Je voudrais tout d'abord remercier le président Zulesi qui a permis que les auditions que j'ai conduites puissent aussi avoir lieu aux Antilles, et singulièrement à la Martinique.
C'est d'autant plus remarquable que nous débattons souvent de textes importants qui concernent l'accélération de la production des énergies renouvelables, l'industrie verte ou la biodiversité sans que ces derniers comprennent un volet consacré à l'outre-mer. Celui-ci représente pourtant 97 % de la biodiversité et 96 % de l'espace maritime français. Ces territoires sont en outre très exposés aux risques naturels. On peut dire que l'outre-mer est un impensé national.
Je voudrais également remercier les députés MM. Jean-Philippe Nilor et Jean-Victor Castor d'avoir participé activement aux auditions, tant à la Martinique qu'à Paris, ainsi que mon collaborateur. Je salue l'administratrice qui m'a accompagné dans mon travail et qui est allée vers l'outre-mer compliqué – pour paraphraser le général de Gaulle –, avec des idées simples mais sans a priori, et où elle a pu découvrir une réalité rude et difficile, une pauvreté indigne de la République et des problèmes nouveaux qui amènent à se poser des questions sur les décisions qui sont ou non prises à Paris et sur la manière de les appliquer.
On ne fait pas une politique publique sans parler de la réalité des besoins. L'analyse du programme 181 Prévention des risques permet de le montrer.
Ce programme est consacré à la prévention de très nombreux risques, qu'ils soient naturels, technologiques, industriels, nucléaires ou miniers. Il apporte également un soutien à l'économie circulaire et au développement des énergies renouvelables à travers le financement de l'Agence de la transition écologique (Ademe).
Le risque industriel est présent sur l'ensemble du territoire, comme en témoignent l'explosion de l'usine AZF de Toulouse en septembre 2001 et, plus récemment, l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen en septembre 2019 ou l'explosion d'une usine classée Seveso à Bergerac en août 2022. Tout cela nous rappelle, s'il en était besoin, la nécessité de contrôler ce type d'installations pour éviter que surviennent des événements préjudiciables à la fois à la santé et à l'environnement.
Le changement climatique tend à accroître la fréquence et l'intensité des risques naturels, alors que la densification de la population sur les littoraux et plus généralement dans les zones potentiellement exposées à des aléas augmente les coûts humains et économiques des catastrophes naturelles. En septembre 2020, la tempête Alex a provoqué la mort d'au moins dix personnes et des dégâts matériels importants dans plusieurs vallées montagneuses des Alpes-Maritimes. Depuis plusieurs années déjà, la sécheresse et les nombreux épisodes de canicule ont des conséquences négatives sur les milieux aquatiques, l'agriculture et le niveau des nappes phréatiques.
En raison de la diversité des risques qu'il entend identifier et prévenir, le programme 181 est une source de financement essentielle en matière de transition écologique. Je l'ai analysé au regard des enjeux vitaux que cette nécessaire transition recouvre ainsi que du réchauffement climatique afin de vérifier si les réponses qu'il apporte sont à la hauteur des défis actuels et futurs et s'il correspond au discours gouvernemental qui présente cette transition comme une priorité absolue.
De ce point de vue, les crédits du programme 181 connaissent une hausse indéniable par rapport à la loi de finances de 2023. Ils passent de 1 141,51 millions à 1 326,60 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE), soit une augmentation de 16,21 %. Les crédits de paiement (CP) passent, quant à eux, de 1 143,15 millions à 1 328,23 millions d'euros, soit une progression de 16,02 %. Il faut donc s'en féliciter.
Néanmoins, il faut noter que l'augmentation des CP résulte essentiellement d'un accroissement de 179 millions d'euros de la subvention versée à l'Ademe, de 2 millions de celle destinée à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) ou encore de la progression de 6,04 % des dépenses de personnel de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Comme toujours, le diable se cache dans les détails. La hausse des crédits doit être grandement relativisée puisqu'elle concerne pour l'essentiel des dépenses de fonctionnement et qu'elle est destinée à pallier les conséquences de réductions brutales d'effectifs enregistrées durant les années passées dans le domaine de la sûreté nucléaire, à Météo-France, au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et surtout à l'Ademe. Ainsi, le plafond d'emplois de l'ASN atteint 470 équivalents temps plein travaillé (ETPT) dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, contre 457 en 2023. Mais la réalisation de cet objectif est lissée sur cinq ans, ce qui ne lui permet pas de faire face aux enjeux auxquels elle est confrontée.
Cette situation à des effets pervers, car elle oblige nombre d'établissements à aller à la « pêche aux financements » dans d'autres programmes budgétaires pour assurer leurs missions ô combien importantes de protection des populations. C'est le cas pour le BRGM, Météo-France, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ou le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui financent l'Institut de physique du Globe de Paris (IPGP), chargé de la recherche sur les volcans à Mayotte, aux Antilles et à La Réunion et donc de la prévention des risques. Mais les opérations de ce dernier sont financées par le biais d'autres programmes que le programme 181. Un résultat très concret de cette situation est, par exemple, que les astreintes assurées par des personnels de l'IPGP ne sont pas rémunérées. On fait dépendre la protection de la population de la bonne volonté d'agents et de chercheurs, que je tiens à remercier.
