Après l'examen des crédits de la mission Outre-mer, mon rapport pour avis s'intéressera à la thématique des aides fiscales aux investissements productifs dans les Outre-mer.
La mission Outre-mer bénéficie dans le projet de loi de finances pour 2024 d'une hausse des crédits qui reflète les besoins de financement de ces territoires et les engagements pris dans le cadre du comité interministériel des Outre-mer (Ciom) du 18 juillet 2023. Cette hausse constitue en réalité – j'y insiste – un rattrapage, destiné à pallier le retard de développement de nos territoires.
Les autorisations d'engagement (AE) passent de 2,72 à 2,91 milliards d'euros, soit une progression de plus de 185 millions, tandis que les crédits de paiement (CP) sont portés de 2,54 à 2,66 milliards, ce qui constitue une hausse de près de 115 millions. La direction générale des Outre-mer (DGOM) indique par ailleurs que les crédits de la mission ne représentent qu'une partie des financements de l'État en direction des Outre-mer, estimés, tous ministères confondus, à près de 22 milliards.
La structure de la mission demeure, quant à elle, inchangée : elle se compose du programme 123, Conditions de vie outre-mer, structuré en neuf actions, et du programme 138, Emploi Outre-mer, composé de quatre actions.
Au total, le budget du programme 123 est en progression : les autorisations d'engagement passent de 954 millions à 1,23 milliard, et les crédits de paiement de 784 à 790 millions, soit une hausse de 1 %.
Les évolutions de ces crédits reflètent trois priorités : le logement social – action 01 –, l'accompagnement des collectivités territoriales – actions 02, 06 et 08 – et la continuité territoriale – action 03.
Je ne peux que regretter le manque d'optimisation de l'action 07, Insertion économique et coopération régionales. Des négociations auraient dû être menées pour permettre aux jeunes ultramarins de bénéficier de contrats d'alternance transfrontaliers dans leurs bassins régionaux, conformément à la loi votée dans notre hémicycle il y a plus d'un an. Dans le contexte de dépression démographique en Martinique et en Guadeloupe, ce retard de l'action gouvernementale pénalise de façon significative l'attractivité de nos territoires pour notre jeunesse.
Permettez-moi par ailleurs de regretter que le Gouvernement n'ait pas estimé opportun de créer au sein du programme 123 une action 10 consacrée à l'aide exceptionnelle aux familles afin de faire face au coût de la vie et à l'inflation. Nos populations attendent de ce programme des mesures qui les touchent au premier plan. Avant de se loger, il faut pouvoir boire une eau potable et s'alimenter dignement. Je pense particulièrement à nos compatriotes de Mayotte et de la Guadeloupe, actuellement privés d'eau.
Les crédits du programme 138, Emploi Outre-mer, augmentent également : ils passent de 1,765 à 1,881 milliard en autorisations d'engagement. Cette évolution traduit deux grandes priorités : les dispositifs d'exonération de cotisations sociales – action 01 – dits « Lodeom » bénéficient d'une hausse de leurs crédits afin de renforcer la compétitivité des entreprises ultramarines ; la seconde priorité est l'amélioration de la qualification professionnelle dans les Outre-mer – c'est l'action 02.
Vous connaissez mon engagement en faveur de l'insertion de la jeunesse, notamment celle qui est confrontée à des difficultés d'accès à la formation et à l'emploi. À cette fin, le service militaire adapté (SMA) a fait ses preuves dans nos territoires.
Si son budget est en hausse de 11 millions en autorisations d'engagement et de 6 millions en crédits de paiement, les responsables des régiments ont fait état de difficultés de recrutement lors des auditions. C'est une source de réserves.
Je regrette par ailleurs l'absence de visibilité quant aux montants alloués à la construction des premières crèches annoncées au sein des régiments pour permettre notamment aux jeunes mères d'intégrer le SMA.
En outre, seuls trois contrats d'alternance ont été budgétés pour 2024, ce qui reste très faible au regard des besoins d'accompagnement des jeunes ultramarins.
La hausse relative de ces deux programmes se fait ainsi sur fond de partis pris et d'actions prioritaires, là où nos territoires aspirent depuis des décennies au déploiement d'une feuille de route globale pour enrayer la pauvreté, les inégalités et les retards structurels.
