La mission Immigration, asile et intégration se compose de deux programmes, le programme 303, Immigration et asile, et le programme 104, Intégration et accès à la nationalité française. Dans le projet de loi de finances pour 2024, les crédits de paiement cumulés de ces deux programmes augmentent de 7,5 %, pour atteindre 2,15 milliards d'euros.
Le programme 303 rassemble l'essentiel des crédits de la mission. Ses crédits de paiement augmentent de plus de 17 %, et ceux dédiés plus particulièrement à la lutte contre l'immigration irrégulière sont en hausse de plus de 53 %. Ils visent à financer notamment la poursuite du plan d'ouverture de places en centre de rétention administrative (CRA) pour atteindre progressivement 3 000 places en 2027, contre 1 490 en 2017.
Le Gouvernement a décidé de destiner la rétention administrative prioritairement aux étrangers en situation irrégulière causant des troubles à l'ordre public. Pour les autres, le Gouvernement invite à privilégier, dans un premier temps, l'assignation à résidence, avant de recourir, si nécessaire, à la rétention administrative. L'accent a été mis sur la fermeté à l'égard des étrangers délinquants. Compte tenu du profil de la majorité des retenus, des travaux de sécurisation des CRA ont été jugés nécessaires. Les crédits du programme 303 visent à les financer.
S'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés, le programme 303 financera la création de 1 500 places d'accueil supplémentaires, auxquelles s'ajoutera la pérennisation des 500 places d'accueil temporaire ouvertes en 2023.
La dotation prévue au titre de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) est en baisse de 7 % par rapport à la loi de finances pour 2023. Cette diminution résulte de la prise en compte de la réduction du délai de traitement des demandes d'asile, notamment grâce aux efforts consentis par l'OFPRA, que je tiens à féliciter.
Les autorisations d'engagement du programme connaissent une nette diminution, qu'explique pour l'essentiel le renouvellement pour trois ans, en 2023, des conventions pluriannuelles de l'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA).
Le programme 104, qui finance la politique d'accueil et d'intégration des étrangers primo-arrivants, a un poids moindre au sein de la mission. Ses crédits de paiement diminuent d'environ 20 %, en raison notamment de la suppression de l'action 15, dont les crédits ont été répartis parmi d'autres actions.
Les crédits de paiement de l'action 12, relative à l'intégration des étrangers primo-arrivants séjournant de façon légale sur notre territoire, augmentent de près de 29 %. Ils financeront notamment la poursuite du déploiement du programme d'accompagnement global et individualisé des réfugiés (Agir), qui vise à accompagner dans leur insertion les personnes ayant obtenu le statut de réfugié, grâce notamment à l'ouverture, dans chaque département, d'un guichet unique pour aider les réfugiés connaissant des difficultés particulières pour accéder à l'emploi et au logement.
J'en viens à la partie thématique de mon rapport. J'ai décidé de détailler quatre défis auxquels la France et l'Europe sont particulièrement confrontées en matière migratoire.
Le premier défi est l'accueil des déplacés ukrainiens, auquel j'ai consacré l'intégralité de mon rapport l'an dernier. Il me tient à cœur de faire le point à ce sujet. Les déplacés ukrainiens sont 95 000 sur notre sol. Ils s'y trouvent sous le régime de la protection temporaire. Ils bénéficient dans notre pays d'un accueil particulièrement efficace et complet, dont nous pouvons être très fiers.
Un an et demi après le déclenchement du conflit en Ukraine, il est utile de dresser quelques constats sur leur intégration. Alors même qu'ils ont le droit d'exercer une activité professionnelle, leur taux d'emploi reste assez faible. L'une des raisons en est sans doute que les formations linguistiques qui leur ont été proposées ont été globalement peu suivies. La barrière de la langue est encore un obstacle pour beaucoup d'entre eux.
Par ailleurs, le nombre d'élèves ukrainiens inscrits dans le système scolaire français est en baisse, ce qui peut s'expliquer par des retours en Ukraine ou par la relocalisation de certaines familles dans d'autres pays mais aussi par un refus de scolarisation par certains parents ou par le choix d'un enseignement à distance en langue ukrainienne.
Ces constats doivent nous alerter car ils peuvent traduire un défaut d'intégration, alors même que de plus en plus d'Ukrainiens expriment leur volonté de s'installer définitivement en France. Un think tank ukrainien évalue à près de 40 % la proportion de déplacés qui n'envisagent pas de rentrer en Ukraine à la fin de la guerre. Je formule dans mon avis plusieurs propositions pour relever le défi de leur installation durable en France.
