Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps : j'invite la commission à émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Cohésion des territoires.
Comme vous le savez mon rapport porte sur le programme 112 Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire et sur le programme 162 Interventions territoriales de l'État. J'ai choisi de mener des auditions de manière semi-directive, c'est-à-dire en m'affranchissant de la contrainte quantitative au profit d'une approche davantage qualitative.
Nous avons décidé, pour le programme 112, de nous concentrer sur le budget alloué au réseau France Services et à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
Les espaces France Services arrivent à faire l'unanimité chez les élus locaux, chose assez rare pour être soulignée. On a fait le choix de faire confiance aux collectivités : ce choix est payant, au sens propre comme au figuré.
Oui, les bénéfices pour les usagers sont là, mais oui, c'est trop cher pour les porteurs de projet. Remettre de l'offre de service public était nécessaire après les destructions massives, mais c'est à l'État de financer le service public national. La situation est difficilement tenable pour les collectivités : le préjudice se répercute sur les agents qui travaillent dans les espaces France Services, ainsi que sur les usagers – aucun président de communauté de communes ne dira le contraire. Il faut renforcer les moyens alloués au dispositif, améliorer la communication pour que les usagers connaissent les services disponibles, pérenniser les postes des agents et lever ce boulet budgétaire qui handicape nos collectivités.
Si cela ne tenait qu'à moi, nous laisserions l'État se charger de l'ensemble du dispositif, mais nous savons que cela n'arrivera jamais. Il faut toutefois que l'État couvre au moins la moitié des dépenses de France Services. Le groupe LFI-NUPES a déposé un amendement en ce sens, que je vous invite, bien entendu, à voter.
Les élus furent beaucoup moins loquaces sur l'ANCT, puisque dans l'hyper-ruralité, personne ne sait à quoi sert cette structure ni même ce qu'elle est. Un maire a employé le terme de « coquille vide », qui résume bien le ressenti général. Il y a un véritable besoin d'ingénierie dans nos territoires, mais le fonctionnement de l'ANCT et la trajectoire voulue par son directeur général n'apportent pas les réponses souhaitées. Les fonds de l'ANCT atterrissent à Paris puis transitent directement vers des cabinets de conseils. Il faudrait renforcer les moyens du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et des directions départementales des territoires (DDT) et augmenter la part de projets soutenus dans les territoires ruraux.
De cette synthèse du programme 112, nous retenons la nécessité de faire confiance aux acteurs de terrains.
La deuxième partie de mon rapport porte sur le programme 162. Nous nous sommes concentrés sur les plans d'action de lutte contre les algues vertes en Bretagne et contre la pollution au chlordécone. Ces deux scandales sanitaires agricoles ont tué et menacent encore aujourd'hui les populations. Ces lignes budgétaires sont les réponses apportées par le Gouvernement : elles sont mauvaises car elles ne représentent guère plus que des pansements sur une jambe de bois.
Le plan d'action territorialisé sur le chlordécone est sous-doté. La négligence fautive de l'État a été reconnue, mais la réponse de celui-ci pour tenter de réparer les dégâts est ridicule. Sur le terrain, les agents publics et les associations abattent du travail, mais ils ne reçoivent pas l'appui dont ils ont besoin. Ce constat justifie à lui seul l'émission d'un avis défavorable sur cette partie du budget. À titre personnel, je ne peux m'imaginer l'approuver sans honte. On pourrait au moins s'imaginer que des leçons soient tirées de ce scandale, mais il n'en est rien. Parmi les départements qui utilisent le plus de glyphosate à l'hectare, on retrouve la Martinique et la Guadeloupe. L'usage de ce produit, en plus d'être toxique, augmente les flux de chlordécone. On entend les mêmes arguments mortifères, selon lesquels il n'y aurait pas d'alternative et que la production menacerait de s'écrouler sans lui. Vous voyez où je veux en venir : il faut changer de modèle agricole pour intégrer pleinement le respect de l'environnement, du travailleur agricole, de la santé du consommateur et du bien-être animal. C'est la seule solution.
Cela s'applique également aux plans de lutte contre les algues vertes. Le niveau de nitrates dans l'eau stagne et reste trop élevé ; il ne baissera pas si la production animale reste la même. Les fonds déployés dans le budget s'attaquent aux conséquences de notre modèle, non aux racines du problème. La solution consiste à aider nos agriculteurs à mener la transition vers des modèles plus vertueux, en mettant en place de vraies aides à la conversion, en sortant du système des aides découplées, etc. Tant que le Gouvernement n'envisagera pas ces solutions, les algues vertes auront encore un bel avenir devant elles, contrairement à nos agriculteurs.
Pour résumer, le programme 112 est perfectible à bien des égards, mais il a ses mérites. À l'inverse, le programme 162 incarne l'échec des politiques publiques sur des sujets pourtant de la plus haute importance.