Comme M. Le Bellec, je dispose d'une expérience de vingt-cinq ans en Outre-mer, notamment dans les Antilles françaises, dont dix ans passés sur place. Les raisons qui m'ont amené à m'intéresser aux Antilles rejoignent la problématique évoquée par M. Le Bellec.
Dès 1997, je travaillais sur l'impact sanitaire de l'usage domestique ou professionnel des pesticides dans l'Hexagone, dans le cadre d'un programme européen incluant des pays tels que le Danemark. Nous avions alors obtenu des résultats peu nets. En tant qu'épidémiologiste, il m'est apparu pertinent de m'intéresser aux populations les plus fortement exposées pour tenter d'identifier les effets recherchés.
À cette époque, il était déjà établi qu'en zone tropicale ou subtropicale, les nuisances biologiques pour l'homme – maladies transmissibles notamment – ou pour les activités humaines comme l'agriculture et l'élevage se développent sous l'effet des processus climatiques liés à la géographie des populations. Dès le milieu des années 1990, nous savions que les cultures tropicales étaient fortement utilisatrices de pesticides. La culture de la banane, en particulier, était l'une des activités agricoles les plus consommatrices de pesticides en termes de kilos par hectare, tant en Amérique centrale que dans les Caraïbes. Les volumes utilisés dans ces zones étaient bien supérieurs à l'usage moyen en Europe, quelle que soit la culture considérée.
C'est ce constat qui nous a conduits à nous intéresser à l'impact sanitaire des pesticides dans ces territoires situés en zone tropicale, intertropicale et subtropicale. C'est ainsi que j'ai décidé de travailler sur les Antilles. En 1997, le chlordécone n'était connu que localement. Il a fallu attendre 1999 pour découvrir la présence de cette molécule dans les eaux de consommation. Dans un premier temps, mes recherches ne portaient donc pas directement sur ce produit.
Notre attention s'est portée sur les travailleurs de la banane, qui étaient exposés à une forte utilisation d'insecticides. Par contraste avec la France hexagonale, où l'utilisation de fongicides a toujours dominé l'emploi d'insecticides et d'herbicides, les territoires d'Outre-mer avaient recours à une proportion d'insecticides bien plus importante. À l'époque, ces territoires faisaient un usage intensif des organophosphorés, pesticides d'une toxicité aiguë.
En 1997, le chlordécone était interdit depuis quelques années. Je peux témoigner que ce dossier a mobilisé tous les acteurs régionaux et locaux et les a incités à réduire les intrants – notamment les produits phytosanitaires. J'ai également observé les actions du Cirad en Guadeloupe et Martinique pour trouver des solutions alternatives aux insecticides. Des efforts très importants ont donc été réalisés. Malgré tout, il reste difficile d'obtenir une baisse significative de l'usage de ces produits.
Permettez-moi de vous faire part d'une expérience personnelle. Je me suis installé avec ma famille en Guadeloupe en 2010. J'y ai loué une petite maison avec un jardin. J'ai décidé de faire pousser un potager. Mais cela s'est avéré impossible : mes plants de tomate ont été attaqués par des insectes divers et mon manguier a été assailli par des fourmis rouges. Les mauvaises herbes se développaient tellement vite qu'il me fallait prévoir un week-end entier pour les arracher, tous les quinze jours. J'ai fini par abandonner l'idée de cultiver mon potager. Je me suis contenté de récolter les quelques kilos de fruits donnés par mon bananier, et j'ai pris le parti d'acheter mes fruits et légumes au marché. Cette anecdote illustre bien les conditions auxquelles les producteurs d'Outre-mer sont confrontés. Il ne m'appartient pas de juger s'il est techniquement possible de trouver des alternatives viables.
S'agissant des impacts sanitaires, vous avez déjà auditionné mes collègues de l'Inserm fin juillet. Ils vous ont présenté les grandes lignes des expertises collectives conduites en 2013 et 2020, auxquelles j'ai participé. Leurs conclusions s'appliquent à tous les territoires, tant en France qu'au niveau international. Elles sont donc valables pour l'Outre-mer.
En ce qui concerne le chlordécone, monsieur Potier, vous nous aviez interrogés sur l'intérêt d'entreprendre des travaux de recherche sur les effets de produits obsolètes ou interdits sur la santé. Nous vous avons apporté plusieurs réponses à ce propos, en expliquant que nous disposions de données sur ce point. Comme vous le voyez, l'exemple du chlordécone montre bien que nous ne sommes jamais à l'abri d'une mauvaise surprise. C'est un cas d'espèce qui devrait être instructif à l'échelle nationale et internationale. En l'espèce, il est question d'une pollution de l'environnement qui n'est pas restreinte à un site industriel, ni même à une zone géographique ; je pense notamment au Rhône, dont un segment est contaminé par les polychlorobiphényles (PCB). De fait, le chlordécone touche l'ensemble d'un territoire, dans tous ses milieux naturels. Il a contaminé l'ensemble de la chaîne trophique et, par conséquent, les sources d'alimentation des populations.
Je n'entrerai pas dans les détails techniques. Je vous ai communiqué le lien d'une page de notre institut de recherche résumant les conclusions des travaux menés jusqu'à présent. Sachez que ces travaux se poursuivent.