de presse est, de ce point de vue, très préoccupante, notamment du fait de l'augmentation des coûts de l'énergie et du transport. Par ailleurs, la création des zones à faibles émissions (ZFE) ne leur facilite pas ma tâche, c'est le moins que l'on puisse dire.
J'ai également été alerté sur la problématique de la distribution de la presse dans les outre-mer. Une aide au pluralisme des titres ultramarins, de 2 millions d'euros, a été instituée en 2021, mais elle ne vise pas à soutenir la distribution de la presse nationale dans ces territoires. Les aides à l'impression numérique locale sont utiles, mais insuffisantes. L'aide au pluralisme des titres ultramarins doit donc être renforcée et inclure l'aide à la distribution.
Toujours à propos de la presse, les états généraux de l'information seront l'occasion de réfléchir à une refonte globale des aides, qui sont nombreuses et parfois difficilement lisibles. L'introduction de nouveaux critères pourrait être envisagée.
J'en viens aux crédits du programme Livre et industries culturelles, qui bénéficient d'une hausse en 2024. Ces nouvelles dotations ont vocation à financer le plan national de numérisation de la presse ancienne et la stratégie en faveur de la lecture dans les territoires. Les besoins, là, sont énormes.
S'agissant du financement du Centre national de la musique, j'ai pu prendre connaissance des résultats de l'évaluation qu'il a réalisée des deux crédits d'impôt dont il assure la gestion. Sans entrer dans le détail, je considère que ces résultats sont satisfaisants. Je suis donc favorable à la prorogation anticipée des crédits d'impôt.
Comme beaucoup, je regrette les atermoiements qui durent depuis plusieurs mois. Le secteur du streaming par abonnement est en plein essor et représente désormais 56 % du chiffre d'affaires de la musique enregistrée. Cependant, son modèle économique n'est pas encore arrivé à maturité. Nul ne conteste le besoin de financement du CNM ; c'est sur les modalités que nous divergeons. Je considère que nous devons protéger les acteurs les plus modestes et ceux qui ne sont pas encore parvenus à la rentabilité. C'est pourquoi le scénario d'une contribution obligatoire des plateformes gratuites, comme YouTube ou TikTok, semble le plus cohérent, d'autant que ces plateformes rémunèrent peu les contenus, contrairement aux plateformes payantes. Dès lors, une augmentation du taux de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV) me semble la meilleure option. Une taxe sur les services de streaming payant pourrait être envisagée ultérieurement, lorsque ces plateformes auront consolidé leur modèle économique.
Quant au scénario d'une contribution volontaire des acteurs de la musique enregistrée, il paraît tout simplement irréaliste, puisque 5 millions d'euros seulement ont été identifiés par le Gouvernement.
Je conclus avec la filière cinématographique. La fréquentation des salles connaît une amélioration sensible sur les huit premiers mois de l'année ; nous pouvons ainsi espérer renouer avec les 200 millions d'entrées sur l'année. La part de marché des films nationaux est la plus élevée d'Europe, avec 41 %. Globalement, le cinéma français se porte donc bien. Cependant, deux récents rapports sénatoriaux et un rapport de la Cour des comptes ont mis en évidence le caractère perfectible – c'est un euphémisme – du fonctionnement du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), notamment pour le volet d'attribution des aides. Les aides sélectives du CNC financent, en effet, trop de films qui ne trouvent pas leur public. J'en veux pour illustration le fait qu'entre 2011 et 2018, sur les 574 films ayant bénéficié de l'avance sur recettes, 12 seulement ont généré des recettes aux guichets supérieures au coût total des œuvres, soit 2 % des films. Entendons-nous bien, le soutien à la diversité de la création a un coût et le CNC n'aurait pas de raison d'être si seuls les films rentables avaient vocation à être soutenus. Néanmoins, le mécanisme d'attribution des aides mérite d'être révisé.
J'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire à la visibilité des chaînes françaises de télévision sur les équipements connectés. Je devrais plutôt parler d'invisibilisation croissante de notre audiovisuel, public comme privé, sur les interfaces d'accueil des téléviseurs connectés et des boîtiers TV connectés, sur les télécommandes et dans les magasins d'applications. Les usages évoluent très vite et le temps est bien loin où les Français n'avaient le choix qu'entre quelques chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT). Certes, la télévision reste un média puissant, mais l'audience des chaînes de la TNT ne cesse de reculer, quand la consommation de vidéos à la demande augmente de façon exponentielle. Aujourd'hui, près de 90 % des foyers français possèdent un téléviseur en mesure de recevoir la télévision et des services de vidéo à la demande, grâce à une connexion internet. Les boutons de numérotation disparaissent progressivement et les chaînes de télévision sont de moins en moins bien référencées sur les interfaces d'accueil, où les grandes plateformes étrangères – Disney, Netflix, Prime Video, YouTube – ont désormais la part belle. France Télévisions, TF1, Canal+, M6 ne sont pas sur le point de disparaître de nos écrans ; leurs programmes sont toujours connus et appréciés des Français, mais il est de notre responsabilité de garantir la « découvrabilité » des contenus audiovisuels français, à l'heure où les plateformes investissent massivement dans la création de contenus originaux, qui séduisent de plus en plus les jeunes générations.
La directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) a permis aux États membres de prendre des mesures afin d'assurer une visibilité appropriée pour les services de médias audiovisuels d'intérêt général. Il revient à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de définir le périmètre des services d'intérêt général (SIG) ainsi que les modalités de leur visibilité appropriée. Pour ma part, je suis favorable à la qualification de SIG pour l'ensemble des chaînes de la TNT. Il est indispensable que les deux consultations conduites par l'Arcom s'achèvent rapidement.
Je serais personnellement favorable à ce que les mesures de visibilité appropriées soient définies à l'échelle européenne, comme le propose l'Union européenne de radio-télévision (UER). Cela aurait le mérite de garantir une application efficace de ces mesures, le marché des téléviseurs étant, au minimum, un marché européen.
Dans le futur, l'accès aux téléviseurs connectés par wifi, ne passant plus par les fournisseurs d'accès à internet (FAI), va sans doute se développer. L'Arcom n'aurait alors plus aucune prise pour garantir la visibilité appropriée des chaînes françaises. Nous devons nous atteler dès maintenant à une réflexion sur la défense de notre souveraineté audiovisuelle. Sinon, adieu TF1, France Télévisions, Canal+ et M6 ! Nous n'aurons plus le choix qu'entre Amazon, Disney, Netflix, YouTube sur nos téléviseurs connectés, car les Gafam auront pu s'offrir, à coups de milliards de dollars, leur référencement auprès des constructeurs de téléviseurs.