La semaine dernière, vous avez justifié l'usage du 49.3 en affirmant que vous n'aviez pas réussi à trouver des « points d'accord ». Or, en séance, l'Assemblée nationale s'était bel et bien accordée pour rejeter vos petites rectifications financières pour 2023 et, aurait sans nul doute, comme en commission, voté contre celles prévues pour 2024. Dès lors, nous ne serions plus étonnés que vous n'en teniez aucun compte dans la version finale du texte. Les raisons pour lesquelles nous avons rejeté ces articles étant différentes, cela vous oblige d'autant plus, madame la Première ministre, à trouver un chemin favorable, menant au respect de notre institution, au pluralisme et à la réconciliation d'une société plus que jamais divisée. Vous ne devez jamais proposer celui de l'abandon, comme vous le faites aujourd'hui. Nous assistons pourtant à un simulacre de démocratie, mis en musique dans le théâtre d'un hémicycle aux rangs désertés, vidé de son peuple, vide de démocratie.
Alors non, madame la Première ministre, tout cela n'a rien de drôle, surtout quand on apprend que Sanofi, qui a perçu plus de 1,5 milliard d'euros de crédit d'impôt recherche en dix ans et n'est même pas parvenu à trouver à temps un vaccin contre le covid, va se séparer de son pôle de santé grand public, alors que ses dividendes sont en hausse pour la vingt-neuvième année consécutive. Quelle coïncidence que cet abandon, qui met en péril notre approvisionnement en médicaments essentiels, soit annoncé seulement deux jours après votre coup de force sur le budget de la sécurité sociale !
Ce budget n'est pas à la hauteur. Il ne permettra pas de sauver nos hôpitaux de l'asphyxie permanente dans laquelle ils se trouvent ni de garantir une vie décente et digne aux personnes en perte d'autonomie. Il n'est pas à la hauteur, alors que plus de 4,8 millions de foyers en situation de précarité énergétique vont devoir affronter à nouveau cet hiver l'explosion des factures d'énergie. Il ne permettra pas de garantir à chacun et à chacune l'accès à un logement salubre, à une alimentation de qualité et à des soins intégralement pris en charge.
Nous le répéterons sans relâche : gouverner c'est prévoir. Et cela est incompatible avec un logiciel productiviste qui ne mise que sur la réduction des dépenses publiques.
Nous devons tirer les leçons de la crise du coronavirus et interroger le modèle de développement dans lequel notre monde s'est engagé depuis des décennies. « La santé n'a pas de prix. » « […] notre État-providence ne constitue pas un coût ou des charges, mais un bien précieux ». Ces phrases ne sont pas les nôtres mais celles du Président de la République, qu'il a prononcées il y a deux ans et demi. Nous ne pouvons que constater que ses promesses n'ont pas été traduites dans ce budget.
Celui-ci ne sera jamais à la hauteur, dès lors que votre obsession pour un ou deux points de croissance passera systématiquement devant l'objectif de vivre dignement sur une planète respirable. En effet, investir massivement dans la prévention à tous les niveaux, dans le cadre d'une démarche de pleine santé, est l'unique moyen d'améliorer le bien-être et la santé de la population.
Nous avons toutes et tous porté le ruban d'Octobre rose. Mais quelles sont, dans ce budget, les mesures visant à lutter à la racine contre les facteurs environnementaux qui augmentent les risques de développer un cancer du sein ? Où est l'argent pour lutter efficacement contre la pollution de l'air, contre les pesticides et les polluants éternels, le tabac, la malbouffe, la sédentarité ? Aucune mesure n'est prévue pour améliorer la santé environnementale et donc favoriser la réduction de nombre de cas de cancers du sein. Avec ce énième 49.3, vous empêchez le Parlement de voter un budget ambitieux contre la prévalence des maladies chroniques. Pourtant, il vous revient d'avoir le courage d'aller chercher l'argent où il est, afin de transformer en profondeur notre société.
Alors non, madame la Première ministre, cela n'a rien de drôle. En raison de la nature, relative et friable, de votre majorité, vous avez davantage le devoir de dialoguer que le droit de mépriser la représentation nationale.
Plutôt que de voir ainsi éteinte la voix des Françaises et des Français, nous appelons à un véritable choc de démocratie, afin que notre institution puisse enfin proposer une réponse à la hauteur, face aux fractures sociales et à la crise que nous traversons.