Intervention de Éric Coquerel

Réunion du mardi 10 octobre 2023 à 18h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, président :

Le mercredi 27 septembre dernier, jour de la présentation en Conseil des ministres du projet de loi de finances pour 2024, nous avons auditionné, d'une part, le président Moscovici sur l'avis rendu par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), d'autre part, les membres du Gouvernement Bruno Le Maire et Thomas Cazenave. Aujourd'hui, nous entamons l'examen de la première partie du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

Cette année, 3 024 amendements ont été déposés en vue de l'examen du texte en commission, contre 1 483 l'an dernier. Le nombre d'articles du projet de loi– 35 avec l'article liminaire – est supérieur ; néanmoins, la tendance à l'inflation du nombre d'amendements est réelle. Une fois soustraits les amendements irrecevables et ceux retirés, nous allons devoir examiner quelque 2 400 amendements, contre 1 172 l'an dernier.

Le taux d'irrecevabilité au titre de la méconnaissance de l'article 40 de la Constitution ou des exigences organiques s'établit à 11,25 % : il est significativement inférieur à celui de la précédente législature, qui oscillait entre 21 % et 24 %, et plus bas que celui de l'année dernière, de 16 %.

Sans modifier la logique du contrôle de la recevabilité financière, j'ai souhaité favoriser autant que possible l'initiative parlementaire, de quelque groupe qu'elle vienne. Ainsi, pour certains amendements visant à instituer un nouveau prélèvement sur recettes, je n'ai pas considéré que la qualification de « dotation budgétaire » prouvait que la mesure était budgétaire et non fiscale. Au sens strict, une dotation budgétaire crée une charge publique, rendant l'amendement irrecevable. J'ai jugé que certaines créations de redevance étaient en fait des créations d'impôt, nonobstant leur qualification. J'ai estimé qu'il était possible de corriger un gage insuffisant : il m'a semblé plus satisfaisant de corriger les imperfections du gage plutôt que de déclarer l'amendement irrecevable.

De façon générale, la nouvelle architecture de la première partie du projet de loi de finances, en vigueur depuis l'an dernier, a été globalement comprise ; les amendements fiscaux qui auraient auparavant dû être déposés en seconde partie l'ont bien été en première partie.

Toutefois, quelques erreurs de lecture de la réforme organique persistent depuis l'an dernier, près de 100 amendements méconnaissant les nouvelles exigences.

La première erreur a consisté à déposer en première partie des amendements tendant à demander des rapports au Gouvernement, alors que, s'agissant de dispositions relatives à l'information du Parlement sur les finances publiques, leur place demeure en seconde partie, même lorsque le rapport concerne des mesures fiscales. Peuvent seules trouver leur place en première partie des demandes de rapports déposées aux articles prévoyant l'introduction de dispositions fiscales nouvelles. Pas moins de 49 amendements étaient concernés, mais leurs auteurs pourront facilement rectifier cette erreur en vue de l'examen en séance.

Ont également été déposés incorrectement en première partie des amendements relatifs aux dispositifs de péréquation horizontale entre collectivités, de répartition des concours de l'État, ou encore de répartition de recettes fiscales entre collectivités, qui ne modifiaient pas les caractéristiques d'assiette et de taux de la fiscalité concernée. Selon la nouvelle rédaction de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), de telles dispositions ont leur place en seconde partie. C'est le cas d'amendements relatifs au partage entre les collectivités des ressources issues de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (Ifer) ou au partage des fractions de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance (TSCA) affectées aux collectivités et aux services départementaux d'incendie et de secours (Sdis). Au total, une trentaine d'amendements étaient concernés ; pour eux aussi, il sera aisé de rectifier l'erreur.

Toujours par méconnaissance des récentes réformes organiques, des amendements visant à instituer ou à modifier des dispositifs d'exonération de cotisations sociales ou d'impositions affectées à la sécurité sociale se sont heurtés à l'interdiction posée par la réforme de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS) : de telles opérations ne sont plus possibles en dehors des LFSS, si la durée en est supérieure à trois ans. La plupart de ces amendements méconnaissaient la règle ; les dispositifs n'étaient pas bornés dans le temps. Par conséquent, des amendements visant à réformer le régime d'imposition des plus-values immobilières ont été déclarés irrecevables, car ils tendaient également à modifier les modalités d'assujettissement de ces plus-values aux prélèvements sociaux. Au total, 25 amendements ont méconnu cette exigence. Un bornage temporel assurera leur recevabilité ; ils pourront également être déposés en vue de l'examen du PLFSS, où est leur place naturelle.

La recevabilité des amendements dépend aussi d'un aspect de la réforme organique du 28 décembre 2021, qui ne produira pourtant ses pleins effets que dans le projet de loi de finances pour 2025. Pour maintenir après 2024 l'affectation d'une imposition, il faut que l'entité affectataire soit dotée de la personnalité morale et que les impositions affectées soient en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. Dès lors, un amendement qui vise à instaurer une nouvelle affectation sans respecter cette exigence pose un problème de recevabilité, s'il ne limite pas l'affectation à la seule année 2024. Ce fut le cas de 5 amendements seulement.