Il en ressort l'impression d'une politique de gribouille, un peu désordonnée, qui manque de cohérence et qui n'est pas mutualisée. Cette situation peut surtout être préjudiciable en cas de risque accru – comme actuellement – ou en cas de conjonction des risques. Un risque sismique ou volcanique peut en effet aussi entraîner des risques de submersion et d'inondations.
La politique de prévention englobe de nombreux risques : risques naturels et hydrauliques, liés aux anciens sites miniers, dispositif de contrôle des installations nucléaires, risques technologiques et pollutions. Cette politique comprend aussi l'action du Gouvernement en matière de santé environnementale. Pour assurer ces missions, la politique de prévention s'appuie sur différents organismes tels que l'ASN, l'Ineris, le groupement de gestion de l'après-mine et des travaux de mise en sécurité (Geoderis), le BRGM, Météo-France, l'IPGP, le CNRS, le département de prévention de sécurité maritime, le Cerema et surtout l'Ademe – dont on peut se féliciter qu'elle retrouve un budget en progression, après avoir vu ses effectifs réduits de 20 % en quatre ans. Cette grande diversité devrait inciter à mener une politique de mise en cohérence de ces structures et de leurs actions.
Divers fonds interviennent également, comme le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », le fonds pour l'économie circulaire, le fonds chaleur, le fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, ou « fonds vert », et le fonds pour la résorption des décharges littorales. Bref, il y a matière à mutualiser et à renforcer les financements pour plus d'efficacité, en prévoyant des moyens suffisants, en clarifiant les démarches et les appels à projets, en améliorant la traçabilité de ces derniers et en accélérant la mise en réseau de tous ces éléments. Le Gouvernement aurait d'ailleurs intérêt à consacrer des moyens accrus pour être à la hauteur de ces défis.
Ce qui est vrai en général l'est encore plus outre-mer.
Tous les risques y sont présents : technologiques et industriels, cycloniques et sismiques, de submersion marine comme de glissements de terrain, d'inondations ou de tsunamis. Leur ampleur appelle un autre niveau de réponse publique. Les politiques de prévention, souvent sectorielles, devraient être mutualisées en raison de la multiplicité et de la concomitance des phénomènes. Une véritable culture du risque devrait être développée, en intégrant les associations de protection et de défense de l'environnement. En outre, l'insularité modifie sensiblement l'appréhension de la question des risques. Cette caractéristique est insuffisamment prise en compte et on peut par exemple regretter que l'érosion côtière ne soit pas comprise dans les actions du programme 181, car elle n'est pas reconnue comme étant un risque naturel.
Comme l'ont indiqué des architectes et des ingénieurs entendus en Martinique, les politiques d'aménagement du territoire et de construction dans les Antilles doivent particulièrement promouvoir le respect des normes parasismiques et intégrer les risques naturels. Les différents aléas surviennent dans des territoires relativement petits et densément peuplés, dans lesquels les espaces disponibles pour l'aménagement sont de plus en plus rares et où une grande partie de la population habite à proximité du littoral. Il faut donc veiller à localiser les habitations et les activités économiques en fonction des risques naturels.
Il faut aussi développer les connaissances sur les risques outre-mer. C'est le rôle des observatoires qui relèvent de l'IPGP, du BRGM et des directions interrégionales de Météo-France. Des acteurs ont insisté sur la nécessité de mettre en place à l'échelle régionale des espaces qui permettent de mutualiser la production et la diffusion des connaissances – tant il est vrai qu'elles sont indispensables pour mieux prévenir les risques.
Je souhaite aborder d'autres sujets qui concernent les outre-mer, et d'abord le stockage de l'eau. On sait que le séisme survenu à Haïti en 2010 n'était pas responsable de la plupart des décès enregistrés, mais bien la crise sanitaire qui a suivi en raison du manque d'eau potable. En Martinique, seulement 5 châteaux d'eau sur un total de 255 sont conformes aux normes parasismiques. On peut donc se poser des questions.
Une affaire très importante est également à régler, qui concerne le littoral : le transfert de la gestion de la zone des cinquante pas géométriques aux collectivités territoriales. Cette zone est dangereuse et les personnes qui y sont installées sont très exposées. Ce transfert n'est pas accompagné des moyens correspondants, alors qu'il faudra mettre en œuvre de très importants projets de recomposition urbaine et spatiale.
Pour conclure, les politiques de prévention devraient être mutualisées, leurs moyens renforcés et l'anticipation devrait être de mise. Le fonds vert et le fonds Barnier sont insuffisants pour permettre aux communes littorales d'engager les nécessaires politiques de protection des populations, très denses dans ces zones.