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Intervention de Damien Maudet

Séance en hémicycle du jeudi 2 novembre 2023 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2024 — Investir pour la france de 2030 ; plan de relance

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Maudet, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le ministre délégué chargé des comptes publics, messieurs les rapporteurs, chers collègues, dans ses Mémoires de guerre, le général de Gaulle a écrit : « Aujourd'hui comme il en fut toujours, c'est à l'État qu'il incombe de bâtir la puissance nationale, laquelle, désormais, dépend de l'économie. » Selon lui, l'économie doit être dirigée d'autant mieux qu'elle est déficiente, qu'il lui faut se relever et qu'elle ne le fera pas à moins qu'on la détermine. Durant la dernière campagne présidentielle, le président Emmanuel Macron a lui-même évoqué la nécessité d'une planification.

Sa présentation et son utilisation comme argument d'autorité font sans doute du plan France 2030, dont nous examinons ce matin les crédits, le grand plan du Gouvernement. Tout le monde espère en tout cas qu'il s'agit bien d'un grand plan de planification, du grand plan de planification, et pour cause : il représente un total de 54 milliards d'euros. Au moment où l'on exige des services publics qu'ils fassent des économies et où on les impose par la force par voie de 49.3, il vaudrait mieux que cet argent soit utilisé avec parcimonie. Sinon, ce serait injuste pour les écoles, les hôpitaux et les Français à qui l'on demande de se serrer la ceinture.

Nous avons devant nous de grands défis : l'adaptation au changement climatique, la préservation de notre souveraineté alimentaire et la restauration de notre souveraineté industrielle et sanitaire. Pourtant, alors que vous nous parlez sans cesse d'innovations de rupture, il n'est quasiment jamais question de rupture dans votre plan, notamment dans la manière de travailler avec le Parlement et de respecter ses prérogatives.

Rappelons que le plan France 2030 a été adopté sous le quinquennat précédent au moyen de l'amendement le plus cher de la Ve République, selon notre collègue Valérie Rabault, qui préside aujourd'hui la séance : 34 milliards d'euros votés en loi de finances initiale pour 2022, et pas la moindre étude d'impact ! Même la Cour des comptes demande des comptes.

Pas de rupture non plus dans la méthode : pour vous, hors de question de réguler ; comme d'habitude, il suffit de distribuer des milliards au privé et les grandes entreprises se chargeront de veiller à l'intérêt général… C'est toujours la même logique de subventions accordées sans aucune condition. Aujourd'hui, on demande 15 à 20 heures de travail au moindre allocataire du RSA en échange de son allocation. En revanche, pour des millions – des milliards – d'euros offerts au privé, zéro contrepartie !

C'est ainsi que l'on retrouve, dans la liste des lauréats de France 2030, plusieurs grandes entreprises, qui bénéficieront de nouvelles aides publiques. Accenture : 7 milliards d'euros de bénéfice en 2022, et 19 000 licenciements dans le monde. Nokia : l,5 milliard d'euros de bénéfice en 2021, et l'annonce de la fermeture d'une usine à Trignac. La Société générale : 5,6 milliards d'euros de bénéfice en 2021, qui figure dans le top 5 des banques européennes qui financent le plus les énergies fossiles. Enfin, le grand champion, TotalEnergies : 19 milliards d'euros de bénéfice en 2022, et le projet d'un mix énergétique en 2030 composé à 85 % d'énergies fossiles, sans oublier le lancement de nouveaux projets pétroliers et gaziers.

En fait, le plan 2030 ne planifie pas. C'est le cas tout d'abord en matière d'environnement. Le récent rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz sur les incidences économiques de l'action pour le climat estime que la transition écologique coûtera entre 50 et 70 milliards d'euros chaque année. Le plan France 2030 prévoit 5,5 milliards sur dix ans pour la décarbonation de l'économie – 550 millions par an. Ce grand plan prévoit donc de répondre à 1 % des besoins ! Pour le moment, on estime que seules 25 % des dépenses de France 2030 auront un impact favorable sur l'environnement.

Le plan ne planifie pas non plus la réindustrialisation verte. Vous vous félicitez de la construction de nouvelles chaînes de production de batteries pour véhicules électriques – nous la saluons également –, mais, pour faire rouler des voitures électriques, il faut des carters en aluminium. Or, il y a deux ans, vous avez laissé fermer les fonderies d'aluminium du Jura et de Charente. Vous ouvrez d'un côté, vous fermez de l'autre : nous avons du mal à comprendre…

Venons-en à la santé et aux médicaments. Dans ce domaine, au moins, vous nous promettez une rupture ; malheureusement, nous ne voyons que des ruptures d'approvisionnement ! Ces derniers mois, elles se sont enchaînées : paracétamol, amoxicilline, pilule abortive, sabril pour l'épilepsie. Au total, 3 000 molécules ont manqué à l'appel cet hiver. Nous devons relocaliser. Il existe 400 médicaments d'intérêt thérapeutique majeur et le plan France 2030 propose de n'en relocaliser que 20. À ce rythme, il faudra deux cents ans pour que nous soyons capables de produire les médicaments stratégiques sur le sol français.

Le Gouvernement ne prévoit d'ailleurs aucune régulation ni aucune contrainte. Sanofi introduit notre paracétamol – notre souveraineté – en bourse : aucune réaction ! On laisse ainsi la souveraineté sanitaire de la France entre les mains d'un marché qui ne marche pas, celui-là même qui a délocalisé tous nos savoir-faire. Un plan de souveraineté doit aussi servir à réguler et à interdire les actions qui mettent en danger la souveraineté, à interdire, en particulier, les délocalisations et les fermetures stratégiques.

Bref, le Gouvernement nous présente un plan et fait des annonces, mais nous ne comprenons pas où il va. Quelle France voulez-vous pour 2030 ? Quand je lis le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, je ne le comprends pas et je ne vois aucune rupture avec la politique des dernières années, qui nous a menés à l'impasse dans laquelle nous nous trouvons actuellement, avec des services publics déficients ou à bout de souffle.

Quels services publics voulons-nous en 2030 ? Notre priorité devrait être la reconstruction de l'hôpital, de l'école et du ferroviaire, pour que les Français puissent se soigner dans de bonnes conditions, sans condition de revenu, pour que tous les enfants reçoivent une éducation de qualité, à la hauteur des ambitions de notre pays, pour que l'ensemble du territoire soit équipé de transports en commun performants, avec des chauffeurs aux commandes !

Aujourd'hui, France 2030 ne répond pas à ces impératifs et aux priorités des Français. Je ne voterai donc pas en faveur des crédits de la mission "Investir pour la France de 2030" .

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