Intervention de Emmanuel Taché de la Pagerie

Séance en hémicycle du jeudi 12 octobre 2023 à 9h00
Soutenir les femmes qui souffrent d'endométriose — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuel Taché de la Pagerie, rapporteur de la commission des affaires sociales :

…« la femme n'est victime d'aucune mystérieuse fatalité : il ne faut pas conclure que ses ovaires la condamnent à vivre éternellement à genoux. » Il est des sujets sur lesquels la représentation nationale peut et doit faire œuvre d'intérêt général en délaissant les combinaisons politiques pour répondre, dans un esprit de responsabilité, à des défis urgents et cruciaux. Indéniablement, la proposition de loi que je défends devant vous en est un.

Membre assidu de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, rapporteur de la proposition de loi créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, adoptée à l'unanimité en janvier dans cet hémicycle et en février au Sénat, je vous propose d'avancer concrètement sur le sujet de l'endométriose, notamment en créant une affection de longue durée (ALD) spécifique pour les femmes atteintes de cette maladie. Ce serait ainsi faire le choix d'un progrès social évident et manifester notre engagement collectif en faveur de nos concitoyennes. Avec cette proposition de loi, le groupe Rassemblement national s'inscrit par ailleurs dans l'esprit de la « Lettre aux Françaises » de Marine Le Pen du 7 mars 2022.

Selon la définition de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'endométriose est une maladie gynécologique fréquente qui concerne une femme sur dix. Elle est liée à la présence de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l'utérus. Différents organes peuvent être touchés. La maladie peut être asymptomatique, mais elle provoque des douleurs fortes dans certains cas, notamment au moment des règles, et parfois l'infertilité. Les chercheurs tentent de mieux connaître ses mécanismes et ses liens avec l'infertilité.

Tous les couples savent que l'endométriose correspond à la difficulté, voire à l'impossibilité, de concevoir un enfant. Cette maladie est la première cause d'infertilité en France et touche entre 20 % et 68 % des femmes. L'endométriose, c'est aussi la douleur pendant les rapports sexuels, l'irritabilité, la dépression, voire les pensées suicidaires. À cet égard, je veux alerter sur l'enjeu que constitue l'endométriose en matière de santé mentale des femmes, dans le prolongement du rapport d'information de la délégation aux droits des femmes du 11 juillet 2023 sur le sujet.

Vous l'aurez compris, par ce propos liminaire, j'invite l'ensemble des groupes à prendre de la hauteur et à agir concrètement. Au cours des travaux de la commission, certains ont tenté de travestir l'ambition de la proposition de loi et nié la réalité subie par plus de 1 million de femmes dans notre pays. Chers collègues, lorsqu'il s'agit de la santé des femmes, les controverses, les atermoiements et les attaques politiciennes ne sont pas dignes et n'ont pas lieu d'être. J'ai lu et entendu des propos qui, sur le fond et sur la forme, n'honorent pas notre assemblée. Aucun prétexte ne peut excuser l'inaction.

J'en viens au texte de la proposition de loi. L'article 1er vise à créer une affection de longue durée spécifique pour les femmes atteintes d'endométriose afin de prendre en considération les particularités de la maladie, les dispositifs de prise en charge actuels – l'ALD 30 et l'ALD 31 – étant trop restrictifs. En créant une ALD exonérante spécifique, l'article répond à la diversité des situations vécues et subies par les femmes atteintes d'endométriose. Alors que la proposition de résolution visant à reconnaître l'endométriose comme une affection de longue durée, adoptée à l'unanimité le 13 janvier 2022, n'a jamais été appliquée par le Gouvernement, alors que la stratégie nationale de lutte contre l'endométriose, mise en œuvre à 85 % selon le ministère de la santé et de la prévention, ne permet pas de répondre dans des délais raisonnables à la gravité de l'enjeu, il est temps que le législateur agisse.

Le cadre permettant à des femmes atteintes d'endométriose d'être reconnues en ALD 31 a montré son insuffisance : cette reconnaissance est aussi exceptionnelle qu'aléatoire. En 2022, seules 13 472 femmes en ont bénéficié, soit 0,6 % des femmes atteintes de cette maladie. L'ALD 31 est également source d'inégalités territoriales. D'après la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), en 2022, le taux d'acceptation des demandes en ALD 31 s'élevait à 31,86 % en Bretagne contre 79,40 % dans l'ancienne région Midi-Pyrénées.

