La démarche de transformation agricole des Outre-mer a été engagée par le Président de la République, en octobre 2019, à La Réunion. À cette occasion, il a exprimé sa volonté de faire évoluer l'agriculture ultramarine en accord avec deux objectifs principaux. Le premier objectif vise à impulser une modification des modes de production pour se rapprocher des attentes de nos concitoyens, à travers le développement de l'agroécologie et des circuits courts et la promotion des signes d'identification de la qualité et de l'origine. Le second objectif consiste à tendre, autant que possible, vers l'autonomie alimentaire des Outre-mer à l'horizon 2030.
Pour ce faire, plusieurs comités de transformation agricole se sont tenus en 2020 et 2021 dans chacun des territoires ultramarins. Ces rencontres visaient à identifier les problèmes empêchant l'atteinte des objectifs précités. Elles ont réuni l'ensemble des parties prenantes au développement de l'agriculture, c'est-à-dire l'État, les principales collectivités – en particulier celles en charge du développement du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – mais aussi l'ensemble des représentants du monde agricole.
En début d'année 2023, le ministre de l'agriculture et le ministre chargé des Outre-mer ont demandé aux préfets d'élaborer une feuille de route territoriale sur la souveraineté alimentaire à l'horizon 2030. Ce chantier de politique prioritaire du Gouvernement s'intitule « Accompagner le développement des territoires ultramarins ».
Le recensement agricole de 2020 met en évidence une évolution des systèmes agricoles ultramarins comparable à celle observée dans l'Hexagone. Celle-ci se caractérise par une diminution de la surface agricole utile depuis une trentaine d'années dans tous les territoires, à l'exception de la Guyane. Dans ce département, la surface agricole utile est passée d'environ 20 000 hectares en 1988 à près de 40 000 hectares en 2020.
D'après les données de l'Agence Bio, environ 11 % de la surface agricole utile de l'Hexagone est cultivée en agriculture biologique. Cette proportion est de 4 à 5 % en Martinique et en Guadeloupe, de 5 % à La Réunion, de 1 % à Mayotte et de 11 % en Guyane. Tandis que le développement de l'agriculture biologique est freiné en métropole en raison du coût de ces produits, le ralentissement est moins perceptible en Outre-mer.
La situation phytosanitaire en Outre-mer est fortement liée à l'histoire de ces territoires. Aux Antilles, en particulier, les populations ont été très marquées par la contamination au chlordécone. Pour rappel, cet insecticide a été utilisé entre 1971 et 1993 dans la lutte contre le charançon du bananier. Bien qu'il ne soit plus employé depuis 1993, il a imprégné durablement les sols. La persistance du chlordécone dans le sol, autrefois évaluée à plusieurs centaines d'années, se compterait plutôt en dizaines d'années, d'après des recherches récentes. Les avis divergent sur ce point.
Les effets néfastes du chlordécone n'ont été découverts qu'en 1999, lorsque les analyses des eaux ont été confiées à un laboratoire hexagonal. Le laboratoire local sollicité jusqu'alors analysait essentiellement les contaminations bactériennes, alors que le laboratoire hexagonal analysait aussi les résidus chimiques. Il a donc fallu attendre 1999 pour découvrir des traces de chlordécone dans l'eau et commencer à installer des filtres à charbon sur les points de captage d'eau potable. Ces événements ont marqué durablement les populations, d'autant que les producteurs de bananes – surtout en Martinique – sont principalement des békés, descendants d'esclavagistes. Ainsi, le ressenti des populations antillaises mêle le problème de la pollution environnementale à l'histoire de l'esclavage et de la colonisation. Ce fait explique le sentiment de profonde injustice éprouvé par les populations antillaises au sujet du chlordécone – un sentiment aggravé par l'annonce récente d'un non-lieu pour prescription dans le cadre d'une plainte pour pollution au chlordécone.
Le problème phytosanitaire en Outre-mer est bien plus important qu'en Hexagone, essentiellement à cause du climat tropical. Comme il n'y a pas de saison hivernale, les ravageurs sont présents toute l'année et détruisent les cultures. La principale difficulté, pour la canne à sucre, est la prolifération des plantes adventices. Celles-ci sont combattues à l'aide d'herbicides, qui sont pratiquement les seuls pesticides encore utilisés pour cette culture. Quant à la banane, elle est attaquée par des maladies fongiques telles que la cercosporiose et la fusariose. Les produits utilisés pour traiter les bananiers sont presque exclusivement des fongicides. Pour ce qui est des filières de diversification, les problèmes rencontrés sont plutôt liés à la prolifération des insectes.
La gestion de la sécurité sanitaire est identique en Outre-mer et dans l'Hexagone. Lors des discussions sur les pouvoirs dérogatoires des préfets, des demandes ont été portées par le monde agricole pour permettre aux préfets de décider quels seraient les produits phytosanitaires autorisés. Il a notamment été demandé que les préfets puissent autoriser des produits provenant de pays proches de l'environnement concerné, mais ces dérogations n'ont jamais été acceptées. Je me suis systématiquement opposé au fait d'accorder un pouvoir dérogatoire aux préfets, considérant que même si la problématique phytosanitaire est particulièrement saillante en Outre-mer, les populations ultramarines et hexagonales doivent bénéficier de la même protection. Le processus d'autorisation des produits phytosanitaires doit donc être identique, et c'est toujours le cas.
