Intervention de Luc Multigner

Réunion du jeudi 5 octobre 2023 à 9h00
Commission d'enquête sur les causes de l'incapacité de la france à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l'exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

Luc Multigner, docteur en médecine, épidémiologiste et chercheur à l'Inserm :

Votre question est tout à fait pertinente, et j'y réfléchis personnellement depuis fort longtemps. Étant chercheur dans une structure publique, je me dois de contribuer au bien-être de mes concitoyens. Comme vous l'avez indiqué, le rôle du politique est essentiel.

Dans le cas du chlordécone, la déficience des services de l'État est claire. En 1980, la Commission des toxiques, qui dépendait du ministère en charge de l'agriculture, a émis un avis favorable à la réautorisation du chlordécone. Pourtant, dès cette époque, la dangerosité de cette substance – peut-être même les risques associés – était déjà bien connue. Le chlordécone avait d'ailleurs été classé cancérigène possible par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1977.

La Commission des toxiques a disparu. Aujourd'hui, les évaluations des produits sont confiées aux agences sanitaires, dont l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Nous ignorons les raisons ayant conduit à la réautorisation du chlordécone, car de nombreuses archives ont été supprimées. En tout état de cause, il ne fait aucun doute qu'une erreur a été commise. Nous continuons à en payer les conséquences.

De nos jours, le processus d'autorisation est différent. Je voudrais ici insister sur la distinction entre la notion de danger et la notion de risque. Le danger se rapporte à la capacité intrinsèque d'une substance, d'un composé ou d'un process à générer un effet néfaste. Le risque est la probabilité de survenance. Il dépend de la dangerosité et du degré d'exposition. Le scientifique a pour tâche d'identifier les dangers et d'évaluer les risques relatifs, tout risque étant apprécié à partir d'un référentiel. À cet effet, l'épidémiologiste s'appuie sur des données statistiques complexes. In fine, ces travaux devraient éclairer les choix politiques, mais il arrive très souvent que ce ne soit pas le cas.

Il suffit de consulter les médias pour percevoir que les avis sont partagés et contrastés au sein même la communauté scientifique. Il est donc difficile de fournir au politique une analyse catégorique sur la dangerosité ou le risque d'un produit. Le scientifique ne peut donner que les informations dont il dispose. C'est la noblesse de la politique que de prendre une décision à partir de ces avis hétérogènes.

À titre d'exemple, j'ai participé à l'expertise collective sur le glyphosate. Dans ce cadre, les chercheurs sollicités ont émis une opinion scientifique. La décision d'interdire ou non la substance en cause incombe au politique, qui assume son choix. En tant que citoyen, je ne m'opposerai jamais à cette démarche, car nous avons beaucoup d'incertitudes en matière de risques. Il s'agit surtout de savoir quel degré de risque nous considérons comme acceptable.

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