Conscient des contraintes qui pèsent sur le budget, mais au fait des besoins des populations ultramarines, j'émets un avis de sagesse sur ces crédits. En priver les populations équivaudrait en effet à un recul, s'agissant de simples mesures de rattrapage.
J'en viens aux dispositifs d'aide fiscale aux investissements productifs dans les Outre-mer.
Dans un contexte d'accumulation de crises – économique, sociale, environnementale, sanitaire et même sociétale –, les économies ultramarines sont particulièrement fragilisées. Les tensions inflationnistes pèsent lourdement sur le tissu économique des territoires ultramarins, accentuant le renchérissement du coût de la vie dans des économies déjà affectées par des difficultés structurelles notoires : exiguïté des marchés, faiblesse des débouchés, contraintes liées à l'insularité – à l'exception de la Guyane –, rareté du foncier, problèmes d'accès aux financements bancaires.
Dans ce cadre, les conditions d'investissement économique dans les territoires d'Outre-mer sont dégradées par rapport à celles qui prévalent dans l'Hexagone, alors même que les surcoûts de production, les risques climatiques et sécuritaires accentués ou encore les difficultés d'accès aux fonds propres et aux crédits bancaires grèvent la compétitivité des entreprises et rendent les investissements moins attractifs.
Les incitations fiscales à l'investissement pour les territoires ultramarins ont été l'une des réponses à cette situation. Promouvoir l'investissement en faveur du développement économique des entreprises situées en Outre-mer apparaît en effet indispensable pour assurer leur avenir, notamment en matière de production et de création d'emplois.
Mon rapport, dans le cadre duquel ont été auditionnés pas moins de soixante-quinze acteurs, s'intéresse en particulier aux dispositifs de réduction d'impôt et de crédits d'impôt applicables en Outre-mer et prévus respectivement par les articles 199 undecies B et 244 quater W du code général des impôts (CGI).
Le fondement de ces dispositifs est acquis et pleinement justifié : leur existence ne doit pas être remise en cause. Cependant, afin de répondre aux critiques alimentées par la méconnaissance d'instruments techniques et complexes, il convient d'en mener une évaluation claire pour limiter les détournements et améliorer l'efficience de ces outils fiscaux, qui doivent entraîner des retombées économiques effectives et positives au niveau local.
Conformément au cadrage du Ciom et aux conclusions du rapport d'évaluation de l'Inspection générale des finances, les dispositifs d'aide fiscale à l'investissement productif devraient faire l'objet d'évolutions, portées par le ministère des Outre-mer dans le projet de loi de finances pour 2024, en vue de mettre fin à certaines pratiques frauduleuses et de renforcer le soutien aux investissements concourant à la transition écologique.
Je m'interroge toutefois sur ce calendrier, étant précisé que les acteurs interrogés ne détenaient que peu de données chiffrées sur l'état des fraudes, sur la domiciliation des sociétés ou sur leur chiffre d'affaires et reconnaissaient ne pas tenir à jour un fichier exhaustif permettant un contrôle effectif et sincère du dispositif et de l'usage qui en est fait par ses bénéficiaires.
Dans mon avis, je formule dix-sept propositions, qui visent à clarifier et à simplifier les modalités d'instruction des dossiers relatifs aux dispositifs d'aide à l'investissement Outre-mer ; à tenir compte des réalités économiques des territoires ultramarins ; à réduire les délais d'instruction et de traitement des dossiers, qui souffrent de disparités selon les territoires ; à renforcer le contrôle fiscal et le suivi des opérations de plein droit, ce qui correspond à une demande des entreprises ; à réviser le périmètre des aides en faveur du verdissement de l'économie et à soutenir une industrie dite 4.0 plus adaptée aux spécificités des économies ultramarines.
Les dispositifs d'aide fiscale aux investissements productifs sont indispensables aux économies ultramarines, mais, étant perfectibles, ils méritent d'être évalués, améliorés et pérennisés dans le cadre d'une démarche de verdissement de l'économie et de prise en compte de la taille des marchés insulaires. Y porter atteinte reviendrait à nier les spécificités et contraintes de nos territoires.
Je vous invite à visiter et à parcourir avec nous l'ensemble de nos territoires ultramarins au cours de la législature, afin de comprendre que la France doit être au rendez-vous de l'espoir : pour l'eau, pour le pouvoir d'achat, pour les biens de consommation durables, le logement, le travail – comme ce doit être le cas dans l'ensemble de nos régions et territoires.