De façon plus générale, j'ai dû déclarer irrecevables 124 amendements visant à réduire les recettes d'une personne publique, parce qu'ils n'étaient pas gagés. Dans certains cas, les auteurs proposent un dispositif à perte nulle, mais le circuit de recouvrement et de partage de certaines taxes entraîne des pertes de recettes pour la personne publique : il faut prévoir leur compensation. S'ils avaient été correctement gagés, ces amendements auraient trouvé leur place en première partie du PLF. Je souligne que pour augmenter le plafond d'affectation d'une taxe, il faut prévoir un gage au profit de l'État.

En matière de gages, un point doit être signalé s'agissant de la réforme des redevances des agences de l'eau, prévue à l'article 16. Celle-ci présentant les caractéristiques d'une remise à plat complète d'un régime fiscal, les amendements tendant à atténuer la nouvelle imposition proposée devaient comporter un gage, car il n'était la plupart du temps pas possible de les comparer à l'état du droit actuel. Il s'agit là d'un cas limite, lorsque le droit proposé n'est pas une simple adaptation du droit existant. Ces amendements pourront être redéposés en vue de l'examen en séance publique, s'ils sont assortis d'un gage. À l'inverse, il était possible de refuser les évolutions fiscales proposées sans gager l'amendement, dès lors que celui-ci ne visait pas à réduire le niveau actuel des recettes fiscales. Je pense aux évolutions de plusieurs leviers de fiscalité écologique, comme la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergies renouvelables dans les transports (Tiruert) à l'article 13, et les diverses mesures fiscales applicables aux véhicules à l'article 14.

Par ailleurs, certains amendements ont été déposés à tort en première partie ; ils auront toute leur place en seconde partie. Outre les amendements relatifs aux collectivités territoriales, c'est le cas de ceux qui visent à conditionner les aides publiques ou qui concernent les garanties de l'État, et de ceux visant à modifier des documents annexés, comme le budget vert. Au total, 86 amendements pourraient ainsi être redéposés en seconde partie du PLF.

En revanche, les amendements dépourvus de tout lien avec les lois de finances, dits cavaliers budgétaires, n'auront pas de seconde chance. Parmi les 52 concernés, citons les amendements relatifs aux règles de la commande publique, au financement privé des partis et des campagnes électorales, aux tarifs des notaires et au droit bancaire.

Quelques amendements se sont heurtés à la jurisprudence habituelle de l'article 40 de la Constitution, qui prévoit l'impossibilité d'augmenter une charge publique. On en dénombre 34, qui visaient à élargir le bénéfice de MaPrime Renov' ou de Ma Prime Adapt', ou à rétablir la prime d'État pour le plan d'épargne logement (PEL). De telles propositions ne pourront être défendues que sous la forme d'amendements de crédits, déposés en seconde partie.

Sur les 340 amendements irrecevables au titre de l'article 40 ou des exigences de la Lolf et de la LOLFSS, 235 pourraient donc être corrigés pour être discutés ultérieurement.

Enfin, certains amendements n'ont pu être déclarés recevables parce qu'ils concernaient des articles déjà abrogés ou qu'ils étaient incompatibles avec des modifications proposées dans le projet de loi. Il s'agit là de malfaçons que leurs auteurs pourront également corriger d'ici à la séance publique.

Plus de 2 000 amendements portent article additionnel. Suivant la coutume, un plan de classement de tels articles a été porté à la connaissance des députés ainsi que des collaborateurs des groupes, dès le dépôt du projet. Certains amendements n'y étaient pas conformes. Ce n'est pas en soi une cause d'irrecevabilité ; les services procèdent à leur retraitement pour les placer à l'endroit opportun, afin de regrouper ceux qui concernent un même sujet. Toutefois, la masse d'amendements à étudier était particulièrement élevée et un nombre significatif d'entre eux ne respectait pas le plan de classement : on ne peut pas exclure que certains demeurent mal placés. J'insiste donc sur l'intérêt de respecter le plan de classement communiqué par le secrétariat de la commission ; il reste valable pour le dépôt en vue de la séance publique.

Je me devais d'apporter des réponses aux questions relatives à la recevabilité. N'hésitez pas à me consulter pour préparer l'examen en séance publique.

S'agissant de l'organisation de nos travaux, je propose que le temps d'intervention de chaque orateur sur les amendements soit limité à une minute et que la défense des amendements identiques ou similaires soit très succincte. Toutefois, en accord avec le rapporteur général, nous aurons tous les grands débats qui s'imposent ; lorsque nous aborderons des sujets essentiels, je laisserai à chaque groupe la faculté de s'exprimer.

Les efforts de tous seront nécessaires pour terminer l'examen de tous les amendements avant vendredi à treize heures. En effet, il est primordial de conclure avant qu'expire le délai de dépôt en vue de l'examen en séance, fixé vendredi à dix-sept heures. Si nous agissons collectivement de manière responsable, ce n'est pas impossible.

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