Je suis très heureuse d'être devant vous ce soir pour l'examen pour avis des crédits de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances. En complément des moyens de la sécurité sociale, cette mission se trouve au cœur des politiques sociales de l'État, lesquelles concourent à réduire les inégalités, à protéger les personnes vulnérables et à soutenir les familles et nos concitoyens les plus fragiles. Ces moyens ont un impact direct sur le quotidien de millions de Français et font donc l'objet d'une attention particulière de la part des parlementaires.
Ce budget vise à relever un double défi démographique. Le premier est lié au vieillissement : en 2030, un Français sur trois aura plus de 60 ans et, pour la première fois de l'histoire de notre pays, les personnes âgées de plus de 65 ans seront plus nombreuses que celles de moins de 15 ans ; notre pays doit se préparer dès maintenant à ce véritable choc démographique. Une action résolue est nécessaire pour permettre aux Français de vieillir chez eux, conformément à leurs souhaits, de bénéficier des services médicaux adéquats et d'une haute qualité d'accueil lorsqu'ils vivent en Ehpad – je pense notamment aux personnes atteintes de maladies neurodégénératives – et de choisir un régime intermédiaire entre le domicile et l'Ehpad – habitat intermédiaire ou résidences pour les seniors, par exemple. Le second a trait à la baisse de la natalité, qui est à mes yeux la question majeure de mon ministère. Notre objectif est de résorber l'écart entre le désir d'enfant exprimé par nos concitoyens et sa réalisation concrète, en retrouvant une politique familiale universelle au service de toutes les familles.
Une nouvelle impulsion sera donnée à la lutte contre la pauvreté en 2024. Avec la Première ministre, nous avons annoncé l'entrée en vigueur du pacte des solidarités, qui prend la suite de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.
Les moyens de la mission progresseront de 4,65 % par rapport à l'année dernière, soit 1,4 milliard d'euros supplémentaires, les crédits atteignant un total de 30,8 milliards d'euros.
Le programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes participe activement à notre modèle social, qui est l'un des plus protecteurs au monde et qui évite chaque année à 5 millions de Français de tomber dans la pauvreté. Pour que les Français les plus modestes puissent faire face à l'inflation, les budgets de la prime d'activité et du RSA seront revalorisés de 4,6 %. Depuis trois ans, les crédits de l'État en faveur de l'aide alimentaire ont plus que doublé pour atteindre 156 millions d'euros en 2023. Je le redis, nous ne laisserons tomber aucune association et vous pouvez m'alerter en cas de problème sur ce sujet dans vos territoires. La lutte contre la précarité dépasse largement le seul cadre de l'aide alimentaire, et l'État n'est pas le seul à devoir intervenir. C'est tout l'objet de l'appel à la solidarité que j'ai lancé et qui a donné lieu à une vague de dons de grandes entreprises françaises, qui font l'image de notre pays à l'international, qui contribuent fiscalement à notre modèle social et qui créent de l'emploi.
Notre modèle de solidarité nécessite que chacun – État, collectivités locales, associations et entreprises – prenne sa place et sa part. Cette démarche partenariale guide mon action et inspire la démarche du pacte des solidarités. Pour protéger nos concitoyens les plus précaires et combattre les inégalités de destin dès la naissance, ce pacte nous permet d'intervenir sur l'ensemble du quotidien des personnes, en premier lieu les enfants. Vous le voyez d'ailleurs dans vos circonscriptions, la lutte contre la pauvreté est loin de se résumer à une question de prestations sociales : je crois surtout à l'accompagnement de chacun vers son insertion sociale et professionnelle. C'est pourquoi nous souhaitons prévenir la pauvreté, pour sortir de sa reproduction et en finir avec les sept générations nécessaires à l'ascension sociale, en agissant dès l'enfance, et assurer une sortie durable de la pauvreté, en favorisant le retour à l'emploi : nous mobilisons tous les leviers à notre disposition, en conciliant – nouveauté du pacte – transition écologique et justice sociale. L'année prochaine, en plus des actions des autres ministères comme la hausse des aides à la mobilité pour les plus modestes ou le plan d'urgence pour les enfants sans domicile, ce sont 266 millions d'euros du programme 304 qui seront consacrés à des mesures du pacte des solidarités.