Le programme Écophyto comprend une déclinaison particulière pour l'Outre-mer. Le dispositif général, en particulier Dephy Ferme, s'applique à l'Outre-mer. Six cultures tropicales sont intégrées au dispositif Dephy Ferme et quatre projets d'expérimentation en Outre-mer sont prévus au titre du dispositif d'expérimentation, avec quinze sites expérimentaux et dix-huit systèmes de culture. Ces projets concernent, entre autres, la banane et la canne à sucre en Martinique, la canne à sucre et la mangue à La Réunion, les légumes en Guyane et à Mayotte et enfin la canne à sucre en Guadeloupe.
D'après le bilan du programme Écophyto dressé il y a près d'un an par la mission du Conseil général de l'agriculture et de l'environnement, sur les 561 millions d'euros d'autorisations d'engagement, 434 000 euros ont bénéficié à La Réunion, 171 000 euros à Mayotte, 4 millions d'euros à la Martinique, 1 million à la Guyane et 2 millions à la Guadeloupe. Le programme Écophyto fait chaque année l'objet de mesures particulières, avec des appels à projets spécifiques aux Outre-mer dotés de près de 1 million d'euros par an.
À titre informatif, voici quelques-uns des projets des Drom lauréats du programme Écophyto 2022 dans le cadre de l'action 27 :
proposition de moyens de lutte efficaces contre les adventices en culture maraîchère pour réduire l'utilisation des méthodes chimiques, portée par le centre technique interprofessionnel des fruits et légumes ;
développement d'un espace d'échange interrégional sur l'amélioration des pratiques agricoles, porté par le lycée agricole de Saint-Paul, le lycée de Coconi et l'association Terra forma ;
projet AttracTIS sur la lutte biologique contre la mouche orientale des fruits à La Réunion, porté par le Cirad ;
projet Phytocollect en Guyane, visant à pérenniser la collecte des emballages vides de produits phytosanitaires.
Le bilan de l'évolution de la quantité de substances actives utilisées outre-mer depuis 2010 fait apparaître une baisse significative en Guadeloupe, avec 60 000 kilos utilisés en 2022, contre 100 000 kilos en 2010. En Guyane, 12 000 kilos étaient utilisés en 2010. Après une réduction à 10 000 kilos en 2019, une hausse a été enregistrée en 2020. Elle résulte certainement d'un effet de stockage du glyphosate, devant les menaces de retrait de l'autorisation de cette substance. Il s'agit d'un phénomène général : les agriculteurs ont tendance à constituer des stocks lorsque les autorités envisagent le retrait d'un produit, en espérant qu'ils bénéficieront d'un délai pour utiliser ces réserves. En Martinique, le volume de substances actives utilisées est passé de 80 000 kilos en 2010 à 46 000 kilos en 2020. Enfin, ces quantités ont également diminué à La Réunion au cours des dernières années : elles s'élevaient en 2022 à 160 000 kilos, contre 200 000 kilos en 2010. Il faut savoir que La Réunion était l'un des premiers territoires utilisateurs de glyphosate, employé principalement dans la canne à sucre. Ce produit est pulvérisé sur le pourtour des champs, ou directement sur la canne avant les replantations. Malgré tout, les quantités de glyphosate utilisées sur l'île ont fortement diminué, passant de 55 000 tonnes en 2009 à 45 000 tonnes en 2022.
Par ailleurs, les réseaux d'innovation et de transfert agricole (Rita), actifs depuis 2010, contribuent à la promotion des méthodes alternatives. Ils associent l'ensemble des acteurs à même de transposer les techniques innovantes, de la recherche aux planteurs : les établissements d'enseignement agricole, les chambres d'agriculture, l'Association de coordination technique agricole (Acta), le Cirad et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).
Auparavant, les Rita étaient pilotés par l'Acta et le Cirad. Toutefois, une étude récente du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a mis en évidence un défaut d'évaluation de la réalité du transfert dans les Rita. Ces derniers ne sauraient être évalués sur le seul critère des financements obtenus. Il convient de prendre en compte le nombre de transferts opérés. C'est la raison pour laquelle les chambres d'agriculture ont été intégrées à la gouvernance des Rita.
Des crédits ont aussi été attribués dans le cadre du plan France relance et du plan France 2030. Le plan France relance prévoit ainsi une enveloppe de 10 millions d'euros dédiée aux Outre-mer pour l'achat d'agroéquipemements, en vue de réduire l'utilisation de produits phytosanitaires, et une seconde enveloppe de 10 millions d'euros destinée à l'acquisition d'équipements nécessaires à la transition agroécologique.
Enfin, le comité interministériel des Outre-mer (Ciom) du 18 juillet 2023 a défini deux mesures relatives au problème phytosanitaire. D'une part, la canne a été classée en culture mineure. D'autre part, une task force Outre-mer a été constituée. Elle a pour mission de trouver des alternatives au retrait des produits phytosanitaires Outre-mer, afin de ne pas laisser les agriculteurs sans solution. À cet effet, la task force établit un calendrier des retraits prévisibles et identifie, culture par culture et couple par couple – culture/maladie – ces solutions alternatives.