Pour toutes ces raisons, la création d'une ALD spécifique pour les femmes atteintes d'endométriose est aujourd'hui cruciale. Concrètement, chers collègues, si vous adoptez la proposition de loi, les frais de santé liés à l'endométriose seront pris en charge à 100 % dans la limite du plafond de remboursement de l'assurance maladie. L'exonération du ticket modérateur concernera les consultations, les examens, les soins et les médicaments, ainsi que l'hospitalisation. Aucun frais de santé en rapport avec l'endométriose n'aura à être avancé. Les femmes concernées bénéficieront du tiers payant. La prise en charge des frais de transport liés aux soins sera également assurée.

Par ailleurs, il n'y aura plus de délai de carence en cas d'arrêts de travail successifs. D'après la circulaire du 26 mai 2015 relative aux modalités d'attribution des indemnités journalières dues au titre de la maladie, le premier arrêt de travail lié à une ALD ne peut donner lieu à une indemnisation qu'à compter du quatrième jour d'arrêt de travail. En revanche, en cas d'arrêts successifs liés à une même ALD, le délai de carence ne s'applique qu'une seule fois au cours d'une même période de trois ans. L'absence de délai de carence en cas d'arrêts de travail successifs est donc centrale pour les femmes atteintes d'endométriose. La Cnam compte en moyenne trente-trois jours d'arrêt de travail par an pour les femmes concernées par une ALD 31.

L'intérêt de la proposition de loi est d'inscrire l'endométriose dans la loi et d'obliger ainsi le Gouvernement à agir concrètement pour les 1,5 à 2,5 millions de femmes concernées dans notre pays. En cas d'adoption de l'article 1er , le Gouvernement sera tenu de prendre un décret reconnaissant l'endométriose comme affection de longue durée spécifique, conformément à l'article L. 160-14 du code de la sécurité sociale modifié par l'article 1er .

L'article 2 vise à permettre aux femmes diagnostiquées qui le souhaitent de bénéficier de la qualité de travailleur handicapé. Ainsi, cet article donne la possibilité d'aménager les horaires et le poste de travail, notamment grâce au télétravail lorsqu'il est possible. Une telle disposition favoriserait l'égalité et la visibilisation des femmes dans le monde professionnel.

Quant au diagnostic de l'endométriose, selon le rapport d'information du 27 juin 2023 relatif à la santé des femmes au travail de la délégation aux droits des femmes du Sénat, ce diagnostic pourrait s'appuyer sur le test salivaire de l'entreprise lyonnaise Ziwig, qui a fait l'objet d'une étude publiée le 9 juin 2023 dans The New England Journal of Medicine. Ce test identifie correctement 96 % des cas d'endométriose et présente moins de 5 % de faux négatifs. Alors que l'Inserm évalue le délai d'errance diagnostique à dix ans, la généralisation de ce test semble s'imposer.

Les travaux de la commission ont démontré la nécessité de la proposition de loi. Le groupe LIOT a reconnu que « l'article 1er créerait une exonération spécifique et totale pour l'endométriose en particulier, en dehors des dispositifs existants ». Les Républicains, et je les en remercie, ont déclaré « souscri[re] totalement à l'article 1er , qui crée un statut d'ALD, avec une prise en charge totale par l'assurance maladie ». Les Écologistes ont admis que « c'est bien parce que l'État ne fait pas assez en matière de santé des femmes que nous sommes amenés à étudier des textes du groupe Rassemblement national ». Le MODEM a soulevé la question de savoir si « notre débat ne devrait […] pas dépasser ces querelles politiques pour être utile aux femmes », soulignant que « poser la question de l'endométriose dans les entreprises participe à lever un tabou ». Enfin, le groupe Renaissance considère « qu'il faut s'inscrire dans la durée, avec l'amélioration des diagnostics et surtout de la prise en charge chirurgicale, pouvant elle-même être source de complications […] qui justifient l'ALD ». Tel est le sens de la proposition de loi, chers collègues. Je partage vos différents constats et je vous invite à soutenir le texte.

Certes, il arrive que l'endométriose passe inaperçue, ou presque, mais lorsque la douleur vous cloue au lit, lorsque vous êtes dans l'incapacité d'aller au lycée ou à l'université, de travailler, de gérer le quotidien, d'accueillir vos amis ou de mener un projet parental, elle est un poison dont la réalité est largement minimisée ou niée par la méconnaissance, l'ignorance ou les poncifs paternalistes obsolètes.

Chers collègues, faites preuve de liberté individuelle et d'objectivité. Renoncez, le temps de l'examen de ce texte, aux postures politiciennes afin que nous prenions, tous ensemble, notre part dans une avancée majeure pour les femmes. Ce matin, une seule option s'offre à nous : faire de ce jeudi 12 octobre 2023 le jour où les espoirs de millions de nos concitoyennes se seront réalisés. J'en appelle à la responsabilité de chacun, à votre capacité d'analyse. D'avance, merci pour elles !

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