Les plus importantes d'entre elles sont le pass colo, dont j'ai annoncé la création cet été et qui doit faciliter le départ en vacances des enfants des familles modestes et moyennes ; le soutien de l'État à la cantine à 1 euro maximum sera renforcé par l'augmentation de l'appui aux communes qui respectent les engagements de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim – nous le savons trop bien, le repas à la cantine constitue parfois le seul repas équilibré voire le seul repas tout court de certains enfants : plus de 2 000 communes sont déjà intégrées dans le programme, mais de très nombreuses autres pourraient y avoir accès sans engager le moindre euro ; le fonds d'innovation pour la petite enfance, qui vise à faciliter, en lien avec la démarche des 1 000 premiers jours, l'accès des familles les plus vulnérables aux modes de garde sera maintenu car les inégalités se jouent dès le premier âge de la vie ; la hausse des crédits dédiés à la lutte contre la précarité menstruelle contribuera à briser ce tabou que nous parvenons progressivement à rompre en aidant plus d'un million de femmes chaque année ; enfin, les contractualisations avec les départements et les métropoles seront renforcées à hauteur de 260 millions d'euros pour les départements, avec 90 millions pour le programme 304, et 12,5 millions pour les métropoles, parce que nous nous inscrivons dans une démarche partenariale avec les collectivités locales : nous financerons ainsi des actions de mobilité solidaire et de lutte contre la précarité énergétique à destination des plus modestes, ainsi que l'accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Le ministère des solidarités et des familles est également chargé de la mise en œuvre d'un des chantiers prioritaires de transformation du quinquennat, à savoir la solidarité à la source. Expérimentée dès l'année prochaine dans certaines caisses et déployée à grande échelle à partir du premier trimestre de 2025, elle vise à lutter contre le non-recours aux droits et contre la fraude et les indus, en simplifiant les démarches de demande et de renouvellement des prestations de solidarité. Nous avons franchi cet été une première étape essentielle : comme il avait été prévu depuis janvier après les travaux engagés par les services de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) avec l'ensemble des parties prenantes, les feuilles de paie font désormais apparaître le montant net social : cette nouvelle ligne indique pour la première fois aux allocataires le montant exact qu'ils doivent déclarer pour bénéficier du RSA ou de la prime d'activité – cela peut paraître fou, mais jusqu'à présent, ils reportaient individuellement ce montant avec le risque d'erreur et d'indus afférent. Il s'agit d'une étape de simplification majeure et de renforcement des droits de nos concitoyens les plus précaires. Nous en avons conscience, la lutte contre le non-recours nécessite d'aller vers les personnes qui ne se manifestent pas, qui restent trop éloignées des administrations et qui risquent de tomber durablement dans la pauvreté. Dans le cadre du pacte des solidarités, nous mettrons en œuvre un plan d'accès complet aux droits, reposant sur un renforcement de la domiciliation pour les associations et les centres communaux d'action sociale et sur le déploiement de trente-neuf « Territoires zéro non-recours », dont nous avons dévoilé la liste en juillet : nous dépassons largement l'expérience initialement prévue dans dix territoires, preuve du succès de votre initiative, madame la rapporteure pour avis.
S'agissant du handicap et de la dépendance, la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), que l'Assemblée a tant voulue, est entrée en vigueur depuis le 1er octobre et se traduira sur les comptes bancaires des bénéficiaires dès le début du mois de novembre. Il s'agit d'une mesure de dignité et d'émancipation pour les couples. L'État s'engage fortement puisqu'il dépensera 500 millions d'euros pour réaliser la déconjugalisation de l'AAH, qui n'est donc pas qu'une mesure de simplification. L'allocation de 120 000 bénéficiaires augmentera en moyenne de 350 euros par mois, ce qui changera leur vie.
La sécurité des enfants, des personnes âgées et de celles en situation de handicap est une priorité absolue de notre action. Elle nécessite un engagement suffisant des professionnels, ceux-ci devant être suffisamment nombreux et bien formés, mais également mieux reconnus, valorisés et rémunérés. En outre, il y a lieu de développer une véritable culture du contrôle, qui n'existe pas dans notre pays et qui ne sera jamais une culture de la défiance ou du soupçon vis-à-vis des professionnels qui s'engagent chaque jour pour le bien de nos enfants, de personnes porteuses de handicap ou de personnes âgées dépendantes. Nous renforçons les crédits de 2,5 millions d'euros pour obtenir enfin un système d'information national de signalement des maltraitances. Pendant cinq mois, nous avons tenu des états généraux des maltraitances, dont l'une des principales recommandations était la construction d'un tel système d'information national.
Enfin, les crédits du programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales visent à répondre à la question de la vocation des professionnels engagés dans le champ social et médico-social : nous souhaitons susciter l'envie d'exercer ces métiers, ce qui passe par leur revalorisation. La mobilisation doit être générale pour renforcer leur attractivité : nous avons commencé à le faire et nous poursuivrons cette tâche en 2024, notamment dans les domaines de l'autonomie et de la petite enfance. Nous consacrons, dans le programme 124, plus de 3 millions d'euros à un plan de communication destiné à valoriser ces professions, comme cela a déjà été fait dans d'autres secteurs comme celui des armées. Les métiers du social, du sanitaire et du médico-social seront valorisés : il ne s'agit pas d'une mesure gadget mais d'une demande majeure des aides à domicile, des auxiliaires de puériculture et des professionnelles des métiers du soin d'être reconnues pour ce qu'elles font.
Il convient de s'assurer que les agents publics qui mettent en œuvre ces politiques travaillent dans des conditions à la hauteur de leur engagement et de l'importance de leur tâche. Pour la quatrième année consécutive, le schéma d'emplois du ministère connaît une hausse, de 41 recrutements nets supplémentaires, que nous avons annoncée avec Aurélien Rousseau à l'ensemble des organisations syndicales : les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités et les directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités seront renforcées pour étoffer les missions d'inspection et de contrôle.
Un drame s'est produit cet été à Wintzenheim où onze personnes, dont dix en situation de handicap, sont décédées dans l'incendie d'un gîte. Nous devons changer la donne dans ce domaine ; nous avons immédiatement lancé une inspection administrative avec Fadila Khattabi, dont les conclusions ont été rendues publiques ; l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a également conduit une mission visant à établir des référentiels nationaux dans ce secteur. Des personnels sont nécessaires pour que les contrôles puissent être déployés partout ; j'ai tenu à ce que toutes les agences régionales de santé (ARS) procèdent à ces recrutements pour assurer le contrôle des établissements et des services à destination des personnes les plus vulnérables de notre pays, à savoir les personnes en situation de handicap. Ces nouveaux agents épauleront les 120 professionnels qui réalisent en ce moment même le contrôle de l'intégralité des Ehpad en France, cette grande opération durant au total deux ans.