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Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du mardi 24 octobre 2023 à 15h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Au printemps, en plein conflit sur les retraites, le Président de la République promettait qu'un « nouveau pacte de la vie au travail » serait construit dans les semaines à venir. Et tous les ministres le juraient : bientôt, grâce à ce « nouveau pacte », les revenus et les conditions de travail seraient améliorés, les carrières progresseraient, les richesses seraient mieux partagées, la reconversion serait aidée. Bref, vous alliez apporter le bonheur aux travailleurs.

Des semaines et des mois se sont écoulés. La rentrée est passée, arrivent l'automne et les budgets. Où en sont ces promesses, ces engagements ? Nous ne voyons absolument rien venir. En effet, que se passe-t-il ? Les Français aiment leur travail, ils en sont fiers – davantage même que nos voisins européens. Néanmoins, ils n'aiment pas la manière dont on leur fait faire leur travail et dont on l'organise, comment on le pressure. « Je suis toujours venu au boulot avec le sourire, me racontait un cariste. Mais, depuis une paire d'années, [en raison de] la pression qu'on nous met, [des] objectifs qu'on nous fixe, je ne tiens plus. Et les collègues non plus. »

Ce n'est pas qu'un ressenti : dans les classements internationaux, nos entreprises sont à la traîne, en bas du tableau. Les travailleurs s'y usent physiquement, psychiquement, plus vite qu'ailleurs, à cause, notamment, du temps resserré, contraint, étouffant. Cette situation conduit à des drames. En matière de nombre d'accidents mortels au travail, la France est en tête de peloton, avec la Lettonie et la Lituanie. We are the champions – nous sommes les champions !

Alors, pourquoi ce mal-travail, ce mal français ? C'est un choix. Depuis les années 1980, dans le cadre de la mondialisation, les dirigeants économiques et politiques ont fait le choix d'un low cost à la française. Depuis quarante ans, le travail n'est pas traité comme une richesse ou un investissement. Au contraire, il est maltraité, considéré comme un coût à réduire en délocalisant, en sous-traitant, en choisissant la précarité par le recours à l'intérim et aux CDD, enfin, en l'intensifiant toujours plus, afin de supprimer les temps morts.

Mais ce low cost, ce travail à bas coût, a un coût. Oui, ce mal-travail, ce mal au travail a un coût énorme, gigantesque. Il a, bien entendu, un coût humain, pour les travailleurs ; leur santé est altérée, leur vie est parfois brisée. Chaque année, on dénombre plus de 100 000 personnes déclarées inaptes. En effet, ces 100 000 salariés sortent du marché du travail blessés ou broyés. Ces 100 000 personnes licenciées font l'objet du plus important des plans sociaux, pourtant silencieux et invisible, jusque dans les statistiques. En effet, ces personnes inaptes sont les rebuts du mal-travail, poussière humaine qu'on jette sous le tapis. Les accidents du travail, les maladies professionnelles, mais aussi les arrêts de longue durée représentent un coût pour le budget de la sécurité sociale, pour les entreprises, désorganisées par l'absentéisme et le turnover, et, enfin, pour la société tout entière. En effet, des pans de notre économie, de nos services publics – de l'aide à domicile aux conducteurs de bus, des hôpitaux à l'industrie, de l'éducation à la construction – dysfonctionnent, peinent à recruter, sont en panne de compétences. On épuise les travailleurs, qui fuient.

Un ancien ministre, Xavier Bertrand, avait évalué le coût du mal-travail entre « 3 et 4 % du PIB ». Les économistes et les chercheurs l'estiment bien au-delà des 100 milliards d'euros. Que faites-vous contre ce mal-travail, contre ce mal au travail ? Rien. Vous ne luttez pas contre celui-ci, au contraire, vous le favorisez. Oui, vous aggravez ce mal-travail, vous l'encouragez.

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