Le deuxième défi est l'accélération des flux migratoires au Sud de l'Europe, notamment via la Méditerranée centrale. Les franchissements irréguliers de frontières par cette route ont augmenté de 96 % en 2023. Quel que soit le bord politique auquel nous appartenons, cette explosion du nombre d'arrivées doit nous alerter. Ces franchissements se répercuteront nécessairement, avec un décalage, sur la demande d'asile dans notre pays, qui est déjà en forte augmentation. Les nationalités de pays subsahariens de l'espace francophone sont largement représentées.
Attendons-nous à une forte augmentation de la population des demandeurs d'asile, mais aussi de celle des personnes ayant obtenu le statut de réfugié, laquelle était déjà de 550 000 à la fin de l'année 2022. Attendons-nous par ailleurs à une augmentation de la population en situation irrégulière, une forte proportion de déboutés du droit d'asile ne quittant pas le territoire français. Dans ce contexte de forts mouvements secondaires, je salue le déploiement de la « force aux frontières » dans les Alpes-Maritimes et dans les Hautes-Alpes décidé par la première ministre il y a quelques mois et je plaide pour le maintien de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de l'espace Schengen.
J'aborderai brièvement le troisième défi majeur qu'est le Pacte européen sur la migration et l'asile, qui vise à modifier certaines directives et certains règlements européens en vigueur et à les compléter par de nouveaux textes. Je pense en particulier au règlement relatif à la gestion de l'asile et de la migration qui vise à refondre le règlement Dublin III de 2013, ainsi qu'au texte prévoyant un nouveau mécanisme de solidarité en cas de situation d'urgence dans un État de premier accueil.
Après de longs mois d'enlisement, le Pacte européen sur la migration et l'asile est sur le point d'être adopté, malgré l'opposition de la Hongrie et de la Pologne, dont la position pourrait évoluer à l'issue des dernières élections. Tout l'enjeu sera d'assurer sa mise en œuvre opérationnelle, tant certaines de ses dispositions sont complexes.
Dernier défi et non des moindres, la demande de visas, qui a considérablement augmenté depuis les années 2010 : 4,3 millions de demandes ont été adressées aux postes consulaires français en 2019, contre 2,6 millions en 2012, soit une augmentation de 64 %. Paradoxalement, que la France soit l'un des pays accordant le plus de visas au monde est rarement mis à son crédit. Elle est au contraire l'objet de nombreux griefs, s'agissant notamment du nombre de refus, ainsi que du manque de rapidité et de transparence.
En raison de l'accroissement massif des demandes et des délivrances de visas, des réformes profondes du réseau consulaire ont été mises en œuvre. Le programme France-Visas est un système d'information intégré permettant de dématérialiser la procédure d'acquisition et d'instruction des demandes de visas et d'externaliser la constitution des dossiers, notamment dans les pays où la demande est la plus forte.
En dépit de ces réformes, la situation reste globalement difficile pour le réseau consulaire. L'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris ne devrait pas faciliter les choses. J'appelle donc à anticiper la poursuite de l'augmentation de la demande et à poursuivre les efforts de modernisation et d'externalisation de la procédure.
S'agissant de l'utilisation des visas comme levier vis-à-vis des pays peu coopératifs en matière migratoire délivrant peu de laissez-passer consulaires, la politique menée à l'égard des trois États du Maghreb n'a pas produit des résultats très satisfaisants. Elle a suscité un fort ressentiment dans la population des pays concernés, surtout dans les classes moyennes, souvent francophones et francophiles, et beaucoup d'incompréhension s'agissant de refus de visas parfois difficilement explicables ou justifiables, sans améliorer notablement la reprise par ces États de leurs ressortissants en situation irrégulière. Cette politique de quotas a donc été abandonnée au second semestre 2022.
Il serait erroné d'en conclure que les autorités françaises s'abstiennent de toute prise en compte de la bonne coopération consulaire avec les États tiers, laquelle demeure une condition nécessaire pour les exonérations de visas accordées par la France. Le niveau de coopération consulaire influence aussi par nature les conditions de délivrance des visas, ne serait-ce que parce que les postes consulaires n'ont pas la même évaluation du risque migratoire si les perspectives de retour sont faibles en cas d'immigration irrégulière.
Mes chers collègues, je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Immigration, asile et intégration. Il s'agit d'un budget équilibré, reposant sur une augmentation non négligeable des crédits de paiement et axé sur le financement de priorités claires : l'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés ; l'augmentation des capacités des CRA et leur sécurisation ; le renforcement de l'intégration des ressortissants étrangers séjournant de façon régulière dans